Économie de la santé
La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol?Touraine, a signé le 31 mars dernier la circulaire relative à la campagne tarifaire 2014 des établissements de santé. Dans le cadre de la maîtrise du taux de l’évolution des dépenses des établissements de santé (Ondam hospitalier) fixé à 2,3 %, la circulaire introduit deux mécanismes de régulation des dépenses : une régulation par les prix et une régulation par les volumes.
La circulaire n° DGOS/R1/2014/99 du 31 mars 2014 relative à la campagne tarifaire 2014 des établissements de santé introduit deux mécanismes de régulation des dépenses :
• une régulation par les prix dans la mesure où les tarifs des disciplines MCO (médecine chirurgie obstétrique) des établissements de santé publics restent inchangés par rapport à ceux de 2013 ; mais également par l’application de mesures d’économies (c’est-à-dire une réduction des dépenses a priori) sur les enveloppes Mig (missions d’intérêt général) et Daf (dotation annuelle de fonctionnement) pour les disciplines psychiatrie, SSR (soins de suite et de réadaptation) et soins de longue durée ;
• une régulation par les volumes : d’une part, l’évolution des tarifs mentionnées précédemment s’apprécie en vertu d’une anticipation d’un taux d’évolution de l’activité à + 2,8 % pour les établissements de santé publics MCO et à + 2 % pour les établissements de santé privés ; une mise en réserve prudentielle en début d’année (le “gel”) appliqué à la fois sur les tarifs (- 0,35 %) et sur les enveloppes Daf et Fir (fonds d’intervention régionale). Concernant ces dernières, il convient de souligner que les “gel” sont calculés par région en fonction du “dynamisme” de l’activité constaté en 2013 par rapport à la moyenne nationale corrigée de l’évolution démographique. Autrement dit, une région dont le taux d’évolution de l’activité MCO en 2013 a été supérieure à la moyenne nationale (pour mémoire + 2,8 %) est pénalisée avec un plus fort pourcentage de gel.
Mais la régulation des dépenses hospitalières par les prix et par les volumes est-elle compatible avec la démarche largement diffusée sur le territoire de recherche de la performance dans les établissements de santé dont de nombreuses actions reposent sur l’augmentation de l’activité par une reprise des parts de marché ? L’occasion pour nous de revenir sur l’évolution des dépenses, de la gestion et de l’organisation hospitalière publique depuis le début des années 1970.
Avant 1984, c’était le système de prix de journée tout compris qui s’appliquait à l’hôpital public. Pour chaque hôpital, le prix de journée annuel est établi à partir d’un prix de journée prévisionnel tout compris en divisant les dépenses d’exploitation prévisionnelles (intégrant l’excédent ou le déficit de l’exercice précédent) par le nombre de journée d’hospitalisation prévisionnelles. Ce prix de journée prévisionnel est proposé par le directeur d’hôpital au préfet qui l’arrête (aujourd’hui compétence dévolue à l’agence régionale de santé, ARS). À noter que ce prix de journée était sans réelle corrélation avec le coût de l’activité, en l’absence totale à l’époque de comptabilité analytique. On se basait tout simplement sur les dépenses constatées l’année précédente, maîtrisées ou pas.
Or, dès 1974, on observe un décalage entre le prix de journée prévisionnel proposé par l’hôpital public et le prix de journée autorisé par le préfet, ce dernier étant largement inférieur au premier : premier mécanisme de régulation par les prix. Mais l’hôpital peut échapper à la contrainte de la tutelle en jouant sur les journées d’hospitalisation : le prix est bloqué mais pas le nombre de journées. Les hôpitaux peuvent ainsi multiplier les journées d’hospitalisation pour compenser la politique de maîtrise des dépenses instaurée par la tutelle. Il n’y a pas de régulation des volumes.
