C’est la surprise du plan “Ma Santé 2022” : les médecins libéraux pourront désormais être épaulés par des assistants médicaux. Des professionnels à mi-chemin entre le soin et le secrétariat médical, dont la rémunération sera en partie financée par l’Assurance maladie. Une mesure qui a fait bondir bien des Idels.
Jean-Paul Ortiz : Le but est de faire gagner du temps aux médecins, et en particulier du temps administratif. On assiste en effet aujourd’hui à une dérive bureaucratique du secteur de la santé, face à laquelle les praticiens se retrouvent isolés. Dans le meilleur des cas, ils se partagent une secrétaire à deux ou trois. D’ailleurs, si l’on compare l’organisation de la médecine française avec celle d’autres pays européens, on est frappé par la pauvreté de l’environnement professionnel autour du médecin. C’est pourquoi le cabinet de demain devra être constitué d’une équipe comprenant plusieurs professionnels : des médecins libéraux, des infirmières libérales dont certaines pourront exercer en pratique avancée, etc. On y trouvera aussi ce nouveau métier que sont les assistants médicaux, et qui aura deux composantes. Il s’agira tout d’abord d’assurer l’accueil et le secrétariat, un peu comme le ferait actuellement une secrétaire médicale. Mais les assistants médicaux seront également en charge de la pré-consultation : installer le patient, le peser, préparer le dossier du médecin…
Philippe Tisserand : Le problème de fond est celui de la désertification médicale. On nous dit que les assistants médicaux permettront d’accroître la productivité des médecins et d’augmenter le nombre de patients pris en charge. Mais la demande des médecins reste floue. Il semble qu’ils veulent avant tout qu’on les décharge de tâches administratives comme le suivi des rendez-vous, l’accueil des patients, le traitement des dossiers médicaux… Et ils ajoutent que la personne qui effectuera ces tâches pourrait aussi prendre la tension, par exemple. Ma lecture, c’est que les médecins réclament une secrétaire médicale, et qu’ils ajoutent à ce poste une composante sanitaire pour le rendre éligible à un financement par l’Assurance maladie. Imaginons qu’un jour, les boulangers disent qu’ils ne veulent plus se lever au milieu de la nuit pour que les Français aient du pain le matin, et qu’ils réclament le financement de leur mitron sur fonds publics. C’est un peu ce qui est en train de se passer avec les assistants médicaux.
Jean-Paul Ortiz : Précisons d’abord que les missions de l’assistant médical ne sont pas destinées à être exercées par une infirmière. Dire cela, ce serait dégrader le métier d’infirmière. Il s’agit plutôt d’un métier similaire à celui de l’assistante dentaire, qui fait un peu plus que du secrétariat chez le dentiste : elle fait l’accueil et prend la carte Vitale, mais elle nettoie aussi les instruments, par exemple. Nous imaginons, pour les assistants médicaux, une formation assez courte d’un an maximum. C’est un métier qui pourrait être exercé par des secrétaires médicales ou des aides-soignantes ayant effectué une formation complémentaire. C’est d’ailleurs un sujet qui a émergé lors des discussions en commission nationale paritaire de la convention collective des personnels des cabinets médicaux : nous désirions donner une perspective d’évolution professionnelle aux secrétaires médicales et aux aides-soignantes.
Philippe Tisserand : Il y a une ambiguïté sur la définition de ce métier. De deux choses l’une. Soit l’assistante est une secrétaire à qui l’on confie des tâches liées au soin, comme c’est notamment le cas en Allemagne. Il s’agirait alors d’un énième empiètement sur le champ de compétences des infirmières. Soit l’assistant médical est une aide-soignante. Je ne voudrais pas parler à la place des aides-soignantes, mais je ne suis pas vraiment certain qu’il s’agisse d’une promotion. Le travail de l’aide-soignante est-il de faire du secrétariat ? Non. Les deux options comportent en outre des risques de dérives : pourquoi les malades chroniques, qui sont en demande de suivi régulier, n’iraient-ils pas se faire prendre la tension de manière très fréquente par l’assistante médicale, et pourquoi cela ne se solderait-il pas par la facturation d’une consultation à chaque fois ?
Jean-Paul Ortiz : On a beaucoup dit que les assistants médicaux seraient des salariés de la Sécurité sociale, ce qui est faux. L’Assurance maladie attribuera une aide pour la création d’un poste d’assistant médical, et celle-ci sera dégressive : la première année, elle s’élèvera à la moitié du coût (salaire plus charges) pour un assistant partagé entre trois médecins. Puis elle diminuera, et sera limitée à trois ans. Cette aide sera par ailleurs conditionnée à l’augmentation du nombre de patients pris en charge. L’idée n’est pas d’avoir une aide pérenne, mais de faciliter la création de postes en générant une augmentation du chiffre d’affaires. En tant que médecin libéral, j’accepte qu’on m’aide pour amorcer la restructuration de mon entreprise, pas qu’on me maintienne sous perfusion.
Philippe Tisserand : Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre l’argent qui va être débloqué pour les assistants médicaux et nos négociations conventionnelles, qui sont en stand-by. Je rappelle que celles-ci doivent aboutir de manière urgente, car il faut absolument investir dans la nomenclature infirmière, par exemple. Mais ce n’est pas tout : il faudra également ouvrir très rapidement des négociations sur la télémédecine. Le directeur de l’Assurance maladie a assez répété que les Idels seront impliquées dans son développement, et elles devront s’équiper. Au lieu de cela, je constate qu’on préfère investir dans les assistants médicaux, qui ne constituent d’ailleurs même pas une mesure à effet immédiat… On sort du chapeau une rallonge qui se chiffre en centaines de millions d’euros. Et nous ? On nous oublie.
L’annonce de la création des assistants médicaux a été applaudie par les syndicats de médecins libéraux. Mais pas par les organisations d’Idels. En plus de la FNI, elle a été dénoncée par Convergence infirmière comme un « métier low-cost ». Le Sniil a, de son côté, souligné que, plutôt que de créer un nouveau métier, il aurait « sans doute été plus rapide de s’appuyer sur le métier d’Idel ».