Les infirmières dans la Grande guerre - 3/4
L’expérience d’infirmière bénévole a été l’occasion pour nombre de jeunes femmes de sortir du carcan de l’éducation conservatrice qui leur était prodiguée. Cette émancipation a été déterminante pour deux féministes, la Française Louise Weiss et l'Anglaise Vera Brittain.
Louise Weiss découvre l’engagement à la faveur de la Grande guerre. Alors qu’elle se repose en Bretagne, après avoir décroché l’agrégation de lettres, cette jeune femme de caractère se fait remarquer le service de santé de Saint-Brieuc. On lui demande d’ouvrir un lieu d’accueil pour soldats malades et blessés à Saint-Quay-Portrieux. Pendant quelques mois, la jeune femme s’improvise garde-malade et gestionnaire de clinique. Elle reçoit l’aide matérielle des sociétés de la Croix-Rouge et se sert de médicaments dans l’officine, fermée pour cause de mobilisation du pharmacien. Elle observe avec humour les pratiques surannées du médecin du village, qui horrifient l’infirmière venue l’aider, formée aux hôpitaux de Paris et à l’aseptie... Elle partage sa vie quotidienne avec une vingtaine d’hommes, qui se montrent respectueux avec la jeune femme et cantonnent leurs frasques à l’extérieur de la clinique.
Les « pauvres diables » de Louise Weiss
Pour éviter de s’attirer l’hostilité des esprits bien pensants, Louise oblige ses soldats à se rendre à la messe du dimanche - athées, Sénégalais et Maghrébins compris. Elle note dans ses mémoires (1): « J’avais trouvé un autre moyen que le Requiem pour incarcérer mes pauvres diables. Je brandissais le carnet de feuilles de route qui m’avait été remis par le Service de Santé. Ma signature signifiait leur départ immédiat puis, à plus ou moins longue échéance, de nouveau le feu. Ce carnet possédait donc une exceptionnelle vertu tranquillisante. Mais il me torturait. J’avais tendance à garder mes protégés au-delà du temps nécessaire afin de ne point parapher leur arrêt de mort.» Un pouvoir que partagent bien des infirmières de guerre. Louise Weiss ferme fin 1916 son dispensaire et s’oriente vers le journalisme.
L'« angoisse impuissante » de Vera Brittain
En 1915, Vera Brittain, qui avait obtenu de haute lutte son inscription à Oxford, quitte l’université. Elle veut rejoindre le monde de la guerre, dont elle se sent exclue en tant que femme. Elle s’engage comme infirmière auxiliaire volontaire en Angleterre, puis part à Malte, avant de gagner la France. En 1917, elle est affectée à l’hôpital militaire d’Étaples (Pas-de-Calais), où elle soigne également des prisonniers de guerre allemands.
Le bilan de la guerre est tragique. En 1919, Vera se retrouve isolée, en porte-à-faux avec une paix basée sur l’humiliation de l’Allemagne vaincue. La jeune femme a perdu son fiancé, son frère et ses illusions. Elle entreprend des études d’histoire pour comprendre
la guerre et ce à quoi elle l’a contrainte : « Endurer la peur, le chagrin et la fatigue qu’elle provoquait et assister dans une angoisse impuissante aux morts, non seulement de mes intimes, mais aussi d’un nombre important d’hommes courageux, ne se plaignant pas, que j’avais soignés et que je n’avais pu sauver » (2). La jeune femme deviendra ensuite journaliste et fera valoir ses idéaux pacifistes et féministes.
Marie-Capucine Diss
Photos, de bas en haut:
- Portraits de Vera Brittain (à gauche) et de Louise Weiss.
- Louise Weiss lors d'une manifestation de suffragettes en 1935.
- Page de couverture de Testament de jeunesse, de Vera Brittain.
1- Mémoires d’une européenne, T1, paru en 1968.
2- Testament de jeunesse, paru en 1933.