Au centre hospitalier Montpensier de Trévoux, un projet, élaboré en 2010 et mis en place il y a tout juste deux ans, a été mené dans le but d’améliorer la prise en charge du patient cancéreux. Ce projet consiste en l’intervention d’une socio-esthéticienne en SSR oncologie et USP. Voici comment ce projet a vu le jour.
Cadre infirmière anesthésiste, l’auteur exerce depuis cinq ans au centre hospitalier Montpensier de Trévoux, dans l’Ain. Ainsi, le cadre a en charge le service de Soins de suite et de readaptation (SSR) oncologie, soit dix-huit lits, dont trois lits de court séjour oncologique ; le service de soins palliatifs, soit dix lits, base cancérologie. Avec l’équipe pluridisciplinaire, nous avions le souhait de proposer l’intervention d’une socio-esthéticienne aux patients. De là, notre projet a été élaboré en juillet 2010, et a vu le jour au mois de février 2012.
Pour Lionel Bellenger
Cela concerne l’objet et ses objectifs. Le patient en SSR oncologie ou en Unité de soins palliatifs (USP) se trouve dans un processus de perte, source de souffrance morale pour lui. Les soins du corps, de l’image corporelle sont des moments privilégiés pour lui permettre d’exprimer tristesse, colère, inquiétude. Quand le cancer atteint le corps de manière visible, l’accompagnement devient difficile. La réponse du soignant est alors dans l’approche corporelle, les gestes doux, le toucher chaleureux, l’empathie, qui permettront au patient de retrouver peut-être de l’estime de soi.
Une pratique professionnelle de soins esthétiques auprès d’une population souffrante et fragilisée par une atteinte à leur intégrité physique, psychique, ou en détresse sociale. Cette personne devait s’inscrire dans les projets de soin ou de vie définis par notre équipe pluridisciplinaire.
Par son savoir-faire et son savoir être, elle devait contribuer, avec l’équipe soignante, à une prise en charge globale des personnes rencontrées. Elle devait aider les personnes atteintes du cancer, qui perdent leurs cheveux, leurs cils et sourcils, à restaurer leur image et à trouver les ressources nécessaires pour affronter la maladie. La socio-esthéticienne devait aller au-devant du malade. Véritable outil complémentaire dans la prise en charge globale des personnes, nos attentes étaient qu’elle ait :
• un accompagnement corporel de la souffrance et de la douleur par l’écoute et le toucher pour un mieux être ;
• une approche polysensorielle qui permettrait aux patients de s’évader et aux équipes de travailler dans un climat plus serein ;
• une action de reconstitution de l’image de soi et donc de l’estime de soi et la dignité. La maladie, la vieillesse, l’alcool, la détention ou les complications socio-économiques entraînant souvent une altération de l’image de soi. Par ses soins, ses conseils, elle contribuerait à redonner confiance aux personnes fragilisées ;
• une démarche de resocialisation des personnes. Par son écoute différente, non médicalisée, ni associée à une institution, elle représenterait un lien avec le monde extérieur.
En conséquence, notre projet dans l’unité de SSR oncologie-USP s’appuie sur :
• l’idée que le bénéficiaire n’ait pas à prendre en charge la prestation. L’intervenant devant faire partie de l’équipe ;
• la création d’un contact avec le patient ou un maintien du contact. Une visite dont le soin ne serait pas systématique ; un soin adapté en fonction du contexte ;
• l’intégration de ce soin dans un soin de support, c’est le prendre soin homme et/ou femme.
Une équipe pluridisciplinaire prend en charge le patient au sein de cette unité. Les médecins assurent un suivi diagnostique et thérapeutique. Le cadre de santé devient le chef de projet. Il y a une secrétaire médicale. Des infirmiers/ières et des aides-soignants participent avec les médecins à l’évaluation de l’état de santé des patients et effectuent des soins. Un agent hôtelier est présent. Des kinésithérapeutes, une psychomotricienne, une ergothérapeute, un psychologue, une assistante sociale, une diététicienne sont aussi sur place. Une association de bénévoles, formés, intervient auprès des patients (association L’Envol). Ils sont d’un grand renfort dans les moments de doute et de recherches de moyens.
