DROIT
Avocat à la Cour de Lyon
Défaut de surveillance, dommage suite à un acte technique, chute d’un patient hospitalisé, suicide d’un patient en service libre, absence d’information des proches d’un diagnostic grave, retard de prise en charge… Dans chaque affaire, la juridiction doit examiner s’il existe la preuve d’une faute pour déterminer les conditions de la responsabilité.
L’erreur dans la pose d’une perfusion n’est pas forcément une faute, mais le retard dans la surveillance de la diffusion d’un produit peut le devenir. La réinstallation de la perfusion est ensuite un acte qui mérite la plus grande attention, imposant d’une part d’assurer la possibilité d’un contrôle de visu, et d’autre part d’instaurer une forte présence pour la surveillance.
• Faits. Un jeune enfant, né le 25 août 2006, est opéré le 1er mai 2007 au CHU de Clermont-Ferrand en raison d’une invagination intestinale aiguë.
Le 8 janvier 2008, il est à nouveau hospitalisé dans cet établissement pour une occlusion intestinale. Une perfusion intraveineuse est prescrite en raison des vomissements répétés de l’enfant. L’équipe médicale ayant décidé de mettre en œuvre un traitement médical conservateur sans chirurgie, les perfusions intraveineuses sont maintenues.
Dans la nuit du 11 au 12 janvier 2008, vers 22 h, le liquide de la perfusion se diffuse sur la main droite et provoque un œdème localisé à la zone d’implantation du cathéter.Vers minuit, l’infirmière essaie en vain, compte tenu du jeune âge de l’enfant, de trouver une veine sur les autres membres et finalement réussit à mettre un cathéter dans une veine du dos de la main droite déjà œdématiée. Elle pose ensuite un bandage remontant jusqu’au coude pour maintenir la perfusion et procède à une dernière visite de contrôle à 3 h 40.
À 6 h 30, le personnel de jour constate l’existence d’un œdème majeur de tout le membre droit, jusqu’à l’épaule, qui nécessite la réalisation en urgence d’une aponévrotomie. L’enfant regagnera son domicile le 21 janvier 2008 après avoir subi une laparotomie en raison de de l’absence de reprise du transit.
• En droit. En application de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (CSP), les établissements de santé et les personnels sont responsables des conséquences dommageables d’actes, de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute.
• L’expertise. Selon l’expert, « dans une telle situation, il devient difficile de dépister précocement une nouvelle diffusion et il faut redoubler de vigilance en surveillant de façon rapprochée le site de ponction. Il faut également laisser ce site accessible à la surveillance sans le recouvrir d’un bandage pouvant masquer les signes de diffusion. Cette situation, tout à fait exceptionnelle, est la conséquence d’un défaut de surveillance. Les règles de sécurité n’ont pas été respectées, avec en plus un bandage masquant la zone à surveiller ». L’expert ajoute : « Le traitement conservateur décidé pour l’occlusion nécessite des perfusions pour encore plusieurs jours et il n’aurait pas été excessif de poser l’indication de la mise en place d’un cathéter central pour résoudre le problème de la voie d’abord. »
• Analyse. L’intervention chirurgicale réalisée en urgence a été rendue nécessaire en raison de manquements dans l’exécution des soins infirmiers résultant, d’une part, de l’absence de constatation plus précoce de la diffusion de la perfusion, qui nécessitait une surveillance particulière et rapprochée dans le temps et, d’autre part, de l’absence de pose d’un cathéter central qui aurait permis, compte tenu du patrimoine veineux de l’enfant, d’anticiper les difficultés liées aux perfusions à venir. Ces manquements dans les soins sont des fautes de nature à engager l’entière responsabilité de l’établissement.
Cour administrative d’appel de Lyon, 18 octobre 2018, n° 16LY02555.
Pour un acte de soins courants, qui n’exige pas une technicité spécifique, l’apparition d’un dommage fait présumer la faute de l’infirmière. Il en va différemment pour les actes techniques et notamment ceux relevant de l’article R. 4311-9 du CSP, à savoir les actes effectués sur prescription médicale à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment. Tel est le cas pour la pose d’un plâtre cruro-pédieux circulaire : il faut prouver la faute, en tenant compte de toutes les circonstances de réalisation de l’acte.
