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Des soignants de la CPTS Asclépios, en Indre-et-Loire, se sont portés volontaires pour faire analyser une mèche de leurs cheveux. Objectif : déterminer leur contamination par les phtalates dans le cadre d’un projet plus large de sensibilisation aux perturbateurs endocriniens.
Quoi de mieux que de se tester soi-même pour se rendre compte de l’ampleur d’une contamination. C’est le choix suivi par quatorze professionnels de santé de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Asclépios. Pharmaciennes, médecins, kinésithérapeutes, infirmières, psychomotriciennes, orthophoniste, sage-femme. Ils ont chacun donné une mèche de 3 cm de leurs cheveux afin de la soumettre à l’analyse, par le laboratoire Kudzu Science (accrédité depuis 2015 par le comité français d’accréditation [Cofrac]), de leur contamination aux phtalates. Cette démarche de la CPTS, emmenée par Émeric Vaillant, chargé de projet en santé environnementale au sein de la structure, diplômé de l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen) depuis 2019, et infirmier libéral à Amboise, s’intègre dans l’opération « Zéro phtalates » menée par le Réseau santé environnement (RES)(1). Le prélèvement a eu lieu fin avril et les résultats ont été présentés aux professionnels volontaires le 28 juin.
Contamination généralisée
L’analyse des cheveux permet de rendre visible la pollution invisible des phtalates, famille emblématique des perturbateurs endocriniens. Les analyses ont porté sur l’évaluation de la présence de neuf molécules mères de phtalates exprimés en picogramme par milligramme (pg/mg) : DEHP, DiDP, DiNP, DiBP, BBP, DnBP, DEP, DMP, DnOP. Elles ont révélé une contamination généralisée avec de grandes disparités et mis en évidence la présence de six phtalates dans les prélèvements des quatorze participants volontaires avec des différences allant de 1 à 117 pour le DiDP et de 1 à 57 pour le DEHP. « Les phtalates sont partout et présents dans les objets du quotidien, souligne Émeric Vaillant. Ils sont aussi dans notre activité professionnelle et la vie au cabinet. Les résultats doivent amener à se questionner sur ce qui peut être contaminant dans notre pratique quotidienne en identifiant les sources d’exposition proches de nous pour les éliminer. » On les retrouve par exemple dans l’alimentation, l’environnement intérieur, les cosmétiques, les dispositifs médicaux, les vieux jouets en plastique et ils sont utilisés en tant que plastifiants des PVC. Rappelons qu’ils sont à l’origine de la progression d’au moins huit maladies infantiles : l’asthme, le déficit d’attention-hyperactivité (TDAH), les troubles cognitifs, les troubles du langage, la reproduction (puberté précoce et volume testiculaire), l’obésité, l’hypothyroïdie, et l’hypominéralisation molaire incisive (MIH), un défaut de formation d’émail des dents qui touche de 15 à 20 % des enfants de 6 à 9 ans et favorise les caries.
Faire le lien avec la pratique infirmière
Mary Plantureux, Idel à Amboise et membre de la CPTS, fait partie des volontaires de l’opération. « Je suis sensibilisée à l’écologie et à mon environnement en général, précise-t-elle. J’ai eu notamment une maison en bois avec une isolation naturelle. Mais le sujet des perturbateurs endocriniens fait le lien direct entre ma sensibilité à l’environnement et mon métier d’infirmière. Je vois souvent des patients dans des logements sociaux qui sont dans un état élevé d’insalubrité. Dans ma pratique quotidienne, j’essaie de donner des informations aux femmes qui viennent d’avoir un bébé sur les dangers des revêtements au sol d’origine inconnue et la nécessité d’aérer les pièces. Quand je suis face à une femme enceinte, il y a une résonance et le message passe mieux. En fait, globalement, nous sommes beaucoup trop dans le curatif, il faudrait faire davantage de prévention auprès de nos patients. » Si les résultats de l’analyse de sa mèche de cheveux sont plutôt bons, car elle utilise peu de plastiques mous et met toujours des gants pour effectuer les soins, Mary Plantureux s’interroge sur la place des plastiques et des produits pour éviter le retour de flammes dans les sièges de son véhicule, dans lequel elle passe beaucoup de temps au quotidien. Elle se questionne aussi sur sa consommation de sets en plastique à usage unique et envisage fortement de se former afin de progresser dans ses connaissances et les actions qu’elle pourra mettre en place.
Vers une opération de sensibilisation d’envergure
Cette opération « Zéro phtalates » au sein de la CPTS Asclépios est la porte d’entrée d’un projet de plus grande envergure de sensibilisation et de formation aux perturbateurs endocriniens. « Nous avons obtenu un financement de la Région Centre-Val de Loire à hauteur de 6 620 euros, explique Émeric Vaillant. Cela va nous permettre de réaliser d’autres prélèvements chez les acteurs de santé locaux des communes, des communautés de communes et des associations de patients. Nous avons déjà des volontaires. Notre but est vraiment d’avoir une démarche de prévention afin que le sujet soit pris en compte. Nous allons aussi mettre en place des formations d’une demi-journée afin de sensibiliser les professionnels de santé aux perturbateurs endocriniens. » Les formations seront réalisées par Alexandra Lorenzo qui a fondé Itawa, une association qui veut informer sur l’exposition aux polluants environnementaux. Par ailleurs, mille petits guides(2) réalisés par l’Association santé environnement France (Asef) vont être distribués afin de toucher le maximum d’acteurs de terrain et favoriser la prise en compte de cette question de santé publique.
Isabel Soubelet
1. Région Centre-Val de Loire, plaquette « Tout savoir sur les perturbateurs endocriniens ».
2. Notamment : santé du Bio bébé ; santé la Bio femme enceinte ; les médecins libéraux… Sur le site de l’Asef.