Le centre hospitalier Montpensier de Trévoux est un établissement de proximité qui s’intègre dans différents réseaux. Il est membre de la première communauté hospitalière créée en Rhône-Alpes avec les hôpitaux de Villefranche-sur-Saone et Tarare dans un objectif de complémentarité. Il s’intègre par ailleurs dans différents réseaux. Ces partenariats avec les établissements de santé publics et privés (centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, centre Léon-Bérard), services des soins à domicile (Val de Saône Dombes services), hospitalisation à domicile (HAD Caluire), ou maisons de retraite garantissent une continuité des soins et une cohérence des prises en charge. Depuis 2006, notre centre hospitalier est organisé en quatre pôles d’organisation médicale correspondant à des filières de prise en charge dont un pôle d’oncologie. Notre pôle est le support organisationnel de nos objectifs pour garantir une meilleure cohérence et de continuité des prises en charge. Nous observons ainsi une implication des professionnels, dont leur volonté est de proposer une prise en charge d’un haut niveau de qualité. Au quotidien, nous nous engageons à améliorer l’efficience du fonctionnement et de la gestion de notre structure de soins. Notre projet de soins est fortement impacté par la procédure de certification V3 dans laquelle l’établissement s’est engagé.
L’unité de soins palliatifs, unité de référence du territoire de santé Villefranche et Tarare, compte dix lits.
Deux profils de patients sont accueillis. À plus de 90 %, la prise en charge concerne des patients cancéreux, dont des patients nécessitant une adaptation de leur traitement douleur et autres traitements palliatifs, adultes sans critère d’âge. À moins de 10 %, la prise en charge concerne des patients atteints de pathologies neurodégénératives adultes sans critère d’âge.
Deux objectifs de prise en charge sont poursuivis, l’accompagnement de fin de vie et l’adaptation du traitement douleur et de support pour des patients en phase palliative à domicile, adressé par un réseau médecin traitant, HAD, Unité mobile de soins palliatifs (UMSP)…
• Fin de vie : individualisation du soin et adaptation au rythme de la personne ; prise en compte de la souffrance physique, morale, spirituelle et sociale ; accompagnement dans la continuité du cheminement de la personne dans sa maladie ; gestion des symptômes de fin de vie ; adaptation des soins de confort ; amélioration du quotidien de la personne ; accompagnement de l’entourage avant-pendant-après le séjour ; facilitation et organisation du retour à domicile sur demande du patient et après évaluation de la faisabilité.
• Adaptation du traitement douleur : améliorer la qualité de vie de la personne dans un objectif de retour à domicile.
L’admission est réalisée sur dossier “trajectoire” après consensus avec le cadre de santé et les médecins. L’admission peut être directement du domicile, sur orientation par les médecins traitants, les structures d’HAD, ou les Équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP). L’admission peut aussi être réalisée par transfert depuis une unité de court séjour ou SSR.
Nos critères qui conditionnent l’admission sont :
• pour un accompagnement de fin de vie : appartenance au secteur ou rapprochement familial; l’évolutivité du pronostic vital ; l’absence de traitement curatif; l’information du patient et de son cheminement vis-à-vis de sa maladie : le délai de réponse de l’unité ;
• mais aussi pour une adaptation du traitement douleur : le délai de réponse de l’unité ; l’appartenance au secteur ou rapprochement familial.
La décision de mutation depuis le SSR oncologie en USP est prise en fonction de l’évolutivité de la maladie et du cheminement du patient face à sa maladie.
La prévention des escarres reste la préoccupation quotidienne de l’équipe. Mais il faut aussi accompagner le patient dans une approche globale et interdisciplinaire ; améliorer les fonctions hôtelières; renforcer de la cohésion des intervenants autour d’un projet de soins formalisé et partagé par tous ; former les soignants pour entretenir la connaissance et poursuivre la spécialisation ; développer les prises en charge de type “adaptation du traitement douleur” ; accompagner les soignants dans l’analyse de leur pratique ; déployer le dossier patient informatisé.
Le service compte dix-huit lits dont trois lits de court séjour oncologique. L’équipe soignante et l’équipe médicale interviennent différemment sur les services USP et SSR oncologie. L’équipe pluridisciplinaire reste la même.
Prises en charge de patients cancéreux, sous traitement curatif, adultes sans critère d’âge.
Prises en charge de suites médicales et chirurgicales lourdes de patients cancéreux, adultes sans critère d’âge.
Deux objectifs sont poursuivis :
• la poursuite du traitement anticancéreux, en vue du retour à domicile ;
• la prise en charge visant au maintien, à l’adaptation ou à la ré autonomisation du patient, en vue du retour à domicile.
