Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Promotion de la santé

Thierry Pennable  

Maladie plutôt rare, le diabète de l’enfant concerne un enfant sur mille. Les signes d’alertes, simples, mais encore méconnus ou banalisés, passent parfois inaperçus. Et le diagnostic trop tardif, parfois au stade grave d’acidocétose, entraîne encore des décès. La prise en charge de la maladie inclut un accompagnement de l’ensemble de la famille pour préserver le plus possible l’autonomie de l’enfant dans ses apprentissages et ses activités quotidiennes.

Alors que le diabète de type 1 ne représente que 5 à 10 % des cas de diabète en population générale, il concerne 90 % des enfants atteints de diabète. Les autres types de diabète rencontrés chez l’enfant restent marginaux (lire l’encadré “Les autres diabètes”). Ils doivent néanmoins être identifiés car les traitements sont spécifiques.

DES RETARDS DE DIAGNOSTIC

Le diabète de l’enfant est une maladie plutôt rare qui concerne un enfant sur mille avec une incidence évaluée à environ quinze nouveaux cas annuels sur 100 000 jeunes de moins de 15 ans. « Malgré les signes évocateurs, les familles et les médecins ne pensent pas forcément au diabète chez un enfant très jeune », constate Corinne Colmel, diététicienne et cadre de santé (CHU Toulouse, dans la Haute-Garonne). C’est pourquoi environ un tiers des enfants sont diagnostiqués au stade de l’acidocétose, certains avec des signes graves comme une altération de la conscience. Et quelques décès sont encore à déplorer chaque année à cause d’un retard de diagnostic pourtant évitable.

Repérer les signes

Polyurie, polydipsie, perte de poids inexpliquées et fatigue intense, les signes caractéristiques de l’hyperglycémie sont assez aisés à reconnaître, mais ils restent méconnus ou banalisés. Une polyurie et/ou une énurésie peuvent être attribuées à une infection urinaire. Le fait qu’un enfant déjà “propre” se remette à “faire pipi au lit” sera parfois mis sur le compte d’une consommation excessive de boissons ou d’une réaction psychologique (à la naissance d’un autre enfant, par exemple). D’ailleurs, le diagnostic est parfois posé après une consultation chez un psychologue ou un pédopsychiatre. Une soif excessive sera expliquée à tort par des températures élevées, tandis qu’une perte de poids ou une absence de prise de poids sera corrélée à la croissance de l’enfant. Des vomissements, autre symptôme possible de l’hyperglycémie, peuvent orienter à tort vers une gastroentérite ou une infection. Et l’hyperventilation de l’acidocétose peut être confondue avec un signe d’infection respiratoire ou d’asthme. Alors que l’hyperglycémie chez l’enfant doit être explorée en urgence.

Évaluer l’hyperglycémie

Le diagnostic du diabète est très simple à faire en présence de symptôme évocateur, avec une seule glycémie capillaire supérieure à 2 g/l, faite à n’importe quel moment de la journée, sans considération de la prise des repas. En l’absence de symptôme, une glycémie à jeun, sans apport calorique depuis au moins huit heures, supérieure à 1,26 g/l, fait aussi le diagnostic. Ou encore une glycémie supérieure à 2 g/l, deux heures après la prise de glucose lors d’une hyperglycémie provoquée par voie orale. Celle-ci n’ayant pas lieu d’être pratiquée si le diabète peut être diagnostiqué avec les critères précédents.

Un diagnostic plus précoce

Il n’y a pas réellement d’augmentation de l’incidence du diabète chez les enfants, mais l’âge du diagnostic tend à s’abaisser vers les moins de 4 ans, ce qui augmente le nombre total d’enfants traités. Quand le diabète était découvert plus tard, vers 12-14 ans, les patients passaient plus vite dans les services pour adultes. « Dans notre expérience à Toulouse, environ 25 % des diagnostics sont faits chez les moins de 5 ans, 35 % chez les 5-10 ans, les 40 % restants sont diagnostiqués après 11 ans », remarque Dr Claire Le Tallec pédiatre diabétologue à l’Hôpital des Enfants du CHU de Toulouse. Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer ce rajeunissement dans la survenue des diabètes. « L’hypothèse hygiéniste repose sur l’amélioration des conditions d’hygiène et la diminution des infections qui favorisent la survenue de maladies auto-immunes comme les allergies, l’asthme, et le diabète qui est la maladie auto-immune la plus fréquente en pédiatrie », rapporte la spécialiste. Une autre hypothèse évoque une moins bonne couverture en vitamine D qui aurait un effet protecteur contre le diabète.

