Les hommes représentent 12 % de la profession IDE. Une petite minorité qui peut se retrouver, encore aujourd’hui, confrontée aux préjugés de genre.
Un peu moins d’une infirmière sur huit est un infirmier. Une proportion non négligeable qui devrait légèrement augmenter dans le futur. En effet, la Drees(1), service des statistiques du ministère de la Santé, notait, en mai 2011, que « la part de femmes parmi les infirmiers (88 %) est restée stable au cours de la dernière décennie ». Cette étude montrait un taux de féminisation plus important en Ehpad (93 %) qu’à l’hôpital privé (89 %) ou public (87 %) et en libéral (83 %). En 2016, une autre enquête de la Drees sur les étudiants infirmiers de 2014 indiquait, elle, une proportion de 16,8 % d’hommes en formation : 15 290 sur un total de 90 976.
Des avantages et des inconvénients
Minoritaires, ces hommes estiment-ils pour autant être victimes de préjugés ? Les réponses divergent. « On ne peut pas dire qu’on rencontre des préjugés mais on fait face à des interactions liées au genre, répond Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Par exemple, quand l’encadrement demande à un IDE de venir déplacer un meuble, il est utile de rappeler qu’il y a des services techniques pour cela. » Même chose en cas de tensions avec les patients aux urgences : c’est souvent l’IDE homme qu’on envoie calmer les perturbateurs.
« Les collègues féminines comptent sur nous et on est souvent en première ligne face à cette violence, même si ce n’est pas notre rôle de faire la sécurité », estime Aurélien, 36 ans, IDE aux urgences d’un CH, pour qui, en dehors de ces situations particulières, les hommes ne font pas particulièrement face aux préjugés dans la profession. En revanche, en raison de leur faible nombre, ils sont, selon lui, accueillis un peu plus chaleureusement par les équipes. Julien Martinez, infirmier psychiatrique à Lyon, pense aussi que les hommes bénéficient d’une sorte de « capital sympathie » de départ. « Quand il n’y a qu’un garçon parmi les stagiaires, on va se rappeler plus rapidement de son prénom que de celui des autres, décrit-il. De manière générale, il y a un a priori positif quand un homme arrive dans une équipe, car cela permet de rééquilibrer un peu la parité. En revanche, je n’ai pas le sentiment que, par la suite, on fasse de différences de traitements entre les hommes et les femmes IDE. » Dans le même temps, des infirmiers dénoncent des a priori négatifs à leur égard. Ainsi, Julien Martinez n’avait, durant sa formation, pas trouvé de stage en libéral. « Les Idel que j’avais contactées pensaient que le fait que je sois un homme allait déranger leurs patientes, notamment pour les toilettes, regrette-t-il. À mon avis, elles pensaient à la place de leurs patientes, mais c’est malheureusement un préjugé qui persiste. » Le refus d’une patiente d’être soignée par un homme semble, dans les faits, assez marginal. « Cela peut arriver, parfois pour des raisons religieuses, mais, dans la majorité des cas, la blouse blanche neutralise l’intervenant », rappelle Thierry Amouroux. D’autres stéréotypes ont pu heurter des IDE. « À mon oral de concours de l’Ifsi, en 2013, on m’a demandé si cela me dérangerait d’avoir des collègues féminines et de recevoir des consignes de la part de femmes », s’étonne encore aujourd’hui Merlin, IDE aux urgences d’un CH. Ce jeune infirmier garde également un souvenir amer d’un stage en puériculture. « On m’a fait comprendre que je ne devais pas être trop présent quand les parents venaient, car la présence d’un homme dans une crèche pouvait les questionner, raconte-t-il. Ce soupçon qu’un homme pourrait être un pédophile est très blessant. »
Bernard Henry est aujourd’hui retraité, il a embrassé la profession à 40 ans, après une première carrière dans l’informatique. « Dans certains stages, en particulier en maternité, on m’a fait comprendre que ce n’était pas la place d’un homme, certains parents refusaient que j’assiste aux accouchements », raconte-t-il.