Pour l’anecdote, quarante ans plus tard, c’est le même mécanisme qui est observé dans le secteur médico-social, dans les établissements pour personnes en situation de handicap qui sont encore financés sous le système de prix de journée pour certains (les autres sont sous contrat, et donc sous budget global). Ainsi a été constatée une surconsommation de l’Ondam médico-social en 2013 dans le secteur des personnes handicapées, soit 55 millions d’euros de trop, dans la mesure où le nombre de journées a été supérieur aux prévisions, alors que les ARS avaient arrêté les prix en fonction du taux d’évolution de l’Ondam. Comment imaginer que, quarante ans plus tard, ce secteur, et donc les autorités publiques, n’aient pas encore tiré toutes les leçons des limites du prix de journée de 1974 ? La circulaire budgétaire relative au secteur médico-social pour 2014 demande une vigilance accrue aux ARS pour éviter cette surexécution de l’Ondam. Mais n’est-ce pas peine perdue quand on sait que, dans le secteur sanitaire, un autre système de financement a dû être mis en place pour contrer cet effet pervers. Autrement dit, le secteur médico-social aurait-il quarante ans de retard en la matière ? Et pourtant, dans le secteur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, certains hésitent encore à passer au système du tarif global, sans parler même de tarification à la pathologie. D’autant que si le coût d’hospitalisation est élevé dans les premiers jours (examens, diagnostic, soins aigus), il décroît puis finit par être constant. Dès lors, l’hôpital a tout intérêt à garder le malade le plus longtemps possible, la tarification étant indépendante de la durée moyenne de séjour : un système aux antipodes de la T2A (tarification à l’activité) en vigueur aujourd’hui ! Dans un tel système, les hôpitaux avaient intérêt à prendre en charge des personnes âgées qui restent longtemps à l’hôpital. Là encore un paradoxe, quand on sait aujourd’hui que c’est tout le contraire ! Comme quoi, le mode de financement influe très fortement sur la manière de délivrer les soins et la sélection de la clientèle. Le système de prix de journée était donc très inflationniste, la régulation par les prix ne permettant pas la régulation des volumes. Dès lors, les pouvoirs publics en 1984 décident d’y remédier en instaurant le budget global, qui va à la fois contraindre les prix et les volumes.
Budget fixé a priori en début d’exercice, le budget global est avant tout un budget de dépenses encadrées. Le directeur ne doit pas dépasser le budget qu’on lui fixe. C’est le système qui est encore en vigueur pour la majeure partie des opérateurs publics de l’État, mais également les ministères, et aussi en quelque sorte la Daf, qui n’est autre que l’ancien budget global pour la psychiatrie et le SSR. Selon le point de vue adopté, pouvoirs publics ou hôpital, le budget global apparaît comme un avantage ou un inconvénient.
C’est au budget global qu’on doit le ralentissement de la part des dépenses hospitalières dans l’ensemble des dépenses de santé. Mais cette efficacité sur les dépenses a pour contrepartie le rationnement à l’hôpital. Le budget global a permis un dégraissage de l’activité hospitalière et a fait apparaître des gains de productivité. Il a permis à la tutelle de se réapproprier le budget discrétionnaire du directeur.
On ne sait pas si l’hôpital ne va pas baisser la qualité de soins pour pouvoir satisfaire la contrainte du budget global, à savoir rester dans les dépenses encadrées en diminuant les soins prodigués pour diminuer le coût de prise en charge. Car le directeur a tout intérêt à diminuer les coûts.
Le budget global supprime la facturation individuelle, même si les hôpitaux sont néanmoins tenus de calculer un prix de journée virtuel pour le remboursement des mutuelles et du ticket modérateur. Ce qui explique le changement culturel majeur vingt ans plus tard, avec l’instauration de la T2A qui remettait en avant la facturation de l’activité, habitude que les établissements avaient complètement perdue avec le budget global. Il aura fallu dix ans pour que ce changement soit opérationnel, et encore, tous les établissements ne sont pas aujourd’hui à la facturation au fil de l’eau. Mais, surtout, le budget global accroît les inégalités entre les hôpitaux. En 1984, il a pris pour point de départ les situations budgétaires hospitalières de cette même année, sans pour autant connaître qui étaient les établissements efficaces. Un établissement qui avait un gros budget était peut être un établissement qui multipliait les journées et qui donc n’était pas efficient. Or le taux directeur appliqué chaque année consiste à reconduire d’année en année les inégalités entre les établissements : on a laissé perdurer une situation inéquitable où les budgets ne correspondaient pas au coût de l’activité mais à une base historique non certifiée.
