L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

ALIMENTATION

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Sandra Mignot  

Alors que le quatrième Programme national nutrition santé (PNNS), annoncé pour fin 2016, est toujours en chantier, des rapports se penchent sur la politique nutritionnelle en France. Mesures globales, étiquetage et messages grand public sont-ils assez efficaces ?

Peu lisible, contribuant trop peu à la réduction des inégalités sociales de santé, présentant un impact sanitaire marginal (et ce ne sont là que quelques-unes de ses conclusions), le réquisitoire de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) contre le PNNS 2011-2015 est assassin. Dans un rapport d’évaluation publié le 3 octobre dernier - mais daté de juillet 2016 et qui affiche lui-même ses limites (des délais impartis trop courts et l’absence des résultats des études nationales sur le sujet) - les rapporteurs estiment « que la reconduction du plan en l’état n’est pas souhaitable : sa logique d’ensemble a démontré ses limites, voire ses effets contreproductifs ». « Beaucoup de choses sont vraies dans les critiques de l’Igas, notamment l’insuffisance du soutien politique », observe Serge Hercberg, président du PNNS. L’institution soulève en effet le manque de coordination à l’échelon régional et entre les ministères - et appelle à la création d’une « délégation interministérielle voire un haut commissariat, en confortant les compétences et les moyens des directeurs généraux d’ARS ». Elle demande également le recentrage sur une action exclusivement grand public, alors que le PNNS était jusqu’à présent destiné autant aux professionnels qu’à la population générale.

Le surpoids et l’obésité en hausse

Si l’on ne sait pourquoi le gouvernement a tant tardé à rendre publique cette évaluation, les études épidémiologiques publiées depuis sa clôture ont, en tout cas, montré que la situation des Français au regard du surpoids et de l’obésité ne s’est guère améliorée. Tout juste observe-t-on une stagnation. L’étude INCA 3(1) révèle une prévalence du surpoids et de l’obésité stable chez les enfants de 3 à 14 ans (par rapport à l’enquête de 2007), mais davantage de surpoids chez les jeunes de 15 à 17 ans (qui passe de 9 à 15 %) et de l’obésité chez les adultes (qui passe de 12 à 17 %).

« Nous n’avons pas les moyens de dire si cette stagnation chez les enfants est l’effet du PNNS, estime Benoît Salanave, épidémiologiste dans l’équipe de surveillance et d’épidémiologie de Santé publique France. On observe des tendances similaires dans les autres pays européens. On peut tout de même penser que des actions de plus grande ampleur ont été entreprises en France. » Le chercheur appelle à développer les volets du programme consacrés à la lutte contre la sédentarité. L’Igas, elle, estime qu’il faut recentrer le PNNS sur les questions d’alimentation et proposer un plan de promotion de l’activité physique séparément.

Pedro Conches, infirmier de santé publique et inspecteur de la santé à l’ARS Bourgogne Franche-Comté, constate, lui, depuis quinze ans, une avancée chez les plus jeunes : « Les messages de prévention sont intégrés (manger-bouger, cinq fruits et légumes par jour). Le constat aurait été bien pire sans le PNNS. La population essaye de s’alimenter mieux, même si les familles les plus précaires rencontrent des difficultés et sont très concernées par la malbouffe. »

L’Igas, appuyée par un rapport du Haut Conseil à la santé publique (HCSP)(2) daté de septembre 2017, appelle d’ailleurs à des actions orientées vers les populations précaires, les plus jeunes et les personnes âgées isolées, « pour induire durablement des comportements alimentaires sains et éclairés ».

Les Français attentifs aux étiquettes

Serge Hercberg place aussi ses espoirs dans le Nutriscore. Cet étiquetage coloré (du vert au rouge et de A à E, selon la dangerosité à consommer régulièrement un produit), a été créé par Santé publique France, en collaboration avec son équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Inserm-Inra-Cnam). Il a été choisi par le ministère de la Santé afin de mieux informer les consommateurs sur la valeur nutritionnelle des produits. Un arrêté paru au Journal officiel le 31 octobre en fait le dispositif officiellement recommandé en France. « Il est plus accessible et plus lisible que l’actuel étiquetage sur la proportion de lipides, glucides, protéines ou la proposition des apports journaliers recommandés, poursuit l’épidémiologiste. Il permet d’orienter les choix d’achats des familles. »

D’après l’enquête Inca 3, 19 % des ménages font leurs achats selon les allégations santé sur les étiquettes. Une proportion qui n’évolue pas. Mais près de la moitié des adultes et 19 % des adolescents lisent souvent ou toujours ces étiquettes nutritionnelles. Ce qui a un impact sur les achats en a nécessairement un sur les produits que les industriels décident de mettre sur le marché. « Nous disposons là d’un levier d’importance pour faire évoluer la formulation des produits », observe Serge Hercberg. C’est ainsi que les PNNS 2 et 3 ont développé une politique incitative, visant à faire signer aux entreprises de l’agro-alimentaire des “chartes d’engagement de progrès nutritionnel” (concernant la diminution du sel, des sucres, des graisses, des acides gras saturés, ou l’augmentation des fibres et des glucides complexes…).

