Qualité Gestion des risques
À l’heure où la question des déchets n’a jamais été aussi brûlante dans notre quotidien et où les évolutions sont constantes, l’hôpital reste un peu sur ses acquis depuis le Grenelle de l’environnement 2. Une marge de progression est pourtant encore possible dans différents domaines. Démonstration.
Sept cent mille tonnes de déchets par an, soit environ une tonne par lit et place, c’est ce que les hôpitaux produisent annuellement. Par comparaison, la moyenne nationale est à 360 kg par habitant. L’hôpital ne se cache pas d’être un gros producteur de déchets, et même si certains postes restent incompressibles en termes de production, il y a bien des domaines où les déchets pourraient être revus à la baisse.
Ceux auxquels on pense le moins à l’hôpital sont pourtant les plus importants : les déchets non dangereux représentent environ 70 à 80 % de la production totale en déchets d’un établissement de santé.
« Il y a eu des progrès depuis le Grenelle, avec notamment l’augmentation du nombre de filières de tri qui favorisent le recyclage, mais c’est un domaine qui reste extrêmement générateur de déchets », souligne Thomas Monestier, chef de projet développement durable chez Primum Non Nocere, une agence d’accompagnement au développement durable dans le monde hospitalier (filiale du Comité développement durable en santé, C2DS). Car, même si on trie désormais beaucoup à l’hôpital, on génère encore trop. « Il y a au moins quatre à cinq filières de tri, carton, papier, verre, plastique en moyenne dans chaque établissement de santé, ce qui permet de recycler une grande partie des déchets produits et collectés, et cela peut monter à plusieurs dizaines dans certains établissements très vertueux, qui trient par exemple les différents types de plastique », explique Thomas Monestier.
À l’image du C2DS, qui fédère des acteurs de la santé autour des thématiques du développement durable et mobilise sur ce thème, d’autres voix se font entendre. Le cheval de bataille actuel du C2DS : s’attaquer au gaspillage alimentaire. Un vrai défi pour les hôpitaux : chaque jour, un hôpital produit des centaines, des milliers de repas, dont une part non négligeable – quasiment un quart – finit à la poubelle. « Erreur de plateaux, régime particulier, patients sortis avant midi, repas non terminés, toutes les raisons sont mauvaises mais conduisent au même résultat, l’un des plus gros gaspillages alimentaires », assène-t-on au Comité. Une étude
Certains établissements ont fait le choix de la méthanisation, comme au CHRU de Lille (Nord). Chaque année, les 315 tonnes de déchets alimentaires sont acheminées vers un centre de méthanisation afin d’être transformées en biogaz, lequel est utilisé notamment pour les bus Transpole qui sillonnent donc la ville à partir des repas de l’hôpital. Une sensibilisation a également été menée sur le gaspillage du pain. « Nous avons pris cet exemple, car le pain, c’est symbolique et facilement mesurable, explique Shyrine Cassam, chargée de mission Développement durable au CHRU de Lille. Chaque jour, une partie du pain présent sur les plateaux repas n’était pas consommée et jetée en fin de chaîne. Ponctuellement, nous faisions une pesée de tout ce pain non consommé et l’affichions au niveau de la collecte des plateaux. Nous avons aussi changé l’emplacement du pain dans la chaîne de service pour le placer en fin de chaîne, ce qui nous a permis de réduire de 15 à 20 % le gaspillage lié au pain. » De son côté, l’Hôpital privé Nord-Parisien a fait le choix de recycler ses déchets alimentaires en utilisant un déshydrateur thermique de biodéchets : sur 30 kilos de déchets alimentaires, 10 sont récupérés en fin de cycle sous forme de résidus secs qui sont stockés dans un contenant dédié et collecté par un prestataire toutes les trois semaines. Testés, tamisés, compactés, ils sont ensuite vendus comme engrais organique. Le volume des déchets a ainsi fortement diminué.
