Les troubles musculo-squelettiques sont le problème de santé au travail le plus répandu en Europe. Leur prévalence augmente dans tous les secteurs d’activité et touche particulièrement le domaine de la santé. Les modes d’organisation du travail sont clairement mis en cause dans la survenue des TMS, ce qui en fait un signal fort de dysfonctionnement et de pénibilité au travail.
En France, les troubles musculo-squelettiques (TMS), première cause de morbidité liée au travail, représentaient en 2009 près de 85 % du total des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail ou une réparation financière en raison de séquelles. Ce phénomène n’est pas propre à la France. En 2005, les douleurs rachidiennes, des épaules ou des membres étaient le premier problème de santé imputé au travail dans l’Union européenne. « Le phénomène est mondial, avec un taux de TMS relativement similaire dans les différents pays, fait remarquer le professeur Yves Roquelaure, professeur de médecine et santé au travail, responsable du centre de ressources sur les maladies professionnelles et le maintien en emploi du CHU d’Angers, dans le Maine-et-Loire. Le niveau des TMS en Corée du Sud et au Japon est équivalent à celui de la France. Les TMS deviennent un sujet de préoccupation au Vietnam, en Thaïlande ou au Brésil, et commencent à intéresser certains pays africains comme le Nigéria et le Cameroun. »
Les TMS regroupent différentes pathologies dont les plus fréquentes sont les lombalgies, les cervicalgies, les douleurs articulaires, les tendinites (coiffe des rotateurs de l’épaule, épicondylite au coude…) et le syndrome du canal carpien. Ces pathologies affectent les tissus situés autour des articulations (muscles, tendons, nerfs, articulations et os), c’est-à-dire l’appareil locomoteur. Les parties du corps les plus fréquemment touchées sont le rachis et les membres, principalement les membres supérieurs (cou, épaule, coude, poignet et main), plus rarement les membres inférieurs (genou et cheville). Les TMS engendrent des conséquences individuelles en termes de souffrance, de réduction de l’aptitude au travail et de risque de rupture de carrière professionnelle. Quelle que soit leur localisation, les TMS peuvent devenir irréversibles et entraîner un handicap durable.
Mal de dos, sciatique, lumbago, etc., les lombalgies sont des affections très courantes, souvent liées au travail, qui se manifestent par des douleurs localisées dans le bas du dos. Elles sont souvent liées aux manutentions manuelles, aux chutes, à des postures de travail contraignantes ou à un travail physiquement pénible. Elles récidivent dans un tiers des cas et entraînent des conséquences parfois graves (arrêts de travail, inaptitudes, invalidité…). Dans plus de 90 % des cas, l’origine de ces douleurs n’est pas identifiée : il n’y a aucune anomalie ni sur les radiographies, ni aux examens biologiques
Plusieurs pathologies des membres supérieurs ou inférieurs sont considérées comme liées au travail. Elles concernent plusieurs localisations : l’épaule (syndrome de la coiffe des rotateurs…), le coude (épicondylite, épitrochléite, etc.), le poignet et la main (syndrome du canal carpien, tendinites des fléchisseurs et des extenseurs de la main et des doigts…), ou les membres inférieurs (hygroma, tendinites et compression nerveuse au niveau du genou…). Les principaux facteurs de risque rencontrés dans l’activité professionnelle sont les sollicitations biomécaniques (gestes répétitifs, efforts excessifs, postures inconfortables, position statique prolongée…), et le stress en lien avec l’organisation du travail.
Deux phénomènes sont à l’origine des TMS :
• l’hypersollicitation dynamique par le mouvement, les gestes répétitifs ;
• l’hypersollicitation statique dont est responsable l’immobilité des travailleurs sédentaires, alors que l’activité musculaire au niveau des cervicales ou des trapèzes est permanente et entraîne des contractions musculaires à bas bruit (travail sur ordinateur…). L’hypothèse du syndrome des fibres Cendrillon met en cause certaines fibres musculaires à seuil d’activation bas qui sont donc souvent mobilisées pour des contractions de faible niveau. En plus grande proportion dans les muscles posturaux (cou, dos, jambe), elles sont recrutées les premières (pour le maintien postural) et restent contractées jusqu’au relâchement complet du muscle. La douleur est la conséquence du sur-recrutement de ces fibres musculaires, qui, comme Cendrillon, ne s’arrêtent jamais.
Les TMS se manifestent principalement par des douleurs des membres ou du dos qui entraînent une gêne pour la réalisation des actes de la vie professionnelle ou quotidienne. Certaines formes sévères associant plusieurs localisations anatomiques sont plus invalidantes.
