L’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) a diffusé des règles d’acceptation des actions de DPC relatives à l’hypnose à destination des professionnels de santé : pour les personnels non-médicaux, infirmières en tête, l’Agence se conforme aux avis scientifiques relatifs à la pratique de l’hypnose et n’accepte la prise en charge d’actions destinées aux infirmiers que dès lors qu’elles soutiennent un exercice en équipe sous responsabilité médicale. Sa directrice, Michèle Lenoir-Salfati nous en explique les raisons. Le Professeur Benhamou, anésthésiste réanimateur et médiateur hospitalier apporte son point de vue.
Michèle Lenoir-Salfati : L’Agence n’a aucun rôle sur la formation continue des IDE. Elle pilote sous tutelle du ministère de la Santé le développement professionnel continu de tous les professionnels de santé, hospitalier, salarié et libéral, dispositif distinct de la formation continue en ce qu’il appuie des objectifs de transformation du système de santé et qu’il promeut des actions d’EPP et de gestion des risques. C’est un groupement d’intérêt public qui a notamment pour mission d’enregistrer des organismes de DPC, de garantir la qualité scientifique et pédagogique des actions et programmes de DPC et d’en mesurer l’impact. L’Agence participe également au financement des actions de développement professionnel continu répondant aux orientations prioritaires pluriannuelles, définies par arrêté, pour dix professions de santé libérales ou exerçant en centre de santé conventionné.
M L.-S. : Nous avons tenu à rappeler que les actions relatives à l’hypnose pouvaient être pratiquées par l’ensemble des personnel médicaux et que pour les autres, la formation et la pratique n’était pas interdite, mais soumise à certaines règles de pratique. Rappelons que l’hypnose est une pratique de soins non conventionnelle. Elle apparait dans la CCAM, pour les médecins, comme un « autre acte thérapeutique pour le système nerveux ». Elle est non remboursable car n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation clinique. Par ailleurs, il existe une étude de l’Inserm sur la valeur thérapeutique de l’hypnose qui confirme en effet que l’hypnose a un sens en anesthésie et en matière de lutte contre la douleur. Il ne s’agit pas à ce stade d’une pratique réglementée et on manque aujourd’hui d’évaluation sur ces effets. Pour les professionnels de santé non médicaux, la fiche publiée par le Ministère de la santé dans les suites du rapport INSERM, rappelle que la pratique de l’hypnose peut être ouverte aux professions paramédicales sous la responsabilité médicale et dans le cadre d’une prise en charge pluri-professionnelle de la douleur. Ainsi, l’Agence n’accepte les actions de DPC sur l’hypnose pour ces professionnels que lorsqu’elles soutiennent une pratique en équipes de soins, en établissement ou en ambulatoire, et sous responsabilité médicale.
M L.-S. : Nous ne craignons rien, c’est plutôt pour les patients que nous craignons quelque chose ! L’hypnose n’est pas une pratique neutre. Pratiquée sur certains patients (par exemple, atteints de certains troubles psychiatriques dissociatifs, il faut pouvoir en mesurer les effets. Nous devons être garants de pratiques opérées dans le cadre d’études scientifiques validées. L’Agence est particulièrement attentive à ne pas mettre les professionnels dans une situation périlleuse, comme pourrait l’être, par exemple, une infirmière libérale qui pratiquerait l’hypnose de son propre chef, au cabinet, sans encadrement médical. Par ailleurs certaines actions proposées ne nous paraissent pas de qualité ou trop courtes pour appréhender l’hypnose sous tous les angles. Globalement, pour une infirmière qui veut se former à l’hypnose, nous recommandons une formation de type diplôme universitaire où il y a véritablement une prise en compte des spécificités de la pratique de l’hypnose et une pratique intégrée à un projet d’équipe sous encadrement médical.
M L.-S. : Cette question est réapparue car nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’organismes contournaient les recommandations. Nous avons commencé à faire des contrôles et avons remarqué qu’il y avait un problème : les organismes présentaient des actions conformes sur le papier mais qui ne l’étaient pas dans les faits. Ainsi une action de DPC sur la formation à l’hypnose en équipes de soins destinée aux médecins et aux infirmiers et qui en fait était une action destinée aux seuls infirmiers sur une journée.. Un congrès d’une journée ne peut pas être assimilé à une formation complète en hypnose !
Certes, c’est une pratique non conventionnelle, non réglementée et tolérée par la CCAM pour les médecins, non remboursée, mais cela n’autorise pas à faire n’importe quoi. En l’occurrence, tant que les choses ne sont pas réglementées, il faut rester prudent.
