INTERVIEW EXCLUSIVE
Sarah Guerlais, infirmière libérale et figure de la profession à travers le collectif "Ni bonnes", raccroche. Son témoignage, loin d’être décourageant, est une reconnaissance du métier. Et un appel à se mobiliser.
Espaceinfirmier.fr : Pourquoi arrêtez-vous d’exercer ?
Sarah Guerlais : Ce n’est déjà pas simple de faire ce métier physique, d’être tout le temps dehors, en mouvement. Mais si, en plus, on ne peut plus accéder au domicile du patient… Quand vous recevez plusieurs PV pour mauvais stationnement (1), vous avez l’impression qu’on vous empêche de travailler. Par ailleurs, après huit ans en libéral, même en me formant chaque année, je ressens une lassitude liée au fait de ne pas apprendre. Même s’il y a toujours de nouvelles rencontres, le travail se répète. Même à plusieurs dans le cabinet, il faut assurer la continuité des soins 7j/7. Même avec un réseau, on est assez isolé. Cette profession, je l’ai aimée, je l’aime toujours. Mais trop de choses négatives prennent le dessus.
Vous avez vice-présidé et représenté à la télé le collectif "Ni bonnes, ni nonnes, ni pigeonnes". Votre bilan ?
S. G. : La parole s’est un peu déployée, mais cela ne suffit pas. Il est difficile de faire bouger les collègues et d’obtenir des résultats. A titre personnel, je pense que les seuls moyens d’action sont les épreuves de force, comme un refus d’enregistrer les patients aux urgences. S’il n’y a même pas une désobéissance, il ne se passera rien. Or, il y a une résignation collective sur l’évolution et la reconnaissance de la profession. Les soignants savent très bien rouspéter en salle de pause, mais dès qu’il s’agit d’agir, de prendre un peu de risques, parce que ça en vaut le coup, il n’y a plus grand monde.
Vous allez vous faire des amis…
S. G. : Je ne désigne personne en particulier, nous avons chacune eu des moments où nous n’étions pas courageuse ni assez vigilante. En fait, les gens qui se mobilisent sont ceux qui vont le mieux. Une frange de soignants s’intéresse à la façon dont fonctionne l’hôpital. Mais une majorité se sent dépassée, avec l’impression qu’il n’y a aucun moyen d’action. Les soignants ont peur. De plus en plus sont en situation précaire. Il y a ceux qui sont au boulot, ceux qui, fatigués, ont besoin de leur journée de repos. De plus, les infirmières n’ont pas très confiance en elles. Le passé pèse encore, avec une profession, qui plus est, très féminisée. Et on ne nous apprend pas forcément à penser notre profession. En acceptant certaines choses, nous sommes les premières responsables de la situation.
Cette situation, comment la décririez-vous ?
S. G. : Elle se délite progressivement dans l’hospitalisation publique et privée. La tarification à l’activité tient en laisse les services et a eu un impact sur les conditions de travail. Avec l’organisation en pôles s’est développé l’hôpital-entreprise. Aujourd’hui, la plupart des soignants sont dans un conflit entre le cœur de leur métier et les choix économiques. Et la rupture avec l’administration est consommée. Il y a un turn-over dans le personnel soignant : au bout de deux ans, spécifiquement en Île-de-France, on se retrouve la plus ancienne d’un service. Il n’y a plus de mémoire.
Propos recueillis par Mathieu Hautemulle
Photo: MH
1- Sarah Guerlais, qui a reçu cinq PV en deux mois, invoque notamment un manque de place en ville.
A lire: Dans L’Infirmière libérale magazine d’octobre, Sarah Guerlais évoque les difficultés du libéral, ses propositions pour l’améliorer, ses difficultés à trouver un repreneur pour son cabinet et son projet de reconversion…