• Individualisation de la prise en charge.
• Traitement de la douleur et des symptômes.
• Réalisation de soins techniques et de soins de confort.
• Interventions pluridisciplinaires visant au maintien, à l’adaptation ou à la ré-autonomisation du patient.
• Éducation avant le retour à domicile.
• Prise en charge psychologique.
• Information, éducation à l’intention de l’entourage.
Ces critères et modes restent les mêmes que pour le service d’USP Nous privilégions au mieux le retour à domicile.
Plusieurs pistes d’amélioration ont été listées :
• diversification des prises en charge. Travail en lien avec les adresseurs publics et privés ;
• réduction de la durée de séjour afin de se rapprocher des standards nationaux ;
• renforcement des fonctions hôtelières aux volontés du patient ;
• entretenir les connaissances de l’équipe et poursuivre sa spécialisation ;
• prévention de l’aggravation de la dépendance, maintenir, voire restaurer l’autonomie ;
• accompagnement interdisciplinaire, dans une approche globale du patient ;
• déploiement du dossier patient informatisé ;
• éducation thérapeutique du patient.
Le projet a été écrit au mois de juillet 2010. L’institution était informée de cette démarche et l’approuvait. La rencontre d’une socio-esthéticienne et du responsable d’une association L’Éveil des sens au mois de juillet a permis d’affiner le projet. Cette rencontre a pu se faire grâce à l’aide de la socio-esthéticienne du Centre Léon-Bérard. Puis, dès le mois de septembre 2010, il a fallu rechercher les mécènes pour financer ce projet : par mail, par courrier, par téléphone.
La fondation Apicil a contribué à cette réussite en nous octroyant une somme de 9 700 euros. Mais leur aide n’était que pour un an. Alors les bénévoles de L’Envol, les médecins et le cadre de santé ont continué leurs recherches.
Entre-temps, l’association L’Éveil des sens nous a permis de connaître une autre esthéticienne. Car nous n’avons pas donné suite à la proposition de la première personne, nos attentes n’étaient pas les mêmes. Le projet a donc débuté au mois de février 2012. L’association L’Éveil des sens nous a procuré les produits cosmétiques et le matériel de soins. Ainsi la somme donnée par la fondation Apicil finançait l’intervenante uniquement.
L’intervention se déroule le lundi après-midi de 13 h 30 à 17 h 30, soit quatre heures. En complémentarités avec le coiffeur qui exerce le mardi toute la journée (parfois le mercredi selon les demandes) ; la psychomotricienne (familiarisée au massage), qui intervient le mardi matin, le mercredi après-midi et le jeudi après-midi; et deux aides-soignantes, l’une qui a validé son diplôme “utilisation des huiles essentielles”, l’autre qui est formatrice auprès des soignants au “toucher-empathique”.
Le cadre de santé a élaboré un calendrier des interventions, il est affiché dans l’unité. Nous traçons les interventions sur un cahier de papier carbone. La facturation est contrôlée par le cadre (dossier excel), un feuillet est récupéré par l’esthéticienne, un autre est envoyé au service économique de notre établissement après chaque intervention. Sinon, nous avons inséré dans le livret d’accueil une feuille qui décrit l’intervention de l’esthéticienne. Ce livret est disposé dans chaque chambre. La feuille d’information est aussi affichée à l’entrée du service.
Nous proposons trois patients par lundi. Le cahier “papier carbone” permettra à l’équipe d’inscrire les noms des patients et leurs numéros de lits. Ce cahier se trouve sur le bureau du cadre. Une relève orale est prévue à 13 h 30. À la fin du soin, l’esthéticienne trace son soin dans le classeur infirmier rubrique, “synthèse pluridisciplinaire” et fait une relève orale aux soignants.
Elle porte une tunique vert clair, elle a un badge nominatif. Une affichette “soins” a été réalisée par le cadre de santé, et accrochée sur la porte de la chambre du patient lors du soin. Car nous avons remarqué que le retour sonnette était bruyant et ne permettait pas le repos du patient.
Il est important que les projets s’inscrivent dans un objectif d’évaluation, la méthode d’évaluation doit être précise et complète.
Comment seront mesurées les améliorations obtenues ? Un rapport d’évaluation permettant de faire le point et de réévaluer les objectifs a été réalisé à l’issue des six mois d’activité.