La majorité des TMS évolue favorablement sous l’influence de thérapeutiques adaptées
« Le traitement des TMS repose le plus souvent sur une reprogrammation du mouvement et un travail en kinésithérapie sur les gestes et les postures. Assouplissements et rééducation posturale permettent de lutter contre l’inflammation », indique le professeur Roquelaure.
L’arrêt des activités de force, répétitives ou posturales, provoquant les douleurs ou l’immobilisation par orthèses permettent de mettre l’articulation douloureuse au repos. « Le repos, s’il est nécessaire, doit être partiel, temporaire et court. Un arrêt prolongé n’est pas bénéfique », précise le spécialiste.
Les antalgiques sont fréquents pour le traitement de la douleur. Des anti-inflammatoires sont éventuellement prescrits contre les poussées inflammatoires, parfois des infiltrations de corticoïdes injectées dans l’articulation douloureuse. Des myorelaxants sont associés dans certains cas. De rares TMS peuvent nécessiter une intervention chirurgicale (syndrome du canal carpien ou hernie discale, par exemple).
Une lombalgie aiguë dure moins de six semaines et guérit en quelques jours dans 90 % des cas. En l’absence de signes de gravité, le traitement repose sur la reprise d’une activité physique adaptée et une prise en charge médicale (principalement antalgiques et kinésithérapie). Avec une durée comprise entre six semaines et trois mois, la lombalgie est dite subaiguë.
À ce stade, l’entrée dans une lombalgie chronique de plus de 3 mois doit être évitée à cause de son caractère invalidant et de la complexité de son traitement. Les risques de passage d’une lombalgie subaiguë à une lombalgie chronique (forme la plus rare, moins de 5 % des cas) sont entre autres : une douleur intense, un impact fonctionnel, la peur de se faire mal, une insatisfaction au travail, des tâches physiques lourdes, un état dépressif, un isolement ou un faible soutien social, le stress (lire l’encadré ci-contre).
L’expression “TMS liés au travail” est utilisée dans de nombreux pays pour désigner les TMS d’origine mécanique. En fait, « les TMS ne concernent pas que le travail mais sont toujours liés à une charge d’activité, explique Yves Roquelaure. Ils sont connus depuis longtemps chez les sportifs, mais peuvent aussi être en lien avec les activités de loisirs ou le bricolage. Les femmes, qui ont plus de TMS, ont aussi une charge de vie extra-professionnelle plus lourde. »
Toutefois, les activités extra-professionnelles n’expliquent pas la prévalence des TMS. Hors du travail, la personne régule elle-même la situation, aménage son environnement, adapte son rythme à son état et peut s’arrêter si besoin. Le travail engage le professionnel dans des activités où il va parfois privilégier un travail de qualité au détriment de sa santé. Tout dépend alors de sa capacité d’action et des marges de manœuvre dont il dispose pour s’organiser. Outre le traitement médical, « il faut inciter les personnes à signaler leurs douleurs auprès de la médecine du travail pour une prise en compte des TMS dans l’organisation du travail. C’est un enjeu fort des parcours de promotion de la santé », insiste le spécialiste.
Travail à flux tendu, exigence de polyvalence, recours de plus en plus fréquent à l’intérim, l’organisation du travail est clairement mise en cause dans l’augmentation constante des TMS. Si les contraintes physiques sont souvent améliorées, les contraintes de rythme sont beaucoup plus intenses qu’auparavant. Les modes d’organisation du travail développés initialement dans l’industrie se sont propagés aux métiers de service, dont les activités de santé. « L’optimisation des techniques de production fait disparaître toutes les ruptures qui existaient dans le travail et constituaient des temps de récupération pour le salarié. Ces temps ont disparu au profit d’une densification du travail », constate Yves Roquelaure. De même, la disparition progressive des situations d’entraide est une des raisons de l’augmentation des TMS à l’hôpital.
La prévention précoce des TMS repose principalement sur la réduction des contraintes dans les situations de travail. « La part affective et émotionnelle de la douleur est importante dans les TMS. Elle interroge le sens du travail, le sens du geste et les dimensions éthiques d’un travail de qualité. Une hypo-sollicitation psychologique peut être en cause quand le salarié ne peut déployer son savoir-faire parce qu’il est trop pressé », prévient Yves Roquelaure.
