ONCOLOGIE PÉDIATRIQUE
ACTUALITÉ
DU CÔTÉ DES… ÉTABLISSEMENTS
Soignants et parents se mobilisent pour la survie de l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches, dont les méthodes font polémique.
Pétition, manifestation, mobilisation… La grogne monte depuis plusieurs semaines du côté des associations de patients, selon lesquelles l’avenir de l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP), à Garches (Hauts-de-Seine), est en jeu. Créée il y a plus de trente ans par le Dr Nicole Delépine, pédiatre et oncologue, elle a accueilli l’an passé 131 patients – enfants, adolescents et jeunes adultes. Mais, depuis l’annonce du départ en retraite de la spécialiste, prévu en juillet prochain, les rumeurs vont bon train sur la pérennisation de cette unité de 13 lits. La plus persistante évoque son transfert au sein du service de pédiatrie de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne (92), où elle serait adossée à l’institut Curie ou à l’institut Gustave-Roussy. Ce n’est pas tant ce déménagement qui inquiète les partisans de la « méthode Delépine » que le risque de dilution dans un autre service, voire de disparition, de cet espace de soins atypique, où règne un esprit chaleureux et familial. Les parents peuvent, par exemple, rester dans le service autant qu’ils le souhaitent, de jour comme de nuit, et préparer eux-mêmes les repas de leur enfant.
Mais, la singularité majeure de l’unité du Dr Delépine réside dans son refus de suivre les protocoles standardisés édictés par l’Institut national du cancer (l’InCa) et par la Société française d’oncologie pédiatrique (Sfop). Les associations de parents réclament le maintien du fonctionnement actuel et un renforcement de ses moyens, notamment en personnel médical.
« Ce qui nous importe, ce n’est pas le lieu d’implantation, mais la manière dont sont pris en charge les patients dans cette unité. Le Dr Delépine et son équipe sont inscrits dans une démarche individualisée des traitements. Or, partout en France, les enfants atteints d’un cancer se voient administrer des traitements selon des protocoles imposés », déclare Bernard Frau, porte-parole de l’association Ametist (Aide aux malades en traitement individualisé en spécialité tumorale). Avec les associations SOS Lenny et Regarde la vie, il mène bataille auprès des pouvoirs publics et de l’AP-HP pour garantir l’avenir de l’unité et son fonctionnement atypique dans le paysage onco-pédiatrique français et européen. Et d’ajouter : « On est en train de mettre en place dans notre pays une santé publique fondée sur les protocoles établis de manière statistique et qui s’appliquent collectivement, au détriment d’une médecine individualisée. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de sortir du cadre académique, mais d’offrir aux parents et aux enfants une alternative en toute connaissance de cause. » Pour se faire entendre, le collectif a, entre autres, lancé une pétition qui a recueilli quelque 20 000 signatures. Elle a été adressée à Marisol Touraine, la ministre de la Santé
Contestée depuis plus de trois décennies, le Dr Delépine a toujours défendu une approche différente de celle de la plupart de ses collègues oncologues français, en privilégiant les traitements éprouvés au détriment des protocoles. Nonobstant ce désaccord de fond, son équipe et elle ont toujours œuvré au sein de l’AP-HP, avec le soutien de grands patrons de la cancérologie tel le Pr Lucien Israël, qui a accueilli l’unité à partir de janvier 1999 à l’hôpital Avicenne de Bobigny (93), avant son transfert à Garches, en 2006. Les rumeurs de fermeture de l’unité avaient déjà, à l’époque, provoqué l’émoi des parents et donné lieu à une très forte mobilisation qui avait contribué à la sauver.
Le Dr Nicole Delépine revendique « quelque 80 % de bons résultats, contre 40 % avec les protocoles ». Des résultats qui ont souvent fait l’objet de controverses de la part de la communauté scientifique de cancérologie, qui lui reproche de ne pas réaliser d’essais cliniques. « Certains critiquent notre manque de publications, alors que nous en avons des dizaines et que nous avons couru les congrès d’oncologie pédiatrique dans le monde entier. Par ailleurs, nous avons subi des pressions pour arrêter de publier pendant plusieurs années. Bref, si on ne faisait pas de vagues avec nos résultats, on nous tolérerait, ironise Nicole Delépine. Nous n’avons jamais dit que nous faisions des miracles. Et lorsque nous n’avons pas ici de solution pour les patients, je n’hésite pas à appeler des collègues de l’institut Gustave-Roussy pour savoir s’il y a une possibilité de les inclure dans un essai de phase II. Cette démarche ne m’a jamais posé de problème. Et je n’ai pas souvenir qu’un seul parent ait jamais porté plainte contre nous ! »
À 68 ans, le médecin en a vu d’autres. Aux côtés de son mari, Gérard Delépine, chirurgien orthopédique à la retraite depuis peu, elle s’est toujours battue contre vents et marées pour maintenir à flot ses lits et sa conception de la médecine : « Un médecin se doit d’être indépendant, et il ne doit jamais renoncer à son indépendance », estime Nicole Delépine, dénonçant un manque de moyens qui s’est accentué au fil des années. « Nous n’avons plus d’interne depuis deux ans. Nous avions aussi deux cadres de santé, il n’en reste qu’un. Et nous nous sommes battus pour l’avoir car, pendant des mois, le poste est resté vacant », détaille-t-elle. Pour Bernard Frau, le Dr Delépine a payé cher son indépendance de vue. « Elle n’a jamais été nommée professeur », déplore-t-il.
Du côté des soignants de l’unité, et notamment des infirmières, la morosité est palpable. « Ils sont très inquiets sur leur devenir. Mais, pour l’heure, nous n’avons aucune information. Les infirmières [NDLR : douze, au total] ne sont pas là par hasard ; travailler dans un service d’oncologie pédiatrique est un choix personnel qui s’inscrit dans un projet professionnel », indique Brigitte Rul, cadre de santé. « Pour autant, ajoute-t-elle, cette inquiétude, si elle est parfaitement légitime, n’a aucune incidence sur la prise en charge des patients. La préoccupation première de l’équipe reste de bien soigner les enfants. » « Pour l’instant, il n’y a aucun engagement sur rien, et des rumeurs sur tout, relève Nicole Delépine. Mon sentiment est que l’AP-HP veut fermer l’unité. Seule l’intensité de la bagarre pourra inverser les choses », estime le médecin. Après avoir manifesté sous les fenêtres du siège de l’Assistance publique, le 18 janvier, des représentants des associations ont été reçus par de hauts responsables de l’institution parisienne. « Le manque de médecins dans l'unité a été évoqué. Nous avons pris en compte ce problème, nous allons tenter d’y répondre », nous indique la direction. L’AP-HP affirme « avoir à cœur de continuer à travailler dans la négociation et la concertation avec les associations de patients pour l’avenir de l’unité ». Une nouvelle rencontre est prévue dans les prochaines semaines.
1- Le ministère n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.