Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

La santé se trouve toujours dans les principales préoccupations des citoyens. Le gouvernement a lancé en septembre la stratégie nationale de santé ; de nombreuses institutions portent dans leur appellation le terme de santé; les économistes travaillent sur l’amélioration du système de santé… Le terme “santé” est particulièrement présent. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Certes, mais la santé vue par l’individu n’est pas celle appréhendée par le responsable de santé publique, qui n’est pas celle de l’économiste. Définir la santé est très complexe, compte tenu de ses nombreuses dimensions.

LA DIMENSION PSYCHIQUE DE LA SANTÉ

Deux approches de la santé

Notons que la santé est un important critère de qualité de vie pour les individus, pour qui la principale préoccupation est d’être en bonne santé. Deux approches de la santé sont cependant possibles :

• l’approche passive consiste pour un individu à se dire en bonne santé parce que ses organes ne démontrent aucun signe de défaillance, ou parce que ses besoins sont satisfaits. Autrement, l’individu peut être un malade qui s’ignore. Ainsi cet individu va-t-il avoir tendance à profiter de la vie au maximum, sans pour autant se préoccuper des facteurs déterminants de santé.

• l’approche positive, c’est le résultat d’une guérison: l’individu vient de subir une maladie qu’il a surmontée, et bien que la guérison ne soit pas totalement atteinte, il se dit en bonne santé.

Deux dimensions de santé

Ce qui traduit les deux dimensions de santé : une objective et une subjective. Car la dimension subjective est inhérente à tout besoin de santé. La manifestation d’un besoin de santé s’apparente toujours à une dimension objective et une dimension subjective, mise en évidence pour la première fois par des chercheurs analysant les dépenses de santé dans les années 1970. Ils constatent que les dépenses de santé sont en croissance exponentielle alors que l’état de santé stagne : cela traduit-il l’inefficacité des politiques de santé ? Les chercheurs répondent qu’il faut y voir plutôt l’inadéquation des indicateurs de mesure utilisés pour l’état de santé d’une population. En effet, ceux-ci sont exprimés en termes de durée de vie, taux de mortalité et espérance de vie, c’est-à-dire une mesure grossière (vivant ou mort) pour évaluer l’état de santé de la population. Pour les chercheurs, l’état de santé d’une population déborde largement du critère vivant ou mort, dimension objective, dans la mesure où le besoin de santé a une dimension subjective non négligeable. Lorsqu’un individu se rend chez le médecin, il manifeste un besoin objectif de réparation et un besoin subjectif de sécurité qui peut être le seul à exister dans certains cas. Les médicaments dits “placebo”, qui n’ont pas d’efficacité technique, illustrent parfaitement cette dimension subjective du besoin de santé.

Ce raisonnement a fait école depuis et une majeure partie de la politique actuelle de régulation des dépenses de santé repose sur cette idée avec une hiérarchisation des remboursements, en fonction du degré de confort.

Concepts de morbidité

Mais il est extrêmement difficile de distinguer les deux dimensions objectives et subjectives de la santé : les médicaments “placebo” peuvent avoir une certain efficacité sur les individus, en exerçant une fonction d’assurance et de réassurance, alors même qu’ils sont inefficaces techniquement et cliniquement. Dès lors, plusieurs concepts de morbidité ont été définis : réelle, ressentie et diagnostiquée.

• La morbidité diagnostiquée correspond à l’ensemble des affections diagnostiquées par le corps médical, qui nécessitent le recours au système de santé, à condition que le besoin ait fait l’objet d’une demande de la part de l’individu.

• La morbidité réelle correspond au fait que certaines affections sont ressenties par les individus sans pour autant être le support d’un recours au système de santé ; que d’autres affections sont inconnues des individus et ne sont révélées qu’aléatoirement au cours de la vie, sans faire l’objet d’une demande de santé.

• Enfin, la morbidité ressentie traduit des troubles qui sont ressentis et qui se traduisent ou pas par le recours au système de santé. Elle dépend bien sûr des techniques médicales en cours et s’accroît avec l’évolution de celles-ci.

On peut dès lors faire apparaître plusieurs situations : une morbidité réelle, diagnostiquée mais non ressentie (par exemple, les affections pulmonaires diagnostiquées lors d’un cliché radiologique mais dont l’individu ne souffre pas) ; une morbidité réelle, ressentie mais non diagnostiquée (par exemple, les carries dentaires) ; une morbidité réelle ni diagnostiquée, ni ressentie (inconnue donc par définition) ; une morbidité ressentie, diagnostiquée mais pas réelle (par exemple, les maladies psychosomatiques).

LA DIMENSION SOCIALE DE LA SANTÉ

L’échelonnement de l’espérance de vie reflète la condition socio-professionnelle et les conditions de vie et de travail. On note des comportements différents entre les hommes et les femmes en matière de prévention, de recours au système de santé. Boltanski compare le risque sanitaire par catégorie socio-professionnelle appréhendé en termes d’espérance de vie et le recours aux soins médicaux. L’écart entre ces deux variables diminue lorsque l’on passe des cadres supérieurs aux cadres moyens, des ouvriers aux employeurs, des ouvriers aux ouvriers agricoles. Plus l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus l’on consomme des soins médicaux à risque morbide donné. Il annonce les explications suivantes :

• il y a entre les individus aisés une communauté de langage avec le médecin qui permet de mieux opérer la transformation de la sensation de symptôme ;

• les conditions de vie, de travail, sont plus favorables chez les classes privilégiées et favorisent mieux l’écoute du corps.

Toutefois, ce constat a été contesté, la différence de consommation médicale par catégorie socioprofessionnelle n’étant pas statistiquement significative. Ce qui change, c’est le mode de recours aux soins et donc la qualité subjective de la prise en charge.

