ÉCONOMIE DE LA SANTÉ
Docteur en économie de la santéDirecteur
de l’offre de soins à l’agence
régionale de santé
d’Île-de-France.
Le National Health Service (NHS), système de santé public du Royaume-Uni fondé en 1948 sur le modèle beveridgien, a subi depuis de nombreuses réformes, toujours dans le but de maîtriser les coûts sans pour autant diminuer la qualité des soins prodigués.
En 2012, le Health and Social Care Act met en œuvre une refonte structurelle du système anglais en confiant l’organisation des services de santé et du management des budgets à des groupements essentiellement composés de médecins généralistes.
En l’an 122 l’empereur Hadrien ordonne de construire un mur de fortification du Royaume-Uni d’est en ouest, entre ce qui constitue peu ou prou aujourd’hui l’Angleterre et l’Écosse : c’est le fameux mur d’Hadrien (Hadrian’s wall), dont les vestiges sont encore aujourd’hui parfaitement visibles. Sur cette muraille offensive 80 postes fortifiés (milecastles) sont érigés, dont le “housesteads roman fort”. Ces forts regroupent tout : maisons, magasins, thermes, et un hôpital. Le premier hôpital anglais date donc de l’an 122, édifié sur le mur d’Hadrien.
En 1948, l’économiste William Beveridge propose au gouvernement anglais de mettre en place un système de santé entièrement gratuit, financé par l’impôt : le National Health Service (NHS) est né. Chacun contribue en fonction de ses revenus, chacun est pris en charge en fonction de ses besoins. Aucun critère de sélection ni de cotisation, donc. C’est le premier système de santé universel gratuit. À l’opposé des modèles bismarckiens fondés sur l’assurance, comme le système français, le modèle anglais beveridgien est entièrement socialisé.
Seulement voilà, très vite le système va se trouver déséquilibré et coûter plus cher que prévu. Dès 1952, le gouvernement met en place des mesures restrictives : forfait sur les médicaments, reste à charge variable pour les frais dentaires et ophtalmologiques. Et cela ne va pas s’arranger au cours des décennies qui vont suivre, avec le vieillissement de la population et les progrès de la médecine, qui font naître de nouveaux besoins et de nouvelles techniques. Dès lors, il va s’agir de maîtriser les coûts sans pour autant diminuer la qualité des soins prodigués. Cependant, si les délais d’attente chez le médecin généraliste (general practionner) ne vont cesser d’augmenter, et ce jusqu’à aujourd’hui, les soins hospitaliers et les consultations chez le médecin restent entièrement gratuits.
La majorité des soins sont délivrés par le système public de santé (NHS), les assurances privées ne représentant que 17 % des dépenses de santé. Entièrement nationalisés, les établissements de santé sont donc publics et les personnels soignants et autres sont fonctionnaires. Le médecin généraliste (GP) est la pierre angulaire du système de santé britannique : sauf en cas d’urgence, toute personne qui souhaite se rendre à l’hôpital ou consulter un médecin spécialiste doit d’abord se rendre chez un médecin généraliste. En fonction de la zone géographique de son domicile, chacun doit être inscrit chez un médecin généraliste (en moyenne environ 1 900 patients par médecin). Les médecins généralistes ne sont pas salariés mais conventionnés avec l’État sur la base d’un contrat fixé au niveau national. Ils sont rémunérés à la capitation (voir la rubrique Économie de la santé, OSM 263), en fonction du nombre de patients suivis, à laquelle s’ajoutent un forfait pour les actions de santé publique et le remboursement des frais administratifs et de gestion. La plupart des médecins généralistes exercent aujourd’hui en cabinets de groupes, ceux-ci ayant tendance à se transformer en centres de santé associant d’autres professionnels de santé (infirmiers, kinésithérapeutes…).
Le service public de santé a fait l’objet de nombreuses réformes tout au long des vingt dernières années. Ainsi la réforme mise en place par Margareth Thatcher en 1989 visait à décentraliser le NHS (création d’agences régionales de santé) et à mettre en concurrence les offreurs de soins. Se sont ainsi constitués des services régionaux hospitaliers (NHS trusts) qui avaient pour but une meilleure gestion du système de santé. Toutefois, du fait de contraintes financières, ces NHS trusts ont dû réduire leurs activités, ce qui a eu pour conséquences l’augmentation des files d’attente à l’hôpital et la réduction de certains traitements. En 2012, face à l’inefficacité du système, une nouvelle réforme est mise en œuvre (le Health and Social Care Act), visant à abolir les NHS trusts et les autorités régionales et à transférer la gestion des ressources hospitalières régionales aux médecins eux-mêmes.
Cette réforme constitue une refonte structurelle du système anglais en ce qu’elle décentralise l’organisation des services de santé et du management des budgets pour la confier à des groupements essentiellement composés de médecins généralistes.