La méthodologie utilisée pour évaluer l’impact de ce projet (critères, indicateurs, outils) :
• la traçabilité écrite dans le dossier de soins infirmiers) ;
• les réunions pluridisciplinaires (jeudi pour l’USP, vendredi pour le SSR oncologie) ;
• les tours médicaux (quotidien) ;
• les temps de relève (trois fois par jour) ;
• les contacts permanents avec l’esthéticienne : téléphone, mails ;
• les rencontres avec les familles ;
• les retours des patients et des familles ;
• la possibilité de rédaction par les patients de leurs ressentis ;
• les supports multiples d’informations des interventions ;
• formulaire de sortie des patients et livre d’or des familles ;
• le “bouche à oreille” !
Toute l’équipe s’est impliquée dans cette évaluation. Nous avons constaté une demande croissante des interventions. Or, pour pérenniser dans le temps ce projet, nous avions décidé de ne pas proposer d’interventions pendant les vacances scolaires. Mais, face aux nombreuses demandes, nous avons dû changer d’avis.
Suite à nos participations à différents congrès ou à des formations, nous avons rencontré des laboratoires, des associations…
Nous les avons dans un deuxième temps contacté. Nous avons ciblé les laboratoires qui proposaient les traitements des cancers de patients que nous accueillions dans notre unité. Car quel intérêt pour un laboratoire de financer un projet alors que nous ne soignons pas ou peu dans notre service des patients porteurs de leurs pathologies spécifiques ? Ainsi Europa Donna finance uniquement les projets dans les cas de pathologies cancéreuses féminines (cancer du sein, cancer gynécologique). Et nous n’accueillons pas suffisamment de patientes dans ce cas.
Afin de garder les compétences multidimensionnelles des soignants, nos accueils sont diversifiés.
Mais, pour avoir un regard statistique de notre activité, nous avons demandé l’aide du service économique : âge, sexe, pathologie cancéreuse primitive, hôpital adresseur.
Ces informations ainsi recueillies et analysées pouvaient nous amener dans un premier temps à cibler un laboratoire et dans un deuxième temps à envisager la mutualisation de nos moyens avec d’autres structures de soins (CHV et polyclinique d’Arnas) pour obtenir et pérenniser le financement du projet.
Mais nous avons aussi décidé d’écrire à des associations. Nous nous sommes également présentés à des concours (projet Michel Sapir). Par courtoisie et par respect, nous informions régulièrement la directrice de la fondation Apicil et la chargée du développement de nos recherches.
En 2012, elles ont organisé une journée avec la presse écrite et la presse télévisée, avec l’accord de notre direction. Nous avons pu montrer aux téléspectateurs un soin. Nous avons pu détailler aux journalistes ce projet. Nous avons fait passer notre message : « Nous recherchons un financement. »
Nous avons terminé cette journée avec bonheur car notre direction a annoncé la prise en charge financière de l’esthéticienne. Et elle a octroyé aussi du temps aux patients du soin de longue durée.
Si le projet a permis à chacun de s’exprimer, de montrer ses forces et ses faiblesses, il en résulte que, dans un premier temps, il était facile à écrire. Mais la recherche des mécènes a été chronophage et difficile pour le cadre de santé. Notre époque actuelle et la taille moyenne de notre structure hospitalière ont été des handicaps. Mais la présence des soignants, des médecins, des bénévoles de L’Envol, de la fondation Apicil et l’implication de notre direction ont été des atouts qui ont permit la concrétisation de ce projet. Car pour TOUS, le patient reste au centre de nos préoccupations.
* L. Bellenger, Managez un projet avec succès, p. 35-36.
S’appuyant sur la théorie des soins infirmiers de Virginia Henderson, notre projet de soins faisait appel aussi à :
→ la charte du patient hospitalisé ;
→ la charte des droits et liberté de la personne âgée dépendante ;
→ la charte des soins palliatifs et de l’accompagnement des droits du mourant.
De là, notre souhait était de développer des compétences et organiser le partage des savoirs professionnels, en :
→ structurant la démarche de soins,
→ participant à la prévention de la dénutrition de nos patients cancéreux,
→ poursuivant et en assurant le suivi des actions d’améliorations.
Notre champ des soins d’entretien et de continuité de la vie est notre fondement d’une démarche de soins créative en soins palliatifs. Car l’attention permanente au détail qui peut améliorer le bien-être de la personne soignée est la définition même du soin de fin de vie.