Agir rapidement

Lorsque le diabète est diagnostiqué en présence de symptômes, l’enfant doit être immédiatement adressé dans un service spécialisé. Car, en l’absence de prise en charge rapide, une cétose peut survenir, due à l’accumulation de corps cétoniques dans l’organisme. Elle s’accompagne de douleurs abdominales, nausées, vomissements, et d’une respiration rapide, et peut évoluer rapidement vers une acidocétose, fatale en l’absence de traitement. « En présence d’un signe évocateur, le diagnostic doit être rapide, prévient Corinne Colmel. C’est une situation d’urgence car une acidocétose peut se révéler très brutalement. Une glycémie capillaire ou une bandelette urinaire suffit pour démontrer une hyperglycémie, une glycosurie ou une cétonurie. Inutile de prendre des risques en attendant le lendemain pour faire une glycémie à jeun. » Le risque est réel.

PRISE EN CHARGE GLOBALE

Sur-spécialité médicale

Le diabète chez un enfant est un véritable problème pédiatrique. Sa prise en charge particulière nécessite à la fois des compétences pédiatriques et des compétences en diabétologie. Les services hospitaliers font intervenir des équipes pluridisciplinaires adaptées. Le diabète de type 1 est traité par une insulinothérapie associée à des mesures hygiéno-diététiques.

Hospitalisation

La prise en charge débute par une hospitalisation d’environ une semaine. Si l’enfant est hospitalisé en acidocétose, une réhydratation par voie intraveineuse est possible sur 24-48 heures, associée à la mise en route de l’insuline. Dans tous les cas, une phase sera consacrée à l’ajustement de la dose de l’insulinothérapie. Vient ensuite la phase d’éducation pour comprendre la maladie, son traitement, l’interprétation des glycémies, les conduites à tenir en cas d’hypo- ou d’hyperglycémie et les aspects hygiénodiététiques de la prise en charge. Cette phase d’éducation concerne l’enfant lui-même, mais aussi les parents et ceux qui sont régulièrement en charge de l’enfant (grands-parents, nounous, enseignants, etc.).

Objectifs glycémiques

En pédiatrie, l’objectif d’une l’hémoglobine glyquée (HbA1c) inférieure à 7,5 % est généralement admis, mais, en pratique, les objectifs sont adaptés à la problématique de chaque enfant. « En présence d’une sensibilité à l’hypoglycémie, les objectifs sont élevés pour éviter le risque d’une hypoglycémie sévère. Même si les hypoglycémies ne sont pas très graves en elles-mêmes, il peut y avoir des retentissements sur les capacités d’apprentissage ou sur la maturation neurologique », explique Claire Le Tallec. Elle fait remarquer que « les objectifs sont atteints, mais au prix d’un investissement important des enfants, des parents, de l’entourage et des équipes soignantes ». La spécialiste conseille de relativiser les éventuelles hypoou hyperglycémies pour observer si les objectifs attendus sont le plus souvent atteints.

Les mesures hygiéno-diététiques

Les mesures préconisées pour un enfant avec un diabète sont les mêmes que pour tout enfant du même âge, au point qu’il représente parfois un “modèle alimentaire” pour ses camarades d’école. « Il n’y a pas de régime particulier, souligne Corinne Colmel. L’enfant peut manger des produits sucrés, du pain ou autres. L’important est que le repas soit équilibré, et que l’enfant et/ou sa famille sache adapter les doses d’insuline. »

La diététicienne qui intervient dans les écoles rappelle que les menus équilibrés profitent à tous et que l’abondance de grignotages est déconseillée pour tous. Concernant les activités sportives, il est souvent utile de rassurer les enfants et les enseignants sur la possibilité de pratiquer toutes les activités, compte tenu d’idées reçues sur l’hypoglycémie ou sur certains sports contre-indiqués.

