Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Droit

Gilles Devers  

Le dossier du patient est constitué d’informations le concernant, partagées entre les différents professionnels intervenants et le patient. C’est un outil de synthèse médicale et paramédicale, en vue de la démarche préventive, diagnostique et thérapeutique. La bonne tenue du dossier contribue à la continuité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.

La qualité des soins est étroitement liée à la qualité du dossier du patient. Que ce soit en soins généraux ou en psychiatrie, la prise en charge du patient suppose une implication individuelle de chacun des acteurs, et donc une forte organisation du travail en équipe, ce qui rend l’écrit indispensable. De plus, une prise en charge s’inscrit dans la durée, et il est important de pouvoir retrouver la trace des périodes de soins antérieures. Enfin, et de manière générale, le patient a droit à ce que soit conservée la trace des actes médicaux qui ont été son histoire, à un moment difficile de la vie.

La mauvaise qualité des écrits dans le dossier ne veut pas dire que les soins n’ont pas été faits, ou qu’ils n’étaient pas de qualité, mais elle prive le patient de garanties pour le suivi de la prise en charge, et fragilise la position des soignants en cas de recours en justice. Dans la même optique, le dossier doit être vivant, humain, partagé, précis, engagé… comme doit l’être la relation de soins. Un dossier qui serait correct sur le plan formel, mais focalisé sur les minimas réglementaires et marginalisant la clinique, ne répondrait pas à ce qui est attendu.

DOSSIER MÉDICAL OU DOSSIER DU PATIENT ?

Dossier médical, dossier infirmier, dossier administratif, dossier social… Le patient analysé à partir d’un millefeuille ? Non, la seule approche valable est le dossier du patient.

Le volet administratif, géré par les services administratifs de l’établissement, ne répond pas au même régime juridique, car les règles du secret professionnel jouent moins. Toutefois, on ne doit pas trouver un partage trop scindé entre l’administratif et le médical. Le patient est soigné parce qu’il existe une prise en charge par l’Assurance maladie et les services sociaux. Les deux volets ont des implications distinctes, mais un soignant doit avoir à l’esprit la vision globale du patient. Le partage fonctionnel dans la gestion du dossier doit se combiner avec la volonté de décloisonner.

Juridiquement, les informations appartiennent au patient, et l’hôpital en est seulement dépositaire.

QUELLE RÉFÉRENCE : LA LOI, LE DÉCRET, LES BONNES PRATIQUES ?

Le dossier du patient est souvent présenté comme une résultante de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 qui a refondu la question pour permettre notamment l’accès direct du patient aux informations, loi complétée par deux décrets, n° 2002-637 du 29 avril 2002 et n° 2003-462 du 21 mai 2003, l’ensemble se retrouvant dans le Code de la santé publique (CSP). On dispose ainsi de références précises sur ce que l’on doit retrouver a minima, notamment avec le descriptif article R1112-2 du CSP. Ici, il faut bien s’entendre.

Cette précision des textes est salutaire, et les efforts faits pour renforcer le contenu formel du dossier sont très utiles. Mais, attention, la source du dossier du patient n’est pas le décret, mais le patient ! Le dossier était évidemment pratiqué avant la loi du 4 mars 2002 et, compte tenu de ce que sont les pratiques médicales, la même qualité rédactionnelle serait exigible si cette loi n’avait pas été adoptée. Pour comprendre, il faut toujours repartir de la base : une pratique professionnelle au service d’un patient. Aussi, lorsqu’un service doit concevoir et gérer le dossier du patient, il doit d’abord se situer dans cette approche fondamentale de la relation de soins, pour ensuite la mettre en oeuvre en fonction des outils techniques que donne le CSP.

Il y a un certain risque à voir des dossiers trop réglementaires, pratiquement rédigés selon des critères “médico-légaux”, alors que dans le dossier, d’abord et avant tout, la contrepartie de la pratique des soins par des professionnels qui s’engagent en fonction de leur savoir et de leur déontologie est primordiale. Ce qui doit ressortir de la lecture du dossier, c’est avant tout cette implication personnelle.