• Faits. Une patiente, née en 1948, atteinte d’une sclérose en plaques à symptomatologie paraparétique spasmodique diagnostiquée en 1969, est victime le 15 octobre 2004 d’une chute, qui provoque une fracture de l’extrémité supérieure de sa jambe droite (fracture métaphysaire supérieure du tibia et fracture comminutive du col du péroné). Elle est transportée à l’hôpital européen Georges Pompidou, où une immobilisation en attelle plâtrée est réalisée, sans réduction. Ce plâtre étant rapidement mal supporté par la patiente, il est remplacé par une attelle amovible de type Zimmer qui, le 18 octobre, est remplacée par un plâtre cruro-pédieux circulaire. Lorsque ce plâtre est enlevé, au terme de neuf semaines, il est constaté une importante escarre au talon droit, ainsi qu’une déformation en valgus et un déficit distal du membre inférieur droit avec steppage, qui n’existaient pas avant la chute.
• L’expertise. L’expert a conclu que la cause du déficit distal du membre inférieur droit dont souffre la patiente depuis le traitement de la fracture du 15 octobre 2004 était « en relation très probable avec la pose d’une immobilisation plâtrée par compression directe du tronc du SPE [nerf fibulaire commun, ou nerf sciatique poplité externe] qui est très superficiel à la partie haute de la face externe de la jambe et qui peut être très facilement comprimé (complication classique de la botte plâtrée), cette compression ayant pu être favorisée par l’augmentation de volume du membre localement par un hématome ou syndrome des loges. La survenue d’une compression des parties molles lors d’une immobilisation plâtrée du membre inférieur est une complication connue et redoutée de ce type de traitement et doit être recherchée et prévenue ».
L’expert a également estimé qu’il convenait de « tenir compte de l’existence d’une pathologie neurologique préexistante (sclérose en plaques) qui atteignait déjà les muscles distaux des membres inférieurs et qui ne pouvait que rendre très difficile le diagnostic de lésion iatrogène du nerf SPE », et qu’ainsi la survenue d’une paralysie du SPE leur semblait relever d’un accident médical non fautif.
• En droit. Aux termes de l’article R. 4311-9 du CSP, « L’infirmier ou l’infirmière est habilité à accomplir sur prescription médicale écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, les actes et soins suivants, à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment : (…) 6° Pose de dispositifs d’immobilisation (…). » Ainsi le traitement d’une fracture, même sans réduction, par la pose d’un plâtre cruro-pédieux circulaire ne peut être regardé comme un acte de soin courant. De telle sorte, la survenance d’un dommage ne suffit pas à présumer l’existence d’une faute. La preuve de la faute doit être rapportée.
• Analyse. Il n’est pas établi que le plâtre cruro-pédieux circulaire posé le 18 octobre 2004 aurait été mal confectionné, du fait d’un défaut du rembourrage, ou mal positionné, et aurait de ce fait provoqué une compression directe du tronc du SPE. En effet, à la suite de la fracture survenue le 15 octobre 2004, une immobilisation sans réduction par une attelle plâtrée a été réalisée, qui a été rapidement mal supportée et qui a ainsi été remplacée par une attelle amovible de type Zimmer. Celle-ci a à son tour été remplacée le 18 octobre 2004 par un plâtre cruro-pédieux circulaire, qui a été immédiatement mal supporté et refait dès le lendemain. À la suite des doléances de la patiente, qui a fait part de sa sensation que sa jambe n’était pas droite et que le plâtre était tordu, des radiographies de contrôle ont été réalisées le 19 octobre 2004, qui n’ont pas objectivé de déplacement.
Le dossier infirmier indique que la marche avec déambulateur sans appui sur le membre inférieur droit a pu être reprise assez rapidement et que, le 22 octobre 2004, la patiente a pu être douchée et était considérée autonome. Si la patiente a indiqué, après la pose du plâtre cruro-pédieux, que sa jambe était très douloureuse, ces douleurs, qui ont été prises en considération par l’équipe médicale, n’ont toutefois pas conduit à une ablation du plâtre afin de vérifier l’état de la jambe de la patiente dès lors que la patiente a refusé le traitement antalgique qui lui était proposé par le personnel soignant, ce qui était de nature à relativiser l’intensité des souffrances qu’elle ressentait.
Ainsi, aucun défaut de surveillance de la jambe droite plâtrée ne peut être imputé à l’équipe.