M L.-S. : La vraie question est de se demander si, parce que c’est un exercice non réglementé, tous les professionnels peuvent le pratiquer : il existe un certain nombre d’éléments - études INSERM, position du ministère de la Santé, CCAM, qui montre qu’il s’agit d’un acte médical. Un professionnel de santé non médecin et mal formé pourrait mettre le patient dans une situation à risque. Car rappelons-le, l’hypnose est une pratique qui modifie l’état de conscience du patient, ce qui peut avoir des effets sur certains patients fragiles psychiquement. S’il faut ramener la personne à un état de conscience initial une fois qu’on l’a modifié, il faut un certain savoir-faire. C’est pour cela que c’est une pratique médicale, réalisée par des médecins, des anesthésistes-réanimateurs ou des psychiatres, qui sont à même d’évaluer l’état psychique d’un patient et son évolution. C’est loin d’être une pratique neutre. Elle permet certes de diminuer les doses d’anesthésiants, de diminuer la douleur, ce qui peut être intéressant pour les infirmières, mais ce qu’on ne dit pas, c’est qu’il n’existe pas d’études sur les effets indésirables ni de certitude sur son innocuité. C’est pour cela que nous prônons les actions s’inscrivant dans un projet d’équipe, sous responsabilité médicale.
Le vrai danger n’est pas tant que la personne soit incompétente, mais qu’une personne isolée au cabinet ne puisse pas appréhender certains aspects de l’hypnose. Notre intervention s’adresse moins aux infirmiers qu’aux organismes de DPC qui proposent des formations très courtes, une journée et qui prétendent à l’issue de cette formation que l’infirmier sera formé à l’hypnose et pourra prendre en charge un patient pour moins de douleur, etc… ce n’est pas sérieux. Les programmes de DU sont plus longs, plus approfondis que ce qui est proposé par certains organismes de DPC, au moins six mois, c’est un gage d’acquérir une formation complète… ce genre de formations est à même de permettre d’anticiper les effets indésirables, elle apporte les compétences scientifiques nécessaires à l’appréhension des techniques de l’hypnose.
Il n’y a aucun souci pour les formations qui s’inscrivent dans un projet d’équipe. Il serait néanmoins intéressant de remettre les choses à plat, de clarifier la situation. Finalement, on est avec l’hypnose dans la même situation qu’avec l’ostéopathie il y a quelques années, avant la loi de mars 2002. Aujourd’hui, en ostéopathie, il existe un référentiel de pratiques, des écoles agréées, un référentiel de formation. Maintenant que l’hypnose est une pratique « à la mode » et qu’elle a montré son efficacité auprès des patients, notamment dans la prise en charge de la douleur, cela pourrait être intéressant d’avoir une clarification : cela aiderait tous les acteurs - l’ANDPC et les professionnels de santé - à comprendre et à se protéger de certaines mauvaises pratiques. Car l’hypnose est une voie pour lesquels les professionnels de santé et notamment les infirmiers expriment un véritable intérêt mais je reste convaincue qu’elle doit être encadrée et pratiquée par des personnes extrêmement compétentes dont la formation a été rigoureuse. C’est pour cela que l’Agence insiste pour que les formations s’inscrivent dans des projets de soins en équipe pour les infirmières qui voudraient se former à l’hypnose.
Ces dernières années nous ont permis de reconnaître à la fois d’immenses progrès techniques qui ont transformé les résultats des soins et la sécurité des patients mais ont aussi mis en lumière rôle fondamental de la relation humaine dans le domaine de la santé. Alors que la qualité de la relation soignant soigné était jusqu’ici une évidence, tant de la part des patients (mon infirmière est gentille, elle est patiente et elle s’occupe bien de moi) que du côté des soignants (« si je fais ce métier c’est parce que j’aime m’occuper des autres, que leurs difficultés m’importent, que je sens que je peux faire quelque chose pour les personnes malades »), les données récentes ont largement confirmé une cette vision idyllique n’était pas très souvent réalisée. Plusieurs raisons expliquent cette discordance entre l’image et la réalité de la vie quotidienne des patients et des soignants. La plus souvent citée est la pression de production, c’est à dire le fait que la charge en soins est telle que les soignants ne peuvent prendre le temps d’accompagner, comme ils le souhaiteraient, les patients dont ils ont la charge. Si cette situation est souvent réelle, elle peut masquer une réalité plus dure : les soignants ne sont pas tous (et c’est même probablement la majorité) doués de l’empathie naturelle qui est attendue d’une personne qui soigne les autres. Cette constatation conduit à la nécessité de mettre en évidence cette discordance (que d’aucuns nient), à en parler, à en expliquer les causes et les conséquences et surtout à tenter de rectifier cette façon inappropriée de se comporter face aux patients. Il serait trop long de détailler les conséquences néfastes de ces défauts de communication et d’attention mais on peut au moins rappeler qu’ils conduisent à des erreurs médicales et à une adhésion réduite des patients à leurs traitements, réduisant l’efficacité du système de soins et sa capacité à améliorer la santé de la population.
