Dans Le moindre mal, une infirmière passe du poste de soins aux étagères des libraires. Rencontre avec Isabelle Pacitti, IDE au CH de Figeac (Lot), et son portraitiste, François Bégaudeau.
Depuis le début de l’année, la collection Raconter la vie relate, livre après livre, ce qu’elle appelle « le roman vrai de la société
d’aujourd’hui ». Elle ne pouvait manquer de s’intéresser à l’hôpital. C’est François Bégaudeau, l’auteur d’Entre les murs, qui
s’y colle, dressant le portrait d’Isabelle, infirmière de 40 ans en chirurgie. Le romancier retrace le parcours de la soignante, de l’Ifsi à l’Ehpad, en passant par la pneumologie, la gériatrie, l’endocrinologie, les SSR… L’écrivain a le souci du détail et du mot juste, et il nous livre un récit dans lequel se reconnaîtront beaucoup de soignantes. Des conflits sociaux à la fin de vie, des relations avec les médecins aux conditions de travail dégradées, en 74 pages, tout y passe. Un véritable condensé de la vie hospitalière.
L'Infirmière magazine: Pouvez-vous nous raconter comment est né le livre ?
Isabelle Pacitti : J’ai contacté François en tant que lectrice. Nous nous sommes ensuite rencontrés lors d’un salon du livre. Nous avons échangé quelques mails et il m’a proposé cette aventure.
François Bégaudeau : La collection Raconter la vie demande aux auteurs de saisir un élément du réel français, libre à eux de choisir lequel. Quand ils m’ont proposé d’écrire un livre, je venais de rencontrer Isabelle. Elle m’avait un peu parlé de son métier et cela convenait parfaitement ! On est tous des usagers de l’hôpital, soit directement, soit par l’intermédiaire de nos proches.
I. P. : François a su trouver les mots pour me mettre en confiance. Et d’une façon très égoïste, j’étais assez attirée par cette aventure inédite, qui sortait complètement de mon quotidien à l’hôpital.
Comment s’est déroulé le travail de documentation ?
F. B. : Techniquement, je ne connais rien à la santé. J’ai donc « cuisiné » Isabelle. En tout, nous avons eu une quinzaine d’heures d’entretien. Ensuite, je l’ai observée deux jours entiers à l’hôpital, ce qui m’a permis d’accumuler les détails. Le troisième jour, j’étais trop fatigué, j’ai dit "stop" !
Il ressort de ce récit une impression de tristesse. Pourquoi n’avoir montré que les souffrances et pas les guérisons ?
I.P. : À l’hôpital, et notamment dans les Ehpad où j’ai passé quatre ans, on côtoie la mort de près. Dans les entretiens avec François, j’ai peut-être insisté sur les expériences qui m’ont le plus marquée.
F. B. : Il est vrai que le sujet brasse un matériau difficile. Mais, j’ai tout de même essayé de faire droit à ce qu’il y avait de drôle dans le milieu hospitalier. L’hôpital, après tout, est une petite comédie humaine.
Le livre décrit des conditions de travail qui se dégradent. Le métier d’infirmière est-il de plus en plus difficile ?
I. P. : La tendance est à la compression du personnel. On nous en demande toujours un peu plus, et il faut tout écrire. Les infirmières plus âgées remarquent qu’auparavant, on passait plus de temps auprès des patients.
Le livre s’attarde sur la relation, parfois compliquée, entre médecins et infirmières, entre hommes et femmes...
I. P. : J’ai rencontré des médecins avec lesquels une vraie collaboration s’est installée. Mais pas tous. Dans les Ifsi, on nous apprend le diagnostic infirmier, mais je n’ai pas souvent senti que celui-ci avait de la valeur pour le médecin. Il est clair que les médecins n’acceptent pas de la même manière le regard d’un infirmier homme et d’une infirmière. Et inversement, ils ne parlent pas de la même façon à un infirmier et à une infirmière.
Isabelle, vous parlez, à demi-mots, de reconversion. Qu’en est-il ?
I. P. : J’y ai songé. Cela ne veut pas dire que je suis démotivée, j’adore ce que je fais ! C’est simplement le corps qui parle. J’aimerais rentrer chez moi après une journée de travail et ne pas être trop fatiguée pour faire autre chose !
Propos recueillis par Adrien Renaud
Photo: AR
Le moindre mal, Éd. du Seuil, Coll. « Raconter la vie », 5,90 €
Article paru dans L'Infirmière magazine n°352/353, daté d'octobre.