Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Stéphanie Mouchotte

Sur le terrain

Marie-Capucine Diss  

Savamment agencé, le jardin thérapeutique du centre médical Paul-Spillmann, à Nancy, n’est pas qu’un lieu d’agrément. Pour la cadre, il est un précieux support aux soins, stimulant l’éveil des sens et procurant l’apaisement. Il permet également de favoriser la communication et de resserrer le lien patient-soignant. Interview.

OS&M : Comment a été conçue l’utilisation de ce jardin ?

Stéphanie Mouchotte : Certains patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée présentent des troubles du comportement majeurs, ce pour quoi ils sont hospitalisés dans notre structure. Notre prise en charge en UCC (Unité cognitivo-comportementale) vise à évaluer ces troubles, à les stabiliser et à tenter de déceler des événements potentiellement précurseurs. Souvent, il s’agit d’états d’anxiété, d’agitation et d’agressivité extrêmes. Les troubles du comportement s’accompagnent de troubles dits “moteurs aberrants”, type déambulation incessante. Le jardin est proposé comme espace de décompression. Il présente un grand intérêt par rapport aux troubles anxiogènes : le grand air, les fleurs, les différents éléments qui le composent favorisent également la communication et la relation soignant-soigné.

OS&M : Comment utilisez-vous ce jardin ?

Stéphanie Mouchotte : Lors de nos synthèses hebdomadaires, en équipe pluridisciplinaire, nous évoquons comment le jardin peut être utile à tel ou tel patient, en fonction de ses troubles et de ce que nous savons de sa vie. Quotidiennement, nous échangeons également de manière informelle à ce sujet. Par empathie, par attention et par connaissance du patient, nous pouvons imaginer quel serait le bénéfice du jardin pour lui. Nous recueillons également des informations de la part des aidants, de la famille ou de l’entourage. Le jardin permet de diminuer l’anxiété, d’augmenter l’appétit ou de favoriser l’éveil des sens. Si un patient aimait vivre au grand air, dans une première intention, nous allons essayer d’instaurer un rite, de lui donner l’idée de sortir de l’unité pour aller se promener dans le jardin.

OS&M : Faut-il toujours inciter les patients à sortir au jardin ?

Stéphanie Mouchotte : Non, certains sortent d’eux-mêmes. Le jardin est en libre accès, de jour comme de nuit. Les patients peuvent y sortir à tout moment, quand ils le souhaitent. Certains éprouvent le besoin de sortir, pour aller regarder ce qui se passe à l’extérieur. Les allées ont été conçues comme de grands couloirs de déambulation. Le circuit est complètement libre, il n’y a pas de sens.

OS&M : Comment faites-vous pour ritualiser les sorties ?

Stéphanie Mouchotte : Il y a une organisation de soins, à laquelle nous ne pouvons déroger, même si elle peut être adaptée dans une perspective de prise en charge individualisée. Le matin, il y a le petit déjeuner, les soins d’hygiène et de confort, les actes de soin et différentes activités. Nous pouvons essayer de proposer une sortie en deuxième partie de matinée ou en début d’après-midi. Nous connaissons les bienfaits du soleil, de la lumière. Dès qu’un rayon de soleil apparaît, nous essayons de tendre des fils et de nous organiser. Nous lançons des suggestions. Cela peut être : « Comme il fait beau aujourd’hui ! On va essayer de profiter de ce moment de soleil cet après-midi… » ou « Demain, peut-être qu’il va pleuvoir. On va essayer d’organiser une petite promenade dans le jardin cet après-midi. » La ritualisation est encore plus perceptible aux beaux jours : les portes seront ouvertes et l’accès au jardin en est facilité. C’est bien plus aisé de motiver tout le monde et de proposer de faire un tour dans le jardin. Parmi les patients, il y en a qui le souhaitent, d’autres moins. Il y en a qui ont une marche rapide, alors que, pour d’autres, elle sera plus lente. Dans le jardin, chacun prend la direction qu’il souhaite. Ces sorties sont toujours un grand moment de surveillance, surtout s’il y a des troubles de la marche associés parmi les patients. Ce n’est pas juste une promenade.