Les actions collectives de prévention peuvent porter sur les conditions de travail (diminution des gestes répétitifs, aménagement des postes de travail, instauration de micro-pauses de récupération, formations des personnels…) comme sur l’adaptation des outils et des équipements (soulève-malades, lits électriques, etc.). Au niveau individuel, le professeur Roquelaure relève « un manque d’assouplissement, des raideurs articulaires, notamment au niveau des épaules et une tendance à ne pas travailler assez en extension mais plutôt penché en avant en flexion rotation interne, un peu comme une mère qui prend son enfant. Il y a un défaut d’éducation physique général et de promotion de la santé musculo-squelettique et physique, y compris au niveau scolaire ». Corriger les attitudes posturales, apprendre à s’échauffer et à s’entraîner, des précautions qui paraissent évidentes dans le sport, mais pas dans le travail…
Avec l’aimable participation du Pr Yves Roquelaure, professeur de médecine et santé au travail, responsable du centre de ressources sur les maladies professionnelles et le maintien en emploi du CHU d’Angers.
(1) “Lombalgies. Bouger pour guérir plus vite”, Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, sur www.inrs.fr
(2) “Note de problématique sur les troubles musculo-squelettiques”, Yves Roquelaure, professeur de médecine et santé au travail à l’Université d’Angers. À consulter sur leest.univ-angers.fr
Pascale Cortesi
Cadre de santé coordinatrice à l’Ehpad Drac-Séveraisse, à La Fare-en-Champsaur (Hautes-Alpes)
→ POURQUOI VOUS ÊTES-VOUS PENCHÉ SUR LA QUESTION DES TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES ?
Les troubles musculo-squelettiques sont une préoccupation permanente pour un établissement comme le nôtre où toute la journée les équipes soignantes mobilisent les résidents. Le projet d’installation de l’Ephad dans un nouveau bâtiment nous a donné l’occasion de mener une réflexion collective sur l’organisation du travail en prenant en compte le travail réellement effectué et les risques professionnels associés. Toutes les catégories de personnels ont été impliquées au sein d’un comité de pilotage qui réunissait entre autres l’inspection du travail et le service de santé au travail.
L’ensemble du comité de pilotage a visité des établissements similaires au nôtre pour faire des propositions. Et une action sur les risques psychosociaux a été mise en place avec l’aide d’un cabinet conseil à partir de l’analyse des situations de travail posant problème.
→ QUELLES ACTIONS DE PRÉVENTION AVEZ-VOUS RETENUES ?
L’établissement a notamment investi dans un système de rails de transfert au plafond qui soulage les soignants mais aussi les patients, car les prises manuelles peuvent être douloureuses lors des déplacements. Les rails de transfert permettent de transporter le résident en différents lieux de la chambre mais également d’une chambre à l’autre. L’établissement s’est doté de lève-malades performants qui permettent aussi de récupérer une personne au sol en cas de chute et des chaises de douche plus élaborées qui limitent les manipulations. En général, le matériel et le mobilier ont été choisis par les futurs utilisateurs eux-mêmes qui ont pu les tester auparavant.
→ TIREZ-VOUS UN BILAN DE CETTE ACTION ?
Nous ne sommes installés dans le nouveau bâtiment que depuis décembre 2012. Nous n’avons pas fait d’analyse comparative avec l’ancienne situation, mais il semblerait que les signalements de TMS soient moins fréquents. Les soignants utilisent volontiers le nouveau matériel et les résidents sont satisfaits. Néanmoins, les douleurs des TMS sont toujours présentes. Il nous faut parfois convaincre les équipes d’utiliser le matériel mis à leur disposition, surtout les nouveaux arrivants. Car c’est souvent la précipitation et la volonté d’aller plus vite qui nuisent aux précautions. C’est l’un des facteurs que nous continuons à travailler au quotidien.
Témoignage du professeur Yves Roquelaure, professeur de médecine et santé au travail, responsable du centre de ressources sur les maladies professionnelles et le maintien en emploi du CHU d’Angers.
« Par définition, les TMS sont la conséquence d’un effort physique, les douleurs uniquement liées au stress sont des troubles psychosomatiques. Dans les TMS, le stress intervient à trois niveaux et aggrave le pronostic :
– le stress agit comme l’une des composantes des TMS au même titre que l’activité physique d’hypersollicitation. Le stress augmente la charge mécanique avec, entre autres, des gestes plus saccadés et une tension musculaire augmentée. Les douleurs des épaules et du dos par exemple sont fortement liées au niveau de stress. Des phénomènes d’activation musculaire connus depuis très longtemps ;
– le stress active par lui-même des mécanismes inflammatoires assez proches des voies de l’inflammation générée par l’hypersollicitation mécanique des tissus ;
– la dimension psycho-sociale du stress est un facteur de chronicité. La prise en charge des douleurs est plus difficile chez les personnes stressées, avec, entre autres, une surreprésentation de la gravité de la maladie qui rend le pronostic plus péjoratif. »