Ni maton, ni « bonne à tout faire », Suzie Q narre ce qui se passe entre les murs de l’HP. Ce mois-ci, elle nous parle de ce moment si particulier de la fin des transmissions, qui soude les blagueurs, les affolés, les jacasseurs... avant que ne retentisse la sonnette de l'entrée, et n'arrive un nouveau patient...
À la fin des trans, il y a ceux qui vannent, blaguent et manient l’humour noir comme d’autres le système de contention en 5 points. À la fin des trans, il y a ceux qui revendiquent, s’alarment, puis désespèrent et se lamentent. D’une situation catastrophique, ils imaginent un monde hospitalier post-apocalyptique. Quand la dystopie tutoie la réalité, il faut prendre le pouvoir pour ne pas sombrer.
À la fin des trans, il y a ceux qui jacassent. On ragote sur les cadres, les médecins, la direction, sur les collègues aussi... La moulinette à gossips n’épargne personne. Union ou désunion, malheur ou bonheur, tout y passe, tout se transforme. La vérité n’est qu’une option, le parfum de scandale est tellement plus savoureux.
À la fin des trans, les éclats de rire se mêlent à la colère, les « Oh ! » aux « Ah ! », les « Noooon ! » aux « Yes ! ».
La fin des trans, c’est ce qui nous soude. Ce qui fait que, malgré l’eau qui monte, nous restons à bord. C’est peut-être absurde mais c’est ma réalité, notre réalité. De simples collègues, nous devenons confrères.
Et puis, le carillon de la porte d’entrée interrompt ce moment de bonheur. Une admission. Un lit vide ne le reste jamais longtemps. Le sol n’a pas séché qu’un nouvel occupant est annoncé. C’est ce moment que je préfère. Ces quelques secondes nécessaires pour traverser le couloir qui sépare le bureau infirmier de l’entrée de l’unité. Ce moment, c’est le temps qu’il me faut pour me rassembler. Quel est mon rôle ? L’accueil d’un patient n’est pas une formalité, c’est un moment déterminant du soin. Y mettre tout ce qu’on peut de bienveillance. Dire sans les mots à celui qui attend avec angoisse de l’autre côté : « T’as frappé à la bonne porte, mec. On va prendre soin de toi. »
Accueillir avec empathie, c’est casser les représentations violentes sur la psychiatrie, celles qui nourrissent l’imaginaire collectif façon Jack Nicholson et Nurse Ratched. On dit que lors d’une rencontre, les trente premières secondes sont déterminantes. C’est vrai, mais je crois aussi que les trente qui précèdent sont essentielles. Elles sont la quintessence de notre job. Ce moment où je suis seule avec moi-même. Quel est le sens de ce que je vais faire ? Quelle est ma mission? Suis-je capable de mettre de côté la rancœur accumulée face à cet hôpital qui nous rend malades ? Oui ? Alors, file et sois présent à l’autre. Si ta réponse est non, alors il est encore temps de faire demi-tour et, pour aujourd’hui, passer la main à ton « plus que collègue ».
Retrouvez les aventures de Suzie Q in the House of Madness sur son blog.