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Dénonçant le rapport de la Cour des comptes, la chasse aux fraudes, l'obsolescence de la nomenclature des actes et la lourdeur administrative, un collectif d'infirmiers libéraux du Cotentin alerte sur une "mise à mort" de la profession. Le 15 décembre, ils ont adressé une lettre ouverte à Marisol Touraine, que nous reproduisons dans sa totalité.
Madame la Ministre,
Nous, Collectif IDEL Cotentin En Colère, avons l’honneur de vous adresser cette lettre ouverte qui, nous le savons, retiendra toute votre attention.
Au lendemain des tragiques événements du mois de novembre, vous n’avez (fort justement) pas tari d’éloges envers les services d’urgences et de secours de notre magnifique et très convoité système de santé que vous qualifiiez vous-même comme l’un des meilleurs et des plus aboutis…
Cependant, Madame la Ministre, notre profession d’infirmiers libéraux, qui au quotidien et 365 jours par an, est au plus près de nos concitoyens et de nos ainés garantissant ainsi la continuité des soins, se sent aujourd’hui méprisée, salie, humiliée et trahie.
Pas un mot, pas un geste, et ce depuis des mois, face à nos inquiétudes devant une autre catastrophe qui se profile : la mise à mort de notre profession et avec elle, le désastre sanitaire pour nos concitoyens.
Pire, suite au rapport de la Cour des comptes en date du 15 septembre 2015 dont la lecture est très contestable (nous vous renvoyons à l’article de « Que choisir » numéro de décembre), une véritable chasse aux sorcières a été engagée par les organismes payeurs envers la profession.
Vous êtes, Madame la Ministre, en tant que femme politique de rang, la première à dénoncer avec force et conviction, l’exécrable principe du « tous pourris » qui tendrait à faire croire que le plus petit nombre fait la généralité.
Non, Madame la ministre ! Si quelques éléments isolés salissent notre profession, nous sommes les premiers à le dénoncer et à en pâtir, comme nous sommes les premiers remparts aux abus et dérives qui gangrènent notre chère Sécurité sociale.
Aujourd’hui, et tandis que nos instances « représentatives » mâchent du crayon, que notre Ordre (pourtant lui aussi sujet d’un rapport récent) ne se sent absolument pas concerné par nos « petites préoccupations », nous sommes malmenés, meurtris mais très en colère et ceci, dans l’indifférence générale.
Prisonniers d’une nomenclature obsolète régie par le principe de dégressivité des actes (une aberration), avec une quantification des soins en fonction du temps passé, venant télescoper un décret de compétences qui pourtant chaque fois nous ramène aux besoins fondamentaux et au principe de dignité, prisonniers encore du déni d’une réalité de terrain, d’une population vieillissante, isolée et bien souvent sans beaucoup de moyens qui s’oppose à l’état financier déplorable de nos hôpitaux, prisonniers enfin d’une lourdeur administrative encore jamais égalée.
Dignité dites-vous ? Où ? Quand ? Pour qui ? Comment ?
Nous avons appris un métier que nous aimons, parce que nous aimons l’Humain et aujourd’hui vous nous demandez de devenir des machines administratives.
Notre profession applique de façon massive le tiers payant généralisé dont vous avez si ardemment défendu les vertus. Nous passons des heures au téléphone, pour ne pas dire des journées de repos à tenter de nous faire rémunérer de nos actes, des nuits derrière nos écrans à traiter rejets, indus, et gare à l’erreur tombant aussitôt sous le coup de la fraude !
Aujourd’hui, notre très chère Sécurité sociale, dont nous avons récemment soufflé les bougies, risque fort de s’éteindre au profit des multinationales, perdant ainsi toute vertu d’égalité pourtant gravée sur chaque fronton.
Vous venez en outre de débloquer quelques menus millions au profit des HAD dont le coût d’intervention est faramineux, vous nous mettez de façon déloyale en concurrence avec les Ssiad, mais vous-êtes-vous questionnée quelques instants sur le coût réel de ces mêmes soins quand nous les dispensons ? Prenez le temps, Madame la Ministre, de simplement jeter un oeil attentif à notre nomenclature et vous pourrez alors comprendre toute l’irrationalité de telles mesures. Nous pensions naïvement qu’il s’agissait de faire de substantielles économies…
Mais quand on veut abattre son chien, ne dit-on pas qu’il a la rage ?
Permettez-nous, Madame la Ministre, nous qui sommes au plus près de nos aînés, de douter de l’altruisme d’une telle réforme…
Ne voyez pas en cette lettre, Madame la ministre, et en ces quelques mots simples, une quelconque insolence eut égard à votre rang, mais entendez la colère et l’indignation quand la réalité de notre quotidien et celui de nos patients dont vous faites fi se trouve si loin de vos considérations.
Aux discours feutrés et aux envolées lyriques, nous opposons les maux et la réalité du terrain dont vous ne semblez pas avoir connaissance.
Vous pourrez, Madame la Ministre, balayer cette lettre d’un revers de main et la laisser pour morte marquant un peu plus le sentiment de dédain que nous vivons, vous pouvez, comme nous l’espérons encore, y apporter toute votre attention et votre humanité et ainsi prendre les mesures rassurantes et saines qui s’imposent, mais le plus terrible pour nous, je crois, serait comme il est de bon ton, de dire encore que vous entendez et éprouvez de la compassion mais que vous ne changiez rien…
Nous sommes très en colère, madame la Ministre, maltraités, humiliés, indignés mais nous sommes déterminés à ne pas être sacrifiés sur l’autel du dogmatisme.
Indépendant de tout pouvoir, asyndical et apolitique, notre collectif se tient évidemment et malgré nos agendas très chargés, à votre disposition ou à celle de vos collaborateurs pour entamer une discussion constructive et ne pas rester sous le coup de l’amertume.
Nous sommes, Madame la Ministre, de simples infirmiers libéraux, honnêtes et professionnels, repoussant toujours les limites de l’abnégation, mais terriblement fatigués… terriblement déçus…
Souhaitant vraiment une réponse de votre part et malgré nos doutes quant à la réciprocité de la formule établie, veuillez croire, Madame la Ministre, en notre très haute et sincère considération.
Pour le collectif Florent Regal