Les conséquences implicites du genre
Au cours de leur carrière, les choix des IDE semblent un peu marqués par leur genre. « Les filles sont poussées à être puéricultrices et les garçons Iade », constate Merlin. « Les hommes sont plus facilement orientés vers la psychiatrie, les urgences et la réanimation, complète Arnaud, IDE aux urgences d’un CHU. En psychiatrie, on estime parfois qu’il faut au moins un homme par équipe s’il y a besoin de maîtriser un patient. » Cette spécialité reste en effet une des plus masculines. « La psy jouit d’une bonne image chez les garçons, note Julien Martinez. C’est un travail où il y a de l’urgence et de l’action mais je pense qu’on vit aussi sur une image du métier un peu ancienne. Je me suis d’ailleurs questionné sur cela, c’est comme s’il y avait à l’intérieur de la profession des identités de genre. » Une intuition confirmée par la chercheuse Françoise Vouillot (lire ci-contre) selon laquelle « même dans un métier majoritairement exercé par des femmes, on voit s’opérer des reconfigurations sexuées ». De son côté, Karim Mameri, élu au conseil national de l’Ordre infirmier, invite à se prémunir contre les stéréotypes. « Il faut garder en tête que l’empathie est une valeur et une compétence professionnelle et n’appartient pas à un genre particulier. »
S’agissant de la représentation de la profession, la loi impose la parité au conseil de l’ordre. « L’ordre était déjà paritaire avant la loi, souligne Karim Mameri. Je ne pense pas que les infirmiers votent pour un homme ou une femme mais d’abord pour un projet. » Le bureau du SNPI est composé de quatre femmes, dont la présidente et la secrétaire générale, pour deux hommes, insiste Thierry Amouroux. Enfin, à la Fnesi(2), une réflexion a été menée depuis plusieurs années pour valoriser une représentation paritaire des étudiants, notamment en promouvant une écriture “non genrée” et en mesurant le temps de parole des unes et des autres. Ce qui n’a pas empêché que leur bureau national, élu en novembre dernier, comporte treize hommes contre six femmes…
1- Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
2- Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers.
Comment avez-vous abordé la question des hommes exerçant des métiers majoritairement féminins ?
Je suis psychologue de l’orientation et j’ai travaillé en tant que chercheuse sur les processus de choix d’orientation, avec une spécialisation sur la question des divisions sexuées. J’ai introduit dans mes recherches le concept de genre, c’est-à-dire ce système de normes de masculinité et de féminité. Je me suis intéressée aux freins des filles à choisir des métiers exercés majoritairement par des hommes et inversement.
On constate que les freins sont du même ordre, quels que soient les métiers.
Quels sont ces freins pour les garçons ?
Nous sommes dans une société construite avec un système hiérarchisé, comme l’a montré Françoise Héritier en parlant de « valence différentielle des sexes ». Cela signifie que ce qui est masculin est mieux considéré que ce qui est féminin. Concrètement, quand les jeunes font leurs premiers choix d’orientation à la fin du collège, les garçons qui vont exprimer des souhaits “atypiques” vont se confronter à trois types de risques. Le premier est un risque de disqualification identitaire, c’est-à-dire celui de ne plus être vu comme un “vrai” garçon par le groupe de pairs, ce qui est très important à l’adolescence et agit souvent comme un “garde-normes” fort. Le deuxième risque est celui de la disqualification sociale et économique en allant vers des métiers jugés peu prestigieux et mal rémunérés, ce qui est d’ailleurs tout à fait anormal s’agissant en particulier des métiers du soin. Le troisième risque touche les métiers de la petite enfance : il s’agit du soupçon de pédophilie, qui est une sorte de disqualification morale très dur. Pour affronter ces trois risques, il faut être sûr de soi et bien soutenu par son entourage.
Mais avant d’être confronté à ces freins, il faut déjà y avoir pensé. Cela arrive-t-il fréquemment ?
Dans une étude que j’avais menée auprès de collégiens, on constatait qu’environ 5 % des garçons faisaient des choix “atypiques” contre 10 % des filles. Les stéréotypes qui mènent aux choix d’orientation viennent de la société et de l’éducation dès le plus jeune âge. Je crois qu’on sous-estime totalement l’importance des jouets dans la construction cognitive et identitaire des petits. Les jouets de type fille comme les poupées, les dînettes ou les déguisements d’infirmière vont permettre de développer la fonction symbolique. C’est très dommage d’en priver les garçons comme il est dommage de priver les filles de jouets de construction qui permettent de développer d’autres compétences. Ces jouets vont hélas spécialiser les enfants vers certains types d’activités et centres d’intérêt.