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

« Des études montrent qu’un enfant qui a suivi une ETP [ éducation thérapeutique du patient ] à n’importe quel âge au cours de sa maladie a de meilleurs résultats glycémiques qu’en l’absence d’apprentissage. Les résultats sont encore meilleurs quand les enfants et les parents ont été formés en ETP », révèle Corinne Colmel, également présidente et cofondatrice, avec le docteur Claire Le Tallec, de l’association Enfance/Adolescence et Diabète Midi-Pyrénées.

Autonomie progressive

La première hospitalisation, immédiatement après le diagnostic, sert à équilibrer l’insulinothérapie et à impliquer l’enfant dans la gestion de son traitement. « À partir de 5-6 ans, l’enfant peut faire le geste d’une glycémie capillaire. Vient après l’étape de la lecture du chiffre, puis de son interprétation, vers 7-8 ans, en lien avec les niveaux scolaires. Vient ensuite l’étape de la conduite à tenir selon les résultats glycémiques », retrace Claire Le Tallec. L’autonomie pour les injections d’insuline est beaucoup plus tardive. La pédiatre diabétologue incite à la « prudence avec les enfants qui veulent faire les injections très tôt. Ils le font plus pour soulager les parents ou pour réparer eux-mêmes la contrariété qu’ils pensent avoir occasionnée à cause de leur état de santé. L’expérience montre que l’enfant trop précoce pour les injections s’épuise assez vite ». L’autonomie qui consiste à faire régulièrement les injections est recherchée vers l’âge de 10-11 ans.

Parents et entourage

Les parents sont forcément impliqués dans la prise en charge du diabète de leur enfant. Les grands-parents, lorsqu’ils sont présents dans le mode de garde de l’enfant, les nourrices, les crèches et l’école, doivent aussi être informés de l’organisation des soins. Tous les parents ressentent l’annonce du diagnostic comme un « tremblement de terre ». « Il y a un temps de sidération dont il faut tenir compte dans l’accompagnement des parents », relève Claire Le Tallec.

Les parents qui affrontent la perte de l’“enfant idéal”, et ce, d’autant plus qu’il est très jeune, doivent rapidement arriver à se reconstruire pour voir leur enfant avec tout ce qu’il va vivre et non pas uniquement au travers du diabète. Si certains parents sont rapidement actifs dans les soins, l’intervention des infirmières libérales est très bénéfique dès le retour à la maison pour ceux qui sont en difficulté.

LES ÂGES DIFFICILES

Chez les tout-petits

Le rythme de vie peut être variable d’un jour à l’autre. L’enfant peut faire une sieste tout un après-midi et aller jouer au parc le lendemain.

L’alimentation aussi est fluctuante et entraîne des variations des glycémies.

Les pompes à insuline permettent de mieux contrôler le traitement à ces âges.

Puberté et adolescence

Cette période est perturbée :

• à la puberté, l’augmentation des sécrétions hormonales plutôt hyperglycémiantes provoque une résistance à l’insuline avec des besoins augmentés ;

• à l’adolescence, les horaires irréguliers, les couchers et levers tardifs, les repas sautés ou peu équilibrés, occasionnent des apports glucidiques irréguliers ;

• à cet âge, il est surtout question de vivre l’instant, en cherchant moins à faire plaisir à l’autre.