OS&M : Des ateliers sont également organisés dans le jardin…

Stéphanie Mouchotte : Oui, il s’agit d’ateliers spécifiques, liés à l’horticulture. Ils sont soumis au rythme des saisons et ont essentiellement lieu au printemps et en été, pour le climat et la vie des plantes. Pendant les saisons froides, le jardin est plus un lieu qu’un espace d’activités. Mais certains patients s’approprient le jardin tout au long de l’année. Nous avons eu un patient, en particulier, qui travaillait avec les jardiniers. Nous étions en automne, il participait au ramassage des feuilles. Bien sûr, il s’agit toujours de veiller à évaluer les risques et à les anticiper. Pour lui, cela concernait l’usage du râteau. Ce patient se réalisait dans cette activité. Il était plus qu’intégré à l’équipe des jardiniers. Il nous semblait tout simplement heureux.

OS&M : L’usage libre du jardin nécessite-t-il une surveillance particulière ?

Stéphanie Mouchotte : C’est une surveillance éloignée mais constante. Le jardin n’est pas à proprement parler un espace soumis à surveillance, mais plutôt un lieu proposé, visant à diminuer l’anxiété et à offrir un autre environnement. Les patients accueillis chez nous sont majoritariement valides. Un patient qui présente des difficultés à la marche ne sortira pas tout seul. La porte d’accès au jardin est lourde et il pourrait y avoir un risque de perte d’équilibre. Si elle est ouverte, il ne sortira pas pour autant de lui-même, ne se sentant pas en sécurité. Dans une unité de soin, il y a toujours des rampes de sécurité. S’il souhaite sortir, il sera accompagné d’un soignant. Nous pratiquons une surveillance de tous les instants, qui ne s’exerce pas uniquement avec la vision, mais dans une intention de surveillance. Les professionnels mènent leur mission, leur activité de soin, tout en sachant qui est dans le jardin, quelles sont ses habitudes, et si cela représente un risque ou non. De l’intérieur, nous jetons tout le temps des petits coups d’oeil. L’été, il y a beaucoup plus de patients qui sont attirés par les extérieurs, auquel cas il y a moins de patients dans l’unité. La porte est constamment ouverte, ce qui facilite une surveillance attentive.

OS&M : Y a-t-il des risques supplémentaires de chute dans le jardin ?

Stéphanie Mouchotte : Le jardin a fait l’objet d’études, de réflexions et a été conçu dans un souci de proposer une déambulation en toute sécurité. Les allées sont planes et larges. Il y a de jolies contre allées qui peuvent être utilisées par quelqu’un de complètement valide et qui a envie de s’y engouffrer. Le jardin est divisé en quatre carrés. Les patients ne prennent jamais l’initiative de les traverser en diagonale et de marcher sur la pelouse. Ils suivent instinctivement les allées qui leur sont offertes. Les carrés sont délimités par des bordures, des haies qui forment une barrière naturelle et qui réjouissent le regard, à l’aide de compositions étudiées.

OS&M : Quelles autres utilisations du jardin avez-vous ?

Stéphanie Mouchotte : Le jardin est aussi très employé dans la gestion des troubles aigus du comportement. Le soignant accompagne alors le patient, à condition que celui-ci accepte, pour sortir de l’unité et aller dans le jardin. Sortir le patient d’un environnement qui serait anxiogène aura un effet apaisant pour lui. Cela sera également bénéfique pour les autres patients, en interrompant une sorte d’émulation, l’effet de groupe. Le jardin permet de sortir de l’environnement hospitalier et de recréer une relation ou une communication en dehors d’une chambre ou d’un secteur de soin. La relation soignant-soigné est alors plus étroite. L’attention particulière portée au patient permet de désamorcer une situation qui pourrait être aiguë.

OS&M : Le jardin est donc un espace à part..

Stéphanie Mouchotte : Il nous permet de disposer d’un lieu de vie ou d’environnement extra-hospitalier, au sein même de notre structure. Il y a les fleurs, le bruit des oiseaux, un accès sur la rue. C’est une ouverture sur le monde extérieur. Les patients peuvent y percevoir la vie citadine, voir passer les piétons et les voitures… L’attention particulière donnée à une personne va créer la qualité de la relation soignant-soigné. Le jardin peut en être le vecteur. C’est un environnement différent qui nous permet de communiquer davantage, notamment grâce à l’éveil des sens suscité par le jardin. Nous pouvons alors aborder le soin dans une autre dimension. Ce lieu permet également de créer un climat de confiance entre le soignant et le soigné, parce que les deux y ont partagé un moment unique.