LE DOSSIER ET LE SECRET PROFESSIONNEL

Le secret professionnel répond à un cadre législatif fort, posé par le Code pénal (article 226-13), détaillé par des articles législatifs du CSP (article L1110-4), et reposant sur des jurisprudences solides, qui en soulignent le caractère d’ordre public. D’une bonne attitude dépend la capacité de recevoir les confidences, indispensables à la pratique des soins, car le malade ne peut se livrer que s’il a confiance dans l’intimité de la relation existant avec le professionnel.

Pour autant, bien des informations intimes doivent être partagées au sein de l’équipe médicale, et le dossier est le lieu de référence du secret partagé. Ce partage de l’information n’a rien d’automatique. La loi prévoit une présomption, qui répond à une profonde logique. Lorsque je m’adresse à une équipe médicale pour une prise en charge, cette équipe va devoir partager un certain nombre d’informations confidentielles. Mais cette présomption doit être analysée avec circonscription, et des confidences ne peuvent être partagées que si elles sont nécessaires à la prise en charge.

Le secret n’est pas opposable au patient, et on ne peut envisager d’écarter du dossier des informations le concernant au motif qu’il risque d’en prendre connaissance… Le patient doit être en mesure de recevoir toutes les informations le concernant, à charge pour les professionnels de toujours rester soignants, avec l’accompagnement nécessaire pour que ces informations soient comprises. De même, le professionnel doit prendre en compte la volonté du patient de ne pas être informé de données concernant sa santé ou les risques auxquels il s’expose. Mais toutes les informations concernant l’état de santé doivent figurer dans le dossier, et si un jour le patient demande à avoir accès au dossier, selon les formes prévues par les textes, il devra y trouver la trace complète du suivi, et ce, même si cette lecture directe est déstabilisante.

QU’EST-CE QU’UNE INFORMATION ?

À partir de quel stade des éléments factuels paraissent-ils suffisamment établis pour être considérés comme des informations ? La loi (CSP, article L1111-7) retient la formule d’informations « formalisées », ce qui est peu précis… Cette question renvoie à des critères factuels liés à l’approche de chaque professionnel, et la loi ne saurait poser un critère général. Pour autant, deux remarques s’imposent.

Tout d’abord, les textes listent un certain nombre d’informations à reporter dans le dossier. Ces préconisations légales et réglementaires s’imposent, sans discussion. Par ailleurs, doivent figurer dans le dossier des données qui ne sont pas encore à strictement parler des informations médicales entendues comme des faits établis et vérifiés. On peut donner un critère général, mais dans le processus décisionnel, qui se construit par étapes. Entre une première intuition et l’information médicale, il revient à chacun de déterminer le seuil d’élaboration à partir duquel les données deviennent suffisamment tangibles pour figurer dans le dossier. Bien entendu, ces données imparfaites ne seront pas traitées de la même manière qu’une information médicale confirmée par un examen ou un compte rendu de réunion d’équipe. Tout ce qui peut participer à la qualité de la prise en charge, notamment par le témoignage d’interrogations ou d’incompréhensions, doit figurer dans le dossier. La prise de la décision médicale est difficile, et si le dossier n’a pas à retracer les états d’âme il est logique que l’on retrouve les éléments du questionnement qui ont précédé la prise de décision. À la suite des textes prévoyant la communication directe du dossier, se sont répandues certaines préconisations selon lesquelles seules devaient figurer les données objectives et vérifiables. Rien ne justifie cette approche psychorigide, sous la seule réserve que la lecture du dossier permette de distinguer ce qui relève du questionnement, de la constatation et de la conclusion. La capacité d’une équipe à s’interroger collectivement, à admettre les points de vue différents, à savoir mettre en doute ses analyses avant la prise de décision, détermine la qualité de la décision qui suivra. Aussi, un dossier laissant apparaître, dans un cadre sérieux et organisé, plusieurs points de vue avant la prise de décision n’est pas un dossier incohérent, mais, au contraire, le reflet d’une équipe qui sait travailler collectivement, en écoutant les uns et les autres, en se posant des questions, bref, en réfléchissant avant de décider.