Du côté des déchets considérés comme dangereux, les déchets d’activité de soins à risque infectieux, les fameux Dasri, peu d’évolution selon Thomas Monestier. La raison en est simple : « Alors qu’il existe un énorme potentiel d’économies pour la gestion des Dasri, ils sont encore trop nombreux aujourd’hui, surtout par principe de précaution, voire méconnaissance : il serait d’ailleurs bien qu’il y ait une remise à niveau de ce que l’on classe comme Dasri ou pas. » Car on peut y mettre tout et n’importe quoi et venir grossir la poubelle déjà bien remplie de ces Dasri. « Prenons l’exemple des protections contre l’incontinence. Si elles sont issues d’un patient porteur d’une bactérie multirésistante, doit-on les adresser à une filière Dasri ou à la filière de déchets ménagers ? Le Cclin dit qu’elles sont assimilables à des Dasri tandis que l’Agence régionale de santé et la Société française d’hygiène hospitalière disent le contraire. » Au final, il n’y a pas d’harmonisation entre les avis émis, ce qui sème le trouble. Principe de précaution oblige, de nombreux déchets viennent alourdir le rang des Dasri. Une remise à plat du système de tri pourrait s’avérer utile.
Dernier point, et non des moindres, à susciter de nombreuses interrogations : les déchets liquides, les effluents hospitaliers. Le problème ne date pas d’hier et semble insolvable. Chaque jour, l’hôpital déverse quantités de médicaments et autres substances actives depuis ses eaux usées. Début septembre, une conférence internationale sur les résidus de médicaments dans l’environnement s’est tenue à l’Unesco : les scientifiques présents se sont accordés à dire que, pour le moment, les études et données manquaient pour savoir si les résidus médicamenteux présentaient un risque pour la santé humaine. Il faut dire qu’il faudrait analyser des centaines de milliers de molécules et leurs interactions possibles : un chantier de titan. C’est donc en amont qu’il faut agir. La ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a lancé à l’occasion son plan micro-polluants qui vise, entre autres, à réduire les émissions de micro-polluants provenant de sources identifiées : les établissements de santé sont en première ligne avec les médicaments… « Des solutions de traitement existent et sont mises en place, mais à l’étranger », déplore Thomas Monestier, qui estime que la France accuse un retard en la matière, particulièrement dans le domaine de la santé. Reste aussi la question importante du coût : certaines installations de traitement in situ coûtent très cher et les établissements peinent encore à franchir le pas. « La volonté de certains établissements est pourtant présente mais, dans ce cas, ce sont les autorités sanitaires qui refusent d’avancer en n’autorisant pas certaines techniques à être mises en place », regrette le représentant de Primum Non Nocere.
* Étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en Rhône-Alpes à lire via bit.ly/2fRSUit
Pour ne pas qu’un déchet assimilé aux ordures ménagères ne finisse dans la poubelle jaune des Dasri, il convient de bien identifier les différents types de déchets. Pour cela, trois points d’attention à surveiller :
• l’état de la matière : solide ou liquide, à placer dans un contenant particulier, attention aussi aux propriétés particulières ;
• la quantité de déchets générés : pour construire une “filière déchets” avec tout ce que cela implique (les contenants nécessaires, la formation du personnel, le coût du prestataire, etc.) ;
• le contexte local : si, par exemple, les déchets sont collectés par la ville, le tri ne sera pas le même que s’il est réalisé par un prestataire externe. Certains consommables devront être forcément placés dans les Dasri car ils représentent un risque psycho-émotionnel pour les employés municipaux. En revanche, si le centre hospitalier fait appel à un prestataire externe, il sera possible d’affiner davantage le tri.
Ce processus très onéreux, s’il est bien suivi, peut permettre d’importantes économies.
Le traitement des déchets hospitaliers représente un investissement de deux à cinq euros par jour et par patient. Selon le Réseau des acheteurs hospitaliers d’Île-de-France, 20 % de cette somme correspondent à la fourniture de contenants, 20 % à la collecte interne des déchets, 50 % au traitement et 10 % aux taxes et amortissements. Le calcul est donc simple : une partie de la dépense pourrait être allégée si le tri était effectué correctement. On estime même entre 10 et 40 % la part de diminution si le tri était efficace à 100 % et si des produits différents étaient choisis, ceux générant le minimum d’impact en termes de déchets. Un exemple ? Le sur-cartonnage des protections pour incontinence qui n’est pas indispensable. Quant aux Dasri, le coût est jusqu’à sept fois plus élevé que pour un simple déchet ménager : il serait sans doute bon de ne plus banaliser tout déchet en Dasri commis d’office en invoquant le principe de précaution. Sur ce point, la formation du personnel, mais aussi des patients, peut avoir un rôle important à jouer.