C’est au vu de cette dichotomie grandissante entre le budget des établissements et le coût réel des établissements, et malgré la mise en place d’un système de péréquation des enveloppes entre régions dans les années 1997 à 2000, que les pouvoirs publics décident de mettre en place en 2004 la T2A, basée sur le coût réel de l’activité.
L’idée est venue des États-Unis. Elle consiste à segmenter la population hospitalière en groupes homogènes de malades (GHM) pour étudier les coûts par groupes homogènes de séjours (GHS), ce qui conduit à des groupes homogènes de tarifs (GHT). À l’hôpital, nous sommes en présence d’une firme multiproduit : à l’extrême, on peut dire que chaque malade est un cas, et, dès lors, il serait impossible de comparer les coûts. D’où cette gestion par GHM. Mais les médecins et les économistes n’entendent pas la même chose par homogénéité : pour les médecins, les malades sont homogènes cliniquement (même pathologies mais à coûts différents) ; pour les économistes, économiquement (mêmes coûts mais pathologies différentes). D’où la nécessité de définir une base nationale de GHM qui permettra de comparer les coûts de ses différents GHM : c’est ce qu’on a appelé l’échelle nationale de coûts. En 2004, deux propositions ont été mises sur la table : adapter le budget global en remplaçant le taux directeur par une évolution en fonction du coût par GHM (ce que certains ont appelé un budget global à la pathologie) ; remplacer le budget global par un financement à la pathologie fondé sur les GHM. C’est finalement la seconde solution qui sera retenue, avec la mise en place de la fameuse T2A. Aujourd’hui, la T2A n’est en place que pour les disciplines MCO publiques et privées : c’est toujours le système du budget global (Daf) qui s’applique pour la psychiatrie et le SSR dans le secteur public, le prix de journée dans le secteur privé. Par ailleurs, tout ne pouvant être financé en fonction de l’activité du fait de l’existence des missions de service public, comme les urgences par exemple ou bien encore la recherche et l’enseignement, a été mis en place un système de financement de missions d’intérêt général. Une enveloppe globale est donnée à l’établissement pour couvrir le surcoût de ces missions qui n’est pas financé par la T2A. Mais la plupart des Mig sont désormais financées selon le système JPE (justification au premier euro) : selon une modélisation établie par le niveau national, les Mig sont allouées aux établissements en fonction de critères d’activité. Ce qui revient donc à un budget global à l’activité. Ainsi, pour chaque séjour hospitalier, l’établissement perçoit-il un tarif qu’il facture auprès de l’Assurance maladie ; tarif établi en fonction d’une échelle nationale de coûts, et qui donc est le même partout sur le territoire.
Finalement, l’instauration de la T2A, système plus juste de financement car prenant en compte les coûts réels de l’activité hospitalière et finançant celle-ci en fonction de l’activité réellement exercée, n’a pas supprimé les mécanismes de régulation prix-volume, au contraire, elle les a amplifiés. Car les établissements de santé peuvent être tentés, comme dans un système de prix de journée, de multiplier les séjours. Ont été mis en place ainsi un mécanisme de contrôle de l’activité par l’Assurance maladie avec remboursement d’indus et systèmes de sanctions si erreurs constatées dans le codage de l’activité ; la définition de bornes hautes et de bornes basses dans les GHM afin de diminuer la DMS ; baisse des tarifs en cas de dépassement de l’activité prévisionnelle fixée par l’Ondam, soit une régulation collective. Par ailleurs, dans la mesure où l’enveloppe assurance maladie est contrainte, on fait jouer une régulation par les prix (fixation à la baisse des tarifs) ou par les volumes (mesures d’économies sur la Daf) pour rester dans le taux de l’évolution de l’Ondam. Pourtant, de nombreux établissements de santé signent actuellement des contrats de performance avec les ARS. Ces contrats visent le retour à l’équilibre budgétaire et un taux de marge brute qui permette à l’établissement d’investir sans se surendetter. Ils reposent sur des plans d’action qui s’emploient à la fois à améliorer la performance en jouant sur les coûts (développement de la chirurgie ambulatoire, gestion des lits, maîtrise de la masse salariale) mais également sur les recettes (développement des recettes d’activité, reprise de parts de marché). Dès lors, comment concilier une maîtrise globale des dépenses hospitalières publiques et parallèlement un encouragement à la performance des établissements de santé ?