L’ACCÈS DIRECT AU DOSSIER

La loi du 4 mars 2002 est célèbre pour avoir organisé l’accès direct du patient à son dossier médical. La pratique prouve que, s’il n’en a pas résulté une déferlante, les demandes de copies de dossiers interviennent désormais régulièrement. Les modalités de transmission du dossier résultent de procédures précises, parfaitement connues auxquelles il convient de renvoyer. En revanche, deux points doivent être notés.

Tout d’abord, si la loi a créé cette procédure nouvelle d’accès direct, les patients ont toujours pu préalablement accéder au dossier. Cela se faisait dans le cadre de l’expertise judiciaire, ou par une procédure simple engagée devant le juge des référés qui ordonnait la communication du dossier, souvent comme préalable à la décision du patient d’engager ou non un recours en justice. Ainsi, la loi a fait passer une étape, sous forme d’une simplification, mais elle n’a pas changé le principe, de telle sorte que cet accès direct ne doit pas modifier les pratiques.

Par ailleurs, et sous réserve des dispositions techniques qui visent à écarter du dossier transmis les informations concernant les tiers, il est certain que la lecture directe du dossier peut être de nature déstabilisante pour le patient, quels que soient les soins, mais notamment en psychiatrie (CSP, article L1111-7 alinéa 4, permettant la présence d’un médecin pour les hospitalisations sous contraintes). Cette lecture d’observations professionnelles, à l’état brut, est nécessairement une épreuve. Mais la loi a créé le cadre de cette épreuve, et des patients – pour des raisons qui leur appartiennent – engagent cette procédure. Aussi, c’est leur choix, et les professionnels ne doivent pas limiter leurs écrits en pensant que, si un jour le patient a un accès direct, cela pourrait lui être néfaste.

LES NOTES PERSONNELLES

Les notes personnelles posent un véritable débat. Il n’existe pas de régime légal, et la jurisprudence, rare, ne supplée pas. Aussi, c’est par rapport à l’analyse des principes qu’il convient de raisonner. En réalité, tout dépend de la définition de la notion de notes personnelles. C’est la question des impressions, du ressenti, des interrogations du professionnel de santé, à savoir le chemin de la compréhension d’une situation clinique, évoqué plus haut. À partir de quel moment ces analyses sont suffisamment solides pour figurer dans le dossier ? Les questionnements, dès lors qu’elles ont un certain contenu, doivent figurer dans le dossier, en distinguant bien sûr cette phase préparatoire, marquée par le doute et la décision. Le dossier doit être vivant et retracer la méthode de travail de l’équipe. Une bonne méthode de travail inclut les interrogations et le doute. En revanche, à partir du moment où apparaît dans le dossier des éléments qui permettent de comprendre comment a été prise la décision, il reste objectivement une phase de réflexion qui peut être intuitive, ou d’ordre général, ou de l’aide-mémoire, qui peut amener à rédiger des “notes personnelles”. Bref, on peut tout à fait défendre qu’il existe pour un professionnel de la santé un espace pour des interrogations en conscience qui, à partir de faits peu établis, conduisent à des réflexions et des interrogations, et le professionnel peut avoir recours à des notes personnelles, non portées dans le dossier, car elles sont d’abord une réflexion personnelle du praticien. Quoi qu’il en soit, cette mise à l’abri n’est envisageable que si l’on retrouve dans le dossier médical tous les éléments nécessaires pour comprendre la prise de décision. Une dernière remarque. Pour un procès, on se satisfait en règle générale du dossier patient tel qu’il est géré dans les structures. Mais, dans le cadre d’une enquête pénale, le juge dispose de la possibilité de saisir tous les documents susceptibles d’éclairer l’enquête, et ce, y compris les notes personnelles. Le juge devrait justifier que cette mesure, très intrusive, est nécessaire pour la procédure qu’il doit instruire, ce qui est possible, car son instruction concerne les faits eux-mêmes, mais également la personnalité.