C’est ainsi qu’ont été mis en place les Clinical Commissioning Groups (CCG), des regroupements obligatoires de cabinets de médecine générale ayant pour missions d’organiser et de financer les services de santé pour la population de leur territoire.
Les CGC, équivalents des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) françaises, sont donc des regroupements obligatoires de cabinets de médecine générale, les cabinets médicaux ayant tous l’obligation de devenir membre d’un CCG. Chaque CCG couvre en moyenne une population de 250 000 habitants. Doté de la personnalité juridique, il dispose d’un conseil d’administration, désigné par ses membres, composé d’au moins 6 personnes : le CCG’s accountable officer (dirigeant responsable), le directeur financier, un infirmier, un médecin spécialiste et deux représentants de la société civile. C’est donc un système qui repose sur le médecin.
Les CCG ont un rôle décentralisé d’acheteur et de régulateur des soins. Ils ont pour mission d’organiser et de financer pour la population de leur territoire les soins d’urgence et les soins hospitaliers programmés, la maternité, les soins de réadaptation ainsi que la psychiatrie. Le CCG est responsable d’un budget global qu’il répartit entre les différents prestataires sur la base de contrats. Ceux-ci sont négociés en appui de tarifs nationaux avec la possibilité d’une révision par le CCG. Celui-ci contractualise aussi bien avec des prestataires publics que privés. Afin d’éviter les conflits d’intérêt, il n’est pas en charge du financement des soins primaires délivrés par les médecins généralistes. Néanmoins ces derniers exercent dans des cabinets de groupe, les GP practices, dont l’autorisation est délivrée par le CCG. Ce sont donc les médecins généralistes qui gèrent les soins au niveau des territoires.
Le NHS England est un organisme indépendant qui signe annuellement avec le gouvernement une convention d’objectifs et de gestion. Son rôle principal est d’améliorer l’état de santé des résidents en Angleterre et de fournir des soins de qualité. Ses missions se déclinent ainsi en trois grandes fonctions : amélioration de la qualité, supervision du fonctionnement des CCG et allocation de leurs ressources, financement et achat direct des soins primaires délivrés par les médecins généralistes et les services ultraspécialisés, sur la base de négociations nationales entre le NHS et des représentants de médecins généralistes.
Le NHS Improvement regroupe plusieurs organisations responsables de l’accompagnement et de la régulation des soins ; c’est le régulateur financier du système hospitalier et ambulatoire. Il a une mission de tarification des actes ; il s’assure que les modes de rémunération favorisent la qualité et l’efficience des soins et que la mise en concurrence s’opère dans l’intérêt du patient.
→ Les médecins généralistes sont rémunérés essentiellement à la capitation et partiellement à l’activité et à la performance. Ils sont financés directement par le NHS England. Les médecins généralistes sont associés ou salariés du cabinet.
→ Les soins à domicile et les centres de santé/consultations non programmées sont financés par les CCG sur la base de contrats négociés par le NHS.
→ Les soins d’hospitalisation et les consultations de spécialistes sont financés également par les CCG, notamment sur la base d’une tarification à l’activité pour les hospitalisations. Les médecins spécialistes sont salariés de l’hôpital et sont rémunérés par l’établissement, de même pour les soins de psychiatrie et de réadaptation.
En cette rentrée, le président de la République a présenté sa stratégie de transformations de notre système de santé (“Ma santé 2022, un engagement collectif”). Tout comme le stipule la réforme du NHS, il s’agit de renforcer la prévention, l’implication des usagers, le transfert de soins spécialisés de l’hôpital vers la ville, la reconfiguration des services hospitaliers, le renforcement de la coordination entre professionnels avec la mise en place des CPTS, des nouveaux modes de financement au résultat (pertinence). En Angleterre, Le NHS a prévu l’expérimentation de cinq nouveaux modèles d’organisation sur 29 sites expérimentateurs volontaires, appelés “Vanguards”. En France, cette expérimentation de nouveaux modèles est prévue par l’article51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018. Les deux dispositifs visent à améliorer la coordination des acteurs de la ville et de l’hôpital, à diminuer le recours à l’hôpital, diminuer le recours aux urgences, à médicaliser les EHPAD, à regrouper les centres hospitaliers. En France comme en Angleterre, ces expérimentations reposent sur une démarche de type “bottom-up”(1), avec un cadre national mais une souplesse du cahier des charges.
Beaucoup de similitudes existent donc entre les deux réformes, alors même qu’elles reposent sur des fondations très différentes : le modèle beveridgien pour le NHS, bismarckien pour le système français.
• Adrien Dozol, Camille Léandre, Adeline Townsend, Florence Pinelli, Marie-Camille Lenormand, « Mission d’étude sur l’expérimentation par le NHS anglais de nouveaux modèles d’organisation et de financement intégrés », Ministère de la Santé, 25, 26 et 27 juillet 2016 (consulter sur : https://bit.ly/2NDEcMs).
(1) Bottom-up : approche ascendante d’une démarche ;