Le secteur hospitalier recouvre un secteur public et un secteur privé. Depuis 1970, il existe également un secteur privé à but non lucratif, pouvant participer au service public hospitalier (la loi HPST du 21 juillet 2009 a réformé ce troisième secteur en créant le statut d’Espic (établissement de santé privé d’intérêt collectif, du fait de la refonte du service public hospitalier, supprimé au profit de la notion de missions de service public pouvant être exercées par les deux secteurs publics et privés). Ce qui entraîne obligatoirement un partage de clientèle entre les deux secteurs.
Jusqu’en 1984, les deux secteurs étaient financés au prix de journée : un prix était déterminé à la journée d’hospitalisation, en fonction de la discipline médecine, chirurgie ou obstétrique. À la différence près que si le prix de journée est un “tout compris” dans le secteur public (c’est-à-dire qu’il prend en compte l’ensemble des coûts de fonctionnement, y compris médicaux), il ne comprend pas l’activité des médecins dans le secteur privé, les médecins intervenant à titre libéral dans les cliniques et donc facturant leurs actes directement auprès de l’Assurance maladie. Le prix de journée facturé par les cliniques correspond donc au coût résiduel de l’hébergement, du plateau technique, les médicaments, etc. Ce système est toujours en vigueur aujourd’hui pour les disciplines de SSR et de psychiatrie privés.
En 1984 est introduit le budget global à l’hôpital public : un budget est déterminé a priori en début d’année auquel on applique chaque année un taux d’évolution. Dès lors, alors que les hôpitaux publics sont bloqués par leur budget global – régulation par les prix des dépenses hospitalières publiques –, les cliniques privées peuvent multiplier les journées et vont sélectionner leur clientèle. Le secteur privé aura tendance à “sélectionner” les malades qui présentent un degré de morbidité plus faible, en “renvoyant” les autres malades vers le secteur public, dont les coûts de prise en charge vont être supérieurs. Ainsi le degré de morbidité est plus élevé en psychiatrie et en soins de longue durée, domaines d’activité où le secteur privé est moins présent. Le secteur privé s’articule donc essentiellement autour de la chirurgie et de la médecine de spécialité, constat toujours partagé aujourd’hui, même si le secteur public reprend chaque part de marché en chirurgie.
Malgré la mise en œuvre de la tarification à l’activité, cette dualité de financement existe toujours entre le secteur public et le secteur privé : d’une part, les tarifs ne sont pas les mêmes dans la mesure où ils sont un tout compris dans le secteur public et un résidentiel dans le secteur privé (les médecins libéraux sont toujours rémunérés à l’acte) ; d’autre part, les taux d’évolution sont différents, comme en attestent les décisions prises cette année encore avec une diminution des tarifs dans le secteur privé contre une stabilisation dans le secteur public. Cette dualité a été prise en compte pour expliquer l’arrêt de la convergence entre les tarifs du secteur public et privé en 2012.
DAF : dotation annuelle de fonctionnement
DMS : durée moyenne de séjour
Fir : fonds d’intervention régionale
GHM : groupes homogènes de malades
GHS : groupes homogènes de séjours GHT : groupes homogènes de tarifs
JPE : justification au premier euro
MCO : médecine chirurgie obstétrique
MIG : missions d’intérêt général Ondam : Objectif national des dépenses d’Assurance maladie
Ondam hospitalier : ensemble des deuxième et troisième sous-objectifs de l’Ondam qui retrace les dépenses d’Assurance maladie correspondant aux versements aux hôpitaux et aux cliniques privées
SSR : soins de suite et de réadaptation
T2A : tarification à l’activité
→ Circulaire n° DGOS/R1/2014/99 du 31 mars 2014 relative à la campagne tarifaire 2014 des établissements de santé