ÉCRITS ET RESPONSABILITÉ

C’est une idée qui n’a pas de sens mais que l’on entend hélas trop souvent : ne pas trop écrire dans le dossier pour ne pas engager sa responsabilité… En fait, la réalité est exactement l’inverse: c’est l’insuffisance du dossier qui aggrave le risque. La responsabilité repose sur la faute, c’est-à-dire la faute dans la pratique des actes de soins, qui a causé un dommage corporel. Lorsque la justice examine une situation litigieuse, son approche sera radicalement différente selon que l’on trouve un dossier bien tenu ou non. Si le dossier est mal tenu et que les renseignements sont faibles, le tribunal sera amené à tirer des présomptions à partir des éléments aggravants subis par le patient, pour déduire que les soins n’ont pas été de qualité. L’équipe sera en difficulté pour se défendre, car il lui manquera les éléments basiques de la preuve. De plus, elle apparaîtra négligente dans la tenue des dossiers, ce qui accrédite qu’elle puisse être négligente dans la pratique des soins. Aussi, il est déplorable que cette idée de ne pas trop remplir les dossiers pour ne pas engager sa responsabilité, sur le mode “pas vu, pas pris” puisse encore avoir quelque crédit… Les professionnels doivent être bien avisés qu’un dossier mal tenu est le premier pas dans la démonstration de la faute.

CE QUE DIT LA LOI

CSP, ARTICLE L1111-7

Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l’exception des informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu’un délai de réflexion de 48 heures aura été observé. Ce délai est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de cinq ans ou lorsque la commission départementale des soins psychiatriques est saisie en application du quatrième alinéa. La présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire, pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance sans accompagnement ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations. À titre exceptionnel, la consultation des informations recueillies, dans le cadre d’une admission en soins psychiatriques décidée en application des chapitres II à IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du présent code ou ordonnée en application de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, peut être subordonnée à la présence d’un médecin désigné par le demandeur en cas de risques d’une gravité particulière. En cas de refus du demandeur, la Commission départementale des soins psychiatriques est saisie. Son avis s’impose au détenteur des informations comme au demandeur.

CSP, ARTICLE R1112-2

Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé. Ce dossier contient au moins les éléments suivants, ainsi classés :

1. Les informations formalisées recueillies lors des consultations externes dispensées dans l’établissement, lors de l’accueil au service des urgences ou au moment de l’admission et au cours du séjour hospitalier, et notamment :

a) la lettre du médecin qui est à l’origine de la consultation ou de l’admission ;

b) les motifs d’hospitalisation ;

c) la recherche d’antécédents et de facteurs de risques ;

d) les conclusions de l’évaluation clinique initiale ;

e) le type de prise en charge prévu et les prescriptions effectuées à l’entrée ;

f) la nature des soins dispensés et les prescriptions établies lors de la consultation externe ou du passage aux urgences ;

g) les informations relatives à la prise en charge en cours d’hospitalisation: état clinique, soins reçus, examens para-cliniques, notamment d’imagerie ;

h) les informations sur la démarche médicale, adoptée dans les conditions prévues à l’article L1111-4 ;

i) le dossier d’anesthésie ;

j) le compte rendu opératoire ou d’accouchement ;

k) le consentement écrit du patient pour les situations où ce consentement est requis sous cette forme par voie légale ou réglementaire ;

l) la mention des actes transfusionnels pratiqués sur le patient et, le cas échéant, copie de la fiche d’incident transfusionnel mentionnée au deuxième alinéa de l’article R1221-40 ;

m) les éléments relatifs à la prescription médicale, à son exécution et aux examens complémentaires ;

n) le dossier de soins infirmiers ou, à défaut, les informations relatives aux soins infirmiers ;

o) les informations relatives aux soins dispensés par les autres professionnels de santé ;

p) les correspondances échangées entre professionnels de santé ;

q) les directives anticipées mentionnées à l’article L1111-11 ou, le cas échéant, la mention de leur existence ainsi que les coordonnées de la personne qui en est détentrice.

2. Les informations formalisées établies à la fin du séjour.

Elles comportent notamment :

a) le compte rendu d’hospitalisation et la lettre rédigée à l’occasion de la sortie ;

b) la prescription de sortie et les doubles d’ordonnance de sortie ;

c) les modalités de sortie (domicile, autres structures) ;

d) la fiche de liaison infirmière.

3. Les informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers.

Sont seules communicables les informations énumérées aux 1. et 2.