La formation des soignants qui leur permet d’améliorer leurs capacités de communication, d’écoute et d’empathie est donc cruciale. Elle devrait être obligatoire pour tous les métiers de la santé et devrait être enseignée idéalement à un stade très précoce de la formation afin que les attitudes de communication positive soient d’emblée incluses dans le comportement des soignants et deviennent une seconde nature. En attendant que cette stratégie incluant précocité et ubiquité soit instaurée, la formation des soignants en exercice doit être soutenue car les personnes formées peuvent aider leurs collègues à inscrire la communication positive dans leurs attitudes. La communication hypnotique est le moyen le plus évident pour modifier le comportement des soignants. Elle s’append simplement, est utilisable à tous les instants de la vie professionnelle et est sans danger. On soulignera le fait que contrairement aux actes thérapeutiques incluant des prescriptions médicamenteuses ou des actes invasifs, la communication hypnotique sert la qualité des soins et n’engendre pas d’effet délétère. Elle peut donc être confiée à tous les soignants.
Comme pour tous les apprentissages, la formation peut comporter des degrés variables de détail, allant d’une connaissance superficielle à une expertise sophistiquée. Or l’expérience prouve que même une compétence limitée en communication porte déjà des fruits intéressants et reconnus par les patients.
À l’arrivée au bloc opératoire, situation stressante par-dessus tout, la rencontre entre le soignant et le patient qui se découvrent l’un l’autre et n’auront qu’une relation de courte durée, peut être soit difficile lorsque le manque d’empathie est évident mais peut être considérablement facilitée si le soignant observe une attitude positive, communique bien et utilise quelques moyens simples (verbaux, non verbaux ou paraverbaux) qui vont rendre cet instant difficile un peu moins délicat. De nombreuses autres situations sont de bons exemples du bénéfice apporté par une communication hypnotique. Lorsque l’on va dans un laboratoire d’analyses médicales pour une prise de sang, là encore la relation avec l’infirmière sera de courte durée mais l’acte technique nécessaire (ici la ponction veineuse) est porteur d’inquiétude et de douleur qui peuvent être facilement réduites par les techniques hypnotiques. Celles-ci sont utilisables en quelques instants et sont efficaces même dans le cadre d’un soin court. Ces techniques sont tout autant utilisables lorsque le soignant et le patient ont une relation plus durable (par exemple une infirmière en secteur d’hospitalisation qui va voir le même patient plusieurs fois par jour et pendant plusieurs jours). Chaque acte de soin (souvent porteur d’inquiétude), chaque rencontre peut être difficile mais tous ces moments peuvent tout autant être transformés en des moments de calme relatif si le soignant a une capacité relationnelle renforcée et qu’il est conscient de l’importance de la relation dans le soin.
Devant une telle évidence, on est alors surpris de voir les limitations qui sont imposées à la diffusion de la connaissance de ces techniques hypnotiques dans le monde des soignants. Mettre en avant le risque d’exercice illégal de la Médecine est surprenant et sans objet puisque les méthodes de communication hypnotique sont universelles et qu’elles concernent simplement la relation humaine, ne portent pas en elles le danger d’un effet indésirable et peuvent bénéficier au plus grand nombre et tous les jours. Limiter l’emploi et la formation à l’hypnose lorsque celle-ci est réalisée en équipe de soins est aussi contre-intuitif puisque, comme on l’a vu depuis le début de ce texte, on parle ici uniquement de relation individuelle entre deux personnes. Il ne saurait y avoir besoin de protocole écrit si ce n’est d’écrire dans le grand livre de la Médecine que la relation humaine est importante et que les moyens d’accompagner les patients est indispensable à chaque étape du soin et pour chaque soignant. Pourquoi les actes de communication hypnotique devraient-il y se faire sous responsabilité médicale ? On pourrait légitimer cette stratégie si des risques existaient pour le patient mais c’est tout l’inverse qui est la réalité. De plus, comment les médecins qui sont moins présents au contact des patients (au moins dans l’exercice hospitalier), pourraient-ils prescrire une pratique hypnotique (à laquelle ils n’ont pas été formés) à un patient qu’ils connaissent moins bien que l’infirmière ?
Il est nécessaire d’inscrire aujourd’hui la formation à la communication hypnotique dans les programmes de formation continue des personnels médicaux et paramédicaux et dans le même temps, introduire cette approche chez les apprenants en formation initiale. Plutôt que de restreindre la formation dans des conditions spécifiques, la formation à la relation positive devrait être incluse dans tous les modes de formation et largement diffusée. L’exercice de l’hypnose est plus large que la communication hypnotique dont nous venons de parler largement. Lorsque celle-ci s’inscrit dans un processus thérapeutique (et non de soutien instantané), alors le niveau de connaissance exigible est accru, une expertise est nécessaire et une formation longue est indispensable. Ne pas séparer les deux approches revient à réduire à néant les efforts d’amélioration de la qualité relationnelle dans les soins et leurs effets bénéfiques qui sont pourtant si nécessaires. Exclure les soignants non médicaux de l’hypnothérapie est légitime mais ne pas leur donner l’opportunité de mieux communiquer avec les patients dont ils ont la charge est injuste et inadapté à notre monde dans lequel le patient est au centre des soins.
Directrice de l’Agence nationale du développement professionnel continu.
Département d’Anesthésie Réanimation - Groupe Hospitalier et Faculté de Médecine Paris Sud