Cour administrative d’appel de Paris, 18 octobre 2018, n° 18PA00622.
La chute d’un patient de son lit, aussi regrettable soit-elle, ne permet pas de déduire l’existence d’une faute de l’équipe. Dans cette affaire, l’épouse avait été choquée car elle avait retrouvé elle-même son époux à même le sol. L’étude du dossier montre que l’installation dans un lit à barrières relevées ne s’imposait pas, que l’état du patient lui permettait d’évoluer seul dans le service, même avec des difficultés, et que l’organisation générale du service n’a pas mis en évidence de fautes dans la surveillance.
• Faits. Un patient atteint d’un cancer bronchique parvenu en phase terminale est hospitalisé, le 5 mars 2012, pour une détresse respiratoire aiguë au centre hospitalier de Chambéry.
Le 9 mars 2012, son épouse lui rendant visite le retrouve sans vie au pied de son lit.
L’épouse estime que le centre hospitalier de Chambéry a manqué à son obligation de sécurité et de surveillance de son époux dès lors qu’elle l’a retrouvé sans vie partiellement dévêtu au pied de son lit. Elle souligne que son époux était atteint de troubles de vigilance du fait de métastases cancéreuses cérébrales et que l’équipe aurait dû lui attribuer un lit équipé de barrières latérales de sécurité qui, relevées, l’aurait empêché de se lever.
• Analyse. Le patient, alors âgé de soixante-quatre ans, est décédé des suites d’un épisode de détresse respiratoire, conséquence du cancer métastasé au stade terminal dont il souffrait et non d’une chute de son lit alors qu’il aurait essayé de se lever pour se rendre aux toilettes. Ainsi, aucun lien de causalité ne peut être retenu entre le décès et l’absence de barrières sur son lit d’hôpital.
Le 9 mars 2012, jour de son décès, bien qu’affaibli et présentant certains troubles de la vigilance, le patient a pu tout comme la veille effectuer sa toilette au lavabo en bénéficiant d’une aide partielle. Il conservait donc une certaine mobilité et était en capacité de réaliser certains gestes de la vie quotidienne, soit seul, soit si besoin était en demandant de l’assistance au personnel soignant, y compris en faisant usage des signaux classiques d’alerte au moyen de la sonnette rattachée à son lit. Dès lors, il n’est pas établi que le patient présentait le jour de son décès des symptômes ou un état de grande faiblesse tels qu’ils auraient nécessité qu’il lui soit interdit matériellement de se lever par la mise en place d’un système de barrières relevées et que soit mis en œuvre un dispositif spécifique médical d’assistance dans tous les gestes de la vie quotidienne, avec une sonnette mobile pour alerter le personnel soignant d’un souhait de se rendre aux toilettes.
L’état de santé du patient ne s’opposait pas à ce qu’il puisse se rendre aux toilettes et ne rendait pas indispensable la mise à disposition d’un bassin dans son lit. Les visites du personnel soignant effectuées le 9 mars 2012, jour du décès, successivement à 7 h 00, 9 h 00, 10 h 00, 14 h 00 et 15 h 15, tracées dans le dossier, soit pour cette dernière 2 h 30 avant sa découverte par son épouse au pied de son lit, n’avaient pas donné lieu à des observations particulières quant à l’existence d’une dégradation de l’état général ou d’une perte marquée de sa vigilance. Il n’est pas fait état de chutes antérieures qui auraient pu conduire l’équipe à mettre en œuvre une surveillance accrue ou des mesures particulières destinées à prévenir d’éventuelles chutes ou à l’empêcher de sortir de son lit.
Par suite, compte tenu de l’âge, des antécédents médicaux et de l’état de santé du patient, l’absence de mise en place de barrières latérales de sécurité sur son lit d’hôpital ne peut pas être regardée comme constitutive d’un défaut de surveillance ou de sécurité susceptible d’engager la responsabilité, sur le fondement du paragraphe I de l’article L. 1142-1 du CSP.
Cour administrative d’appel de Lyon, 12 juillet 2018, n° 16LY02785.
