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Le 16 octobre, au Salon infirmier, l'Ordre national des infirmiers a consacré une table-ronde à ces dépassements de tâches qui, au quotidien, placent les paramédicaux en exercice illégal.
Une secrétaire faisant fonction d'aide opératoire, une aide-soignante assumant le rôle de circulante... Les dérives de pratiques en chirurgie font régulièrement la une de la presse. Entre 2011 et 2013, une dizaine de plaintes pour exercice illégal de la profession infirmière ont été déposées par l'Ordre et, pour la première fois, un établissement est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour complicité. Mais les dépassements de tâches sont loin d'être cantonnés au bloc opératoire. Au quotidien, consciemment ou non, les professionnels de santé franchissent les limites posées par la loi.
« Vous travaillez sur une exception : le droit de porter atteinte à l'intégrité du corps humain, expose Jean-Christophe Boyer, avocat au cabinet Boyer. La règle étant « c'est interdit », la loi précise les cas où on l'on a le droit d'intervenir.» Ainsi, le décret d'actes infirmiers est une « liste exhaustive » de ce que l'IDE est autorisée à faire, de par son rôle propre ou sur prescription médicale ; « ce qui n'y figure pas, vous n'avez pas le droit ». Une logique parfois difficile à comprendre pour le médecin, « libre avec ses compétences d'agir dans l'intérêt du patient » et pour qui « je sais faire » veut dire « je peux faire »...
Si le médecin peut confier ses actes aux IDE, ces derniers n'en deviennent pas pour autant des actes infirmiers. «Vous pratiquez la médecine, insiste l'avocat. Le médecin reste responsable. » Mais si ce dernier confie un acte médical à l'IDE alors qu'il n'y est pas autorisé, il s'agit d'exercice illégal de la médecine. De même, si l'IDE peut confier un acte qui relève de son rôle propre à une AS, elle ne doit pas déléguer les actes sur prescription médicale : cela constituerait un exercice illégal de la profession d'infirmière.
Dans l'un ou l'autre cas, les deux professionnels pourront être mis en cause. « Que l'on soit auteur ou complice par instruction de l'exercice illégal, on risque les mêmes peines (1), rappelle Me Boyer. Et la peine complémentaire, c'est l'interdiction d'exercer. » Si l'acte en question provoque le décès d'un patient, son auteur sera, de plus, reconnu coupable d'homicide involontaire car il aura manqué à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. « Le caractère d'urgences n'y changera rien », affirme Me Boyer.
Mais dans la pratique, l'exercice illégal n'est pas clairement identifié par les professionnels. En témoignent les nombreuses questions posées par l'assistance. Que faire en cas de prescription « si besoin » ou mentionnant la nécessité d'« adapter le traitement », par exemple s'agissant d'anxiolytiques en psychiatrie ? « Si c'est l'IDE qui juge du besoin, on est dans la délégation de prescription et de diagnostic médical, donc dans le dépassement de tâche», estime l'avocat. Mieux vaut privilégier la formulation « à la demande du patient », tout en demandant au médecin de préciser scrupuleusement le produit et la quantité. Et si le patient n'est pas en état de faire ce choix, à charge pour un médecin de reprendre la prescription.
En revanche, la prescription « si douleur » est tout à fait légale. « L'infirmière est habilitée à entreprendre et adapter le traitement antalgique dans le cadre des protocoles préétablis », précise l'article 4311-8 du code de santé publique.
En l'absence de médecin, la nuit, comment recourir à une contention ? Plutôt que de miser sur une prescription du médecin a posteriori, « il vaut mieux voir avec le cadre pour élaborer un protocole ».
Autre zone grise : la prise médicamenteuse. La préparation d'un pilulier, comme toute application d'une prescription, est un acte confié à l'IDE, et ne peut donc pas être effectué par une AS. En revanche, l'IDE peut confier à cette dernière l'aide à la prise médicamenteuse, qui relève du rôle propre infirmier, mais elle restera responsable en cas d'erreur médicamenteuse.
Aveline Marques
1- Pour l'exercice illégale de la profession de médecin, comme de la profession d'infirmière : deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.