L’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE D’UNE STRATÉGIE DE SANTÉ

On définit souvent arbitrairement le produit d’un système de santé comme l’amélioration de l’état de santé d’un individu ou d’une population suite au plan de guérison suivi : c’est le différentiel entre l’état de santé à la sortie et à l’entrée du système de santé. Dès lors, on confond à la fois l’input et l’output, à travers l’individu. Cela suppose cependant une évolution normale de cet état de santé en l’absence de tout traitement. Cette définition implique de nombreuses difficultés de mesure du produit du système de santé. La nécessité d’évaluer correctement l’efficacité d’une politique de santé s’est fait jour sous l’impact économique de la crise et des difficultés financières de la Sécurité sociale. À enveloppe budgétaire restreinte, comment améliorer néanmoins l’état de santé de la population ? Deux confusions doivent être évitées : d’une part, celle qui consiste à se focaliser uniquement sur le coût (approche comptable), d’autre part, celle qui consiste à ne considérer que l’efficacité médicale (approche thérapeutique). L’évaluation économique, c’est l’analyse du rapport coût-résultat. Trois conditions sont indispensables pour mener à bien une évaluation médico-économique d’une stratégie de santé : comparer alternativement deux actions visant un même objectif entre lesquelles il convient de choisir ; mesurer simultanément les coûts et les résultats ; spécifier le point de vue adopté. Ensuite, plusieurs types d’évaluation sont possibles : celle qui revient à choisir la stratégie qui minimise le coût à résultat comparable ; l’évaluation coût-efficacité avec un objectif à dimension unique comme par exemple limiter le nombre de décès ; la méthode coût-utilité comme par exemple le nombre d’années de vie gagnées ; la méthode coût-bénéfice, qui valorise monétairement les conséquences d’une politique (valorisation de la vie humaine).

CONCLUSION

La santé recouvre de nombreuses facettes, selon le point de vue adopté, l’objectif poursuivi. Sans oublier que les déterminants de la santé ne sont pas issus du système de santé lui-même, mais tout ce qui concourt à améliorer l’environnement de vie de la personne :

• le mode de vie : de nombreux facteurs de risque sont intrinsèquement liés au mode de vie. Les soins corporels, l’activité physique, l’alimentation, le travail, les problèmes de toxicomanies, notamment, ont un impact global sur la santé des individus ;

• l’hygiène de vie : c’est le développement de l’hygiène qui a permis d’améliorer considérablement l’état de santé de la population française ;

• l’environnement : la pollution est une source importante de maladies.

Dès lors, le spécialiste de la santé publique va se focaliser sur ces déterminants de la santé.

L’enjeu de la stratégie nationale de santé est d’arriver à concilier l’ensemble de ces points de vue.

LA SANTÉ, QUELQUES INSTITUTIONS ET ORGANISMES

→ LE MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ

Le ministère de la santé est en charge de la politique nationale de santé publique. Aujourd’hui, trois grandes directions en sont chargées, placées sous la responsabilité d’un secrétariat général :

– la direction générale de la santé (DGS) est chargée d’élaborer et de mettre en oeuvre la politique relative à la prévention, à l’environnement sanitaire, à la maternité, à l’enfance et aux actions spécifiques de santé, à la gestion des risques sanitaires, ainsi qu’à l’organisation et à la formation des professions médicales et paramédicales ;

– la direction générale de l’offre de soins (DGOS) est chargée de la programmation de l’offre de soins et des investissements hospitaliers, de la gestion des statuts et de la formation des personnels hospitaliers, ainsi que de l’organisation des établissements hospitaliers ;

– la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pilote la mise en oeuvre des politiques d’action sociale en direction des personnes ou des groupes en difficulté sociale, des enfants et des adultes handicapés, des personnes âgées ainsi que des familles, des enfants et des adolescents.

→ LA HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ

La Haute Autorité de santé (HAS), créée en 2004, est chargée d’évaluer l’utilité médicale de l’ensemble des actes, prestations et produits de santé pris en charge par l’Assurance maladie, de mettre en oeuvre la certification des établissements de santé et de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et du grand public.

→ L’INSTITUT NATIONAL DE PRÉVENTION ET D’ÉDUCATION POUR LA SANTÉ

Créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l’INPES est plus particulièrement chargé de mettre en oeuvre les politiques de prévention et d’éducation pour la santé, dans le cadre des orientations de la politique de santé publique fixées par le gouvernement et le Parlement.

→ LES AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ

Créées le 1er avril 2010, les Agences régionales de santé (ARS) sont en charge de la déclinaison et de la mise en oeuvre régionale de la politique nationale de santé, de la définition d’une politique régionale de santé, de l’organisation des soins, de la veille et de la sécurité sanitaire, ainsi que de la prévention dans leur région. Elles exercent leurs compétences dans les domaines ambulatoires, hospitaliers et médico-sociaux.

→ LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Publics ou privés, autorisés et financés par les ARS, les établissements de santé délivrent les soins aux malades qui en ont besoin.

→ LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Libéraux ou salariés les professionnels de santé regroupent les médecins, les infirmiers, les chirurgiens dentistes, les pharmaciens, les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les biologistes, les pédicures-podologues, les orthoptistes, les orthophonistes.

→ LE SYSTÈME DE SANTÉ

Un système de santé englobe l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources dont le but est d’améliorer la santé. La plupart des systèmes de santé nationaux sont composés d’un secteur public, d’un secteur privé, d’un secteur traditionnel et d’un secteur informel. Les systèmes de santé remplissent principalement quatre fonctions essentielles : la prestation de services, la création de ressources, le financement et la gestion administrative.