Un patient admis en service libre dans un centre hospitalier spécialisé, pour des troubles anxiodépressifs, a été retrouvé le surlendemain à 7 h 30 pendu dans le cabinet de toilette de sa chambre, au moyen d’une ceinture et d’une écharpe. Le dossier montre que l’équipe médicale avait pris en compte une intoxication médicamenteuse datant de 15 jours, mais avait noté une évolution et une acceptation des soins. L’infirmière était passée à 6 heures, tout était correct, et vu la liberté laissée au patient, il n’est pas possible de retenir un défaut de surveillance infirmière. Enfin, la ceinture portée lors de l’admission faisait partie de l’inventaire, mais le patient était en service libre, le service n’est pas engagé par la remise postérieure d’effets personnels à l’initiative de la famille. Dans ces conditions, la faute n’a pas été retenue.
• Faits. Un homme, né en 1948, est pris en charge avec son consentement le 22 mars 2012 par le centre hospitalier spécialisé Belair de Charleville-Mézières, en raison de troubles anxiodépressifs.
Le 24 mars 2012 vers 7 h 30, l’infirmière de service retrouve l’intéressé pendu dans le cabinet de toilette de sa chambre, au moyen d’une ceinture et d’une écharpe.
• Analyse. Le patient, qui souffrait d’un syndrome dépressif depuis 2003, a été admis le 22 mars 2012 dans le cadre du régime d’hospitalisation libre au centre hospitalier spécialisé Belair et transféré le même jour, à la demande de son épouse, au sein de l’unité intersectorielle de soins de courte durée de cet établissement.
Dans le certificat médical établi le même jour en vue de cette prise en charge, le médecin traitant s’est référé à l’intoxication médicamenteuse volontaire qu’il avait subie quinze jours plus tôt, mais il s’est borné à indiquer que l’intéressé était très déprimé sans faire état de risque particulier de passage à l’acte. Si le médecin psychiatre du centre hospitalier qui a examiné le patient le 22 mars 2012 a relevé, dans son rapport, que l’intéressé, admis pour « une rechute anxiodépressive sur terrain histrionique », se présentait comme désespéré, ledit médecin ne concluait pas pour autant que le patient aurait présenté un risque suicidaire eu égard notamment à son comportement sociable au cours du repas précédant l’entretien.
L’anamnèse conduite le 23 mars 2012 par l’une des infirmières indique que le patient avait un discours pessimiste, en montrant notamment ses doutes quant à une éventuelle prise en charge par une clinique psychiatrique envisagée par la famille, tout en relevant qu’il se sentait rassuré lorsqu’il était hospitalisé et qu’il attendait une amélioration de son état à l’issue de son séjour.
Les praticiens du centre hospitalier avaient connaissance de l’intoxication médicamenteuse volontaire survenue quinze jours auparavant, mais cette circonstance ne permettait pas en elle-même d’envisager, eu égard au comportement du patient depuis son admission, qu’il présentait le risque d’attenter à ses jours par pendaison.
Ainsi, les praticiens, qui avaient eu l’occasion d’examiner le patient à plusieurs reprises au cours de périodes d’hospitalisation antérieures, n’avaient pas sous-estimé le risque de passage à l’acte.
Par ailleurs, le décès a été constaté le 24 mars 2012 vers 7 h 30 par l’infirmière de service, à l’occasion d’une ronde de surveillance. On ne peut retenir une surveillance insuffisante, alors que l’infirmière n’avait décelé aucune anomalie en effectuant sa ronde le même jour vers 6 h.
La famille reprochait encore l’équipe d’avoir laissé une ceinture et une écharpe à la disposition du patient. Il ressort de la fiche d’inventaire établie lors de l’admission que la ceinture qu’il portait alors lui avait été retirée sur indication thérapeutique et qu’aucune écharpe ne figurait parmi les objets et accessoires qui lui avaient été laissés pour son séjour. L’établissement de santé n’était pas tenu, eu égard au régime de l’hospitalisation libre, de procéder à un contrôle des affaires personnelles apportées à l’intéressé postérieurement à son admission.
Compte tenu de la nature des troubles dont souffrait le patient, lesquels n’impliquaient pas de prescriptions médicales spéciales, et du choix de l’hospitaliser en placement libre, les mesures de surveillance mises en place par l’établissement de santé n’ont pas été insuffisantes.
Cour administrative d’appel de Nancy, 26 juin 2028, n° 16NC02703.
En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Dès lors que le patient ne s’y était pas formellement opposé, et au contraire sollicitait ce partage d’information, le silence de l’équipe est une faute qui engage la responsabilité.