LA DOULEUR

L’administration sous-cutanée de l’insuline reste une réalité incontournable en l’absence d’autres voies d’administration, tout comme la surveillance glycémique avec quatre à six contrôles quotidiens en moyenne. La douleur physique à l’injection est variable en fonction des enfants, et dans le temps chez un même enfant. « Il faut arriver à discerner la douleur physique de son aspect psychique, prévient Claire Le Tallec. La douleur physique peut être améliorée par des solutions techniques, ainsi que par la relaxation ou la sophrologie. Alors que le ras-le-bol, le rejet de la maladie et de ses contraintes, se traite par de l’accompagnement, notamment sous forme de groupes d’adolescents. »

LE COMPORTEMENT ALIMENTAIRE

« Le risque de développer un trouble du comportement alimentaire avec un diabète est préoccupant chez les adolescents déjà concernés par ce type de troubles. Certains arrêtent leurs injections d’insuline. Les filles le font parfois pour maigrir quand elles prennent du poids, malgré un risque d’acidocétose qu’il faut repérer rapidement, regrette Corinne Colmel. L’important est de ne pas perdre le contact avec les jeunes, de maintenir la confiance et de fixer des objectifs prioritaires. » Lorsque le traitement pose problème, le médecin peut négocier les injections d’insuline pour maintenir un traitement a minima avant de remettre progressivement en route le schéma insulinique complet. « L’adolescence est la période des conduites à risques. Il ne faut pas se braquer, alors qu’il y a parfois des messages un peu trop catégoriques qui leurs sont adressés », ajoute la présidente de l’association Enfance/Adolescence et Diabète Midi-Pyrénées.

[ Avec l’aimable participation du Docteur Claire Le Tallec, pédiatre diabétologue à l’Hôpital des Enfants du CHU de Toulouse, et de Corinne Colmel, diététicienne et cadre de santé (CHU Toulouse), Présidente de l’association Enfance/Adolescence et Diabète Midi-Pyrénées

Les autres diabètes de l’enfant

Ils sont marginaux, le diabète de type 1 représentant environ 90 % des cas. Les diabètes liés à la mucoviscidose, auparavant inconnus et liés à l’amélioration des soins et au vieillissement des patients, sont traités par insulinothérapie. Les diabètes néonataux sont traités selon les cas par insuline ou par sulfamides hypoglycémiants. Les diabètes mono-géniques, encore appelés MODY (Maturity Onset Diabetes of the Young), peuvent être initialement traités par de simples mesures diététiques, et surveillés.

L’épidémie redoutée de diabètes de type 2, en corrélation avec l’augmentation du sur poids et de l’obésité chez les jeunes, ne s’est pas produite. « Peut-être grâce à un meilleur contrôle de la prise de poids », suggère le docteur Claire Le Tallec, pédiatre diabétologue à l’Hôpital des Enfants du CHU de Toulouse. Les diabètes de type 2 rencontrés chez l’adolescent sont traités par la mise en place de mesures diététiques et d’une activité physique.

« COMBATTRE LES FREINS À L’AUTONOMIE »

L’association Enfance/adolescence et diabète Midi-Pyrénées est née de la volonté de proposer un accompagnement médico-psycho-social de l’enfant et de sa famille. Le passage à l’autonomie pour le traitement est primordial car il permet à l’enfant de vivre comme les autres enfants de son âge.

Avant l’autonomie, les parents prennent le relais des soignants pour les soins, par exemple en faisant une insuline supplémentaire quand l’enfant fait un écart. Nous avons créé des programmes d’ETP pour les parents, mais nous devons nous adapter à l’autonomie que les parents laissent à leurs enfants, autant pour la gestion du diabète que pour la vie de tous les jours. Il faut travailler avec certains parents pour qu’ils lâchent un peu leurs enfants malgré la maladie. L’école ne doit pas non plus être un frein à l’acquisition de l’autonomie.

Lorsque la puéricultrice et la diététicienne du service se déplacent dans l’école de l’enfant, elles apportent une information déconnectée de la charge émotionnelle des parents qui peut effrayer les personnels scolaires. Elles rappellent qu’il n’y a pas de risque à avoir un enfant avec du diabète dans sa classe, et que celui-ci peut participer à toutes les activités.

La campagne de sensibilisation aux signes du diabète chez l’enfant menée en 2010-2011 par l’association AJD (Aide aux jeunes diabétiques) et l’association Enfance/Adolescence et Diabète Midi-Pyrénées a amélioré le diagnostic précoce de la maladie en 2012. Depuis, les diagnostics tardifs sont repartis à la hausse.

Corinne Colmel diététicienne, présidente de l’association Enfance/Adolescence et Diabète Midi-Pyrénées