Trente-sept chartes ont été signées entre 2008 et 2013. Le HCSP les considère comme des progrès indéniables, même si un bilan réalisé par l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali) fin 2012 avait du mal à quantifier l’impact réel de ces engagements. À l’époque, cette action aurait contribué pour 3 à 14 % à l’atteinte de l’objectif sel du PNNS 2, pour 1,6 % à l’atteinte de l’objectif sucres et pour 5 à 28 % de l’objectif lipides.

Produits transformés, attention danger !

D’autres recommandations de l’Igas, également portées par le HCSP dans un rapport du 6 novembre, suggèrent d’agir sur l’environnement du consommateur : en taxant davantage les produits trop sucrés, trop gras ou trop salés - un amendement au PLFSS 2018 a récemment permis d’augmenter la taxe sur les sodas -, ou en améliorant l’accessibilité économique des produits de meilleure qualité par des subventions ou des incitations fiscales. Ces mesures pourraient se fonder sur la classification des aliments, « comme celle évaluée par le Nutriscore », note Serge Hercberg.

Mais, premier problème, si l’étiquetage des produits alimentaires est obligatoire, la réglementation européenne empêche d’imposer un logo coloré comme le Nutriscore aux industriels. En conséquence, si certaines enseignes de grande distribution françaises et des fabricants se sont engagés à le mettre en place, des multinationales préfèrent en adopter un autre. Ce qui pourrait sérieusement compliquer la lisibilité pour le consommateur.

Surtout, la validité du dispositif a été contestée. L’Anses avait elle-même estimé, en 2016, qu’en l’état actuel des connaissances, les « systèmes d’information nutritionnelle examinés(3) ne paraissent pas adaptés aux enjeux de santé publique que constituent surpoids et obésité ». Depuis, le logo a bien été testé, mais c’est son efficacité sur l’évolution des comportements d’achats qui a été évaluée, et non son impact réel sur la santé.

Enfin, des experts critiquent le mode d’élaboration du score : « Ce système, comme les recommandations du HCSP ou du PNNS, se fonde toujours sur la répartition entre lipides, glucides, protéines, et le calcul des calories, alors que de plus en plus d’études montrent que c’est la transformation des aliments qui pose problème, observe Thierry Souccar, journaliste et éditeur dans le domaine de la santé nutritionnelle. Un aliment, ce n’est pas juste une somme de nutriments. Les produits ultra-raffinés(4) que l’on cherche à alléger en graisse, que l’on cuit en les soufflant, les extrudant, les écrasant, voient leur index glycémique augmenter. Ils perdent leurs caractéristiques nutritionnelles et l’industriel est incité à l’ajout d’additifs pour remplacer les graisses.  »

L’Anses souligne d’ailleurs, dans son étude INCA 3, « la part plus élevée des aliments consommés sous une forme préparée plutôt que sous une forme brute par rapport à Inca 2 ». Or, d’après le journaliste, le Nutriscore ferait fausse route une fois sur trois. Et de citer l’exemple des Corn Flakes allégés en sucre qui sont classés très favorablement selon Nutriscore. « Mais le mode de cuisson de ces céréales rend leur charge en glucides disponible très rapidement à la digestion, ce qui génère une hausse brutale de la glycémie, de la production d’insuline, etc. Il serait donc très déconseillé d’en consommer tous les matins. »

Au Nutriscore, Thierry Souccar préfère donc la classification internationale Nova, mise au point au Brésil et qui hiérarchise les aliments selon leur transformation. « Le message à faire passer c’est : moins on transforme, mieux c’est, résume le journaliste. Si vous voyez dans la composition d’un produit plus de cinq ingrédients, c’est qu’il est déjà très transformé et si ce sont des ingrédients qu’on ne trouve pas dans les placards d’une cuisine, il faut le consommer avec modération. »

1 - Étude nationale individuelle des consommations alimentaires 3 (INCA 3), avis de l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses), rapport d’expertise collective, juin 2017.

2 - « Pour une politique nationale nutrition santé en France », PNNS 2017-2021.

3 - L’Anses a été saisie fin 2015 pour analyser la pertinence en matière de nutrition de cinq systèmes d’information nutritionnelle : SENS, Nutriscore, Health Star Rating, Nutri-repère et Nutri-couleurs. Elle a rendu son avis le 31 janvier 2017, saisine n° 2016-SA-0017.

4 - Lire notamment : Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai, Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et holistique à l’Inra, éditions Souccar.