• Faits. Un homme, né en 1950, est opéré en urgence le 14 janvier 2003 dans le service de neurochirurgie du CHU de Limoges, en raison d’une compression médullaire entraînant une paralysie des membres inférieurs.
Son état s’étant dégradé après l’opération, une nouvelle intervention est réalisée, le 29 janvier 2003, à l’issue de laquelle il séjourne pendant treize mois dans un service de médecine physique et de réadaptation dépendant du même établissement, avant de regagner son domicile au mois de mars 2004.
Le 29 janvier 2012, le patient fait l’objet d’une nouvelle hospitalisation dans le service de réanimation du CHU en raison d’une aggravation brutale de son état. Il y décède le 22 février 2012, à la suite d’un choc septique.
D’après l’équipe de soins, le secret médical s’opposait à la divulgation à la famille des informations relatives à l’état de santé de celui-ci avant son décès.
Les membres de la famille ont saisi le tribunal d’une demande de condamnation du CHU en réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi à la suite d’un manquement par cet établissement à son obligation d’information à leur égard.
• En droit. Aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1110-4 du CSP : « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. »
• Analyse. Son épouse et le patient lui-même avaient sollicité à plusieurs reprises, en 2004, 2008, 2010 et 2011, la communication de la totalité du dossier médical, à la suite de l’hospitalisation au CHU le 14 janvier 2003, en insistant à plusieurs reprises sur leur volonté d’obtenir l’intégralité des pièces de ce dossier, en particulier pour comprendre l’origine de son état.
Ainsi, le patient ne s’est jamais opposé à ce que ses proches soient informés des évolutions de son état. Au contraire, il était entendu qu’une information leur soit délivrée quant à l’évolution prévisible de sa pathologie.
Or, aucune information n’a été fournie à son épouse, malgré ses demandes et notamment celle formulée en 2010, sur les causes et les possibilités d’évolution de la paraplégie dont le patient souffrait, alors que la probabilité de l’origine tuberculeuse de sa pathologie avait été dégagée à compter du mois de juillet 2003 tandis qu’il séjournait encore en service de réadaptation.
L’épouse était encore dans l’ignorance totale du dossier médical, des hypothèses diagnostiques formulées et de la pathologie finalement retenue. Par conséquent et dans la mesure où la pathologie dont le patient souffrait pouvait être regardée comme remplissant la condition de gravité posée par les dispositions précitées de l’article L. 1110-4 du CSP, ce défaut d’information constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement public de santé.
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 25 septembre 2018, n° 16BX03700.
Une patiente, âgée de 27 ans, a subi les suites délétères d’une intervention de bypass gastrique par cœlioscopie. Pour se prononcer sur la responsabilité, la cour examine successivement tous les stades de la prise en charge : intervention initiale, surveillance, reprise de l’anastomose, accident à l’origine de la rupture de la rate et infection survenue dans les suites de cette ablation.
• Faits. Une patiente, née le 2 février 1983, est suivie pour obésité morbide depuis le 25 mai 2010 au centre hospitalier du Havre. Elle y est hospitalisée le 28 mars 2011 pour subir, le même jour, une intervention de bypass gastrique par cœlioscopie.
L’état occlusif constaté le lendemain de l’intervention, lors d’un examen radiographique avec produit de contraste aux hydrosolubles, nécessite la réalisation de deux cœlioscopies de reprise, les 30 mars et 2 avril suivants.
Le 6 avril 2011, jour de sa sortie, la patiente est réhospitalisée d’urgence et subit une splénectomie par laparotomie en raison de la rupture de la rate.
Atteinte dans les suites de cette intervention d’une pneumopathie gauche, avec une récidive fébrile au début du mois de mai 2011, elle est traitée par antibiothérapie et kinésithérapie.
Elle est réopérée d’urgence en clinique le 27 mai 2011, en état de choc hypovolémique. L’intervention de laparotomie a mis au jour, outre une hémorragie au niveau de la loge de splénectomie, une hémorragie au niveau de la loge intragastrique.
Les suites sont simples mais une éventration est constatée en janvier 2012. Elle bénéficie dans la même clinique, le 15 février 2012, d’une cure d’éventration par la pose d’une plaque.
