06/01/2017

Dans l'intimité d'une vie

Prenez quelques grammes de vie, ajoutez une cuillerée de portraits et une pincée de tournée. C’est la recette de La Petite infirmière dans la prairie, l’excellent blog de cette Idel, qui arpente la campagne. C’est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.

Le jardin est plongé dans la pénombre. J’avance à tâtons dans la nuit noire. Seule la lumière de l’entrée brille faiblement. Je frappe et entre sans attendre de réponse. Toute la famille est rassemblée dans le salon. Je vois à leurs visages que ça ne va pas fort. Ils essaient de s’occuper tant bien que mal, mais ce n’est pas facile. Je me dirige vers la chambre. La lumière douce de la lampe de chevet éclaire son visage. Ses yeux sont clos. Sa respiration haletante n’inspire rien de bon. Je prépare la perfusion sur la table installée à cet effet : « Monsieur, vous m’entendez ? Je vais brancher votre perfusion. » Pour toute réponse, un grognement rauque. Depuis quelques jours, son état s’est dégradé, d’abord doucement, insidieusement, puis rapidement depuis la veille. C’est violent, même si l’on sentait que le combat était perdu d’avance. Il reste toujours un infime espoir. Pas un espoir de guérison, mais de prolongation de la vie.

Sa vie, il s’y est accroché comme à une bouée de sauvetage. Mais ce soir, il rend les armes. Je le vois bien, une sale habitude d’infirmière que de voir ces choses-là. Je dois parler aux proches. Ils savent que l’issue sera fatale, mais difficile de se dire que dans quelques heures ou quelques jours leur vie va basculer. Je tends des perches sans les brusquer. Chaque mot a son importance. Ce sont ces mots dont ils se souviendront. Je retourne une dernière fois auprès de mon patient. Je regarde son visage, lui serre la main et je m’en vais le cœur lourd, aussi lourd que le poids de cette longue journée. J’espère me tromper. J’espère demain retrouver son sourire et ses yeux qui pétillent. Mais quelque chose au fond de moi sait que bientôt, très bientôt, tout sera fini.

Le lendemain, je refais le chemin jusqu’à sa maison. Il n’est plus là. Je reste un moment avec la famille. Ce qu’il voulait, c’était rester chez lui jusqu’au bout et ses proches ont tout fait pour respecter sa volonté, même si cela n’a pas été facile, même si aujourd’hui, ils sont vidés, épuisés et perdus. Que vont-ils faire toute une journée, eux qui passaient tout leur temps à s’occuper de lui ? Que vont-ils devenir ? En les quittant, j’ai la désagréable impression de les abandonner à leur chagrin. Je repasserai les voir dans quelques jours et puis, lorsque je reviendrai chez eux pour une prise de sang, j’aurai la sensation que désormais un lien particulier nous unit. Le sentiment d’avoir partagé un instant intime de leur vie. L’instant où ils ont perdu un être cher.

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