Sortie le 22 février 2012, la patiente demeure atteinte de séquelles, en particulier d’une hernie résiduelle de petite taille justifiant une surveillance régulière, et de l’impossibilité de soulever des charges lourdes.
L’examen radiographique avec ingestion de produit de contraste au lendemain de l’intervention initiale a montré un retard de vidange de l’anse « en Y » confectionnée lors de la réalisation du bypass. Le radiologue a conclu à un possible rétrécissement de l’anastomose qui réalise l’anse. Au cours de la première cœlioscopie de reprise, réalisée le 30 mars 2011, le chirurgien, estimant cette anastomose parfaite, a constaté qu’elle était fermée par le point de fermeture de la brèche mésentérique et a refait celui-ci, libérant et repositionnant le pied de l’anse. Devant la persistance de l’occlusion, le chirurgien a procédé, le 2 avril 2011, à une nouvelle intervention par cœlioscopie, au cours de laquelle il a procédé à la réfection de l’anastomose qui lui paraissait étroite.
Dès avant l’intervention du 30 mars 2011, il aurait dû être procédé à un examen scanographique qui aurait permis d’éviter la seconde réintervention. La sténose de l’anastomose était présente avant la première réintervention. Cette omission pour le chirurgien d’avoir fait procéder avant l’intervention à cet examen scanographique est une faute.
Cette faute a entraîné pour la patiente la nécessité de se soumettre à une seconde réintervention par coelioscopie, et lui fait perdre une chance d’éviter la rupture de la rate, ainsi que les complications qui ont suivi, incluant l’éventration dont l’apparition a été favorisée par la double laparotomie pour ablation de cet organe et de prise en charge de l’infection et de l’hémorragie qui s’en sont suivies.
Cette chance doit, dans les circonstances de l’espèce, être évaluée à un tiers.
La rupture de la rate, qui a nécessité la réhospitalisation en urgence, le 6 avril 2011, et a conduit à la réalisation d’une splénectomie, a pour origine un choc subi par cet organe. Celui-ci a été provoqué soit par la mise en place d’un trocart, soit par le geste chirurgical proprement dit, au cours de l’une des trois interventions réalisées sous cœlioscopie, les 28 mars, 30 mars et 2 avril 2011. Un tel accident constitue une complication relativement fréquente de ce type d’intervention.
Aucun élément précis ne peut être retenu en faveur d’une faute commise durant ces interventions ou d’une insuffisance d’actes à visée exploratoire ou diagnostique. En particulier, compte tenu de la phase initiale de constitution d’un hématome sous-scapulaire, aucun épanchement sanguin n’était susceptible d’être remarqué par les opérateurs. La faute médicale n’est pas prouvée sur ce point.
Après la splénectomie du 6 avril 2011, la patiente a présenté une pneumopathie du lobe inférieur gauche, traitée, avant et après sa sortie, par antibiothérapie et kinésithérapie. Les clichés radiographiques révélaient, dès le début du mois de mai 2011, la « récidive d’une pneumopathie et d’un épanchement pleural gauche important mais néanmoins modéré par rapport à la radiographie de la sortie du 12 avril ».
Un examen scanographique réalisé le 16 mai 2011 montrait « une ascension de la coupole diaphragmatique gauche en raison de la présence d’une collection sous-phrénique hétérogène à parois épaissies avec des bulles aériques à l’intérieur, mesurée à 80 x 42 x 77 mm, tout à fait compatible avec un abcès sous-phrénique ».
Par ailleurs, la patiente, toujours prise en charge par antibiothérapie, avait présenté une hypoglobulie nécessitant une transfusion sanguine. Il résulte de ces éléments, confirmés par les résultats de l’angioscanner réalisé le 24 mai 2011 au cours d’une hospitalisation de quatre jours pour suspicion d’embolie, qu’une cœlioscopie était alors indiquée depuis longtemps pour drainer l’abcès et en identifier les causes, et que cette prise en charge plus précoce aurait évité à la patiente d’être victime d’un choc hypovolémique, affection grave ayant imposé sa réhospitalisation en urgence dès le 27 mai 2011 pour une intervention chirurgicale qui a mis au jour des hémorragies au niveau de l’estomac résiduel et de la loge de la rate. Le retard fautif de prise en charge est ainsi établi.
Cour administrative d’appel de Douai, 16 octobre 2018, n° 16DA00990.