04/02/2016

JOURNÉE MONDIALE DE LUTTE CONTRE LE CANCER

Cancer : le prix de la vie

Le coût des nouvelles molécules anticancéreuses pèse lourd sur le budget des systèmes de santé et risque de remettre en cause l’égalité d’accès aux soins. Alors que La Ligue contre le cancer tire la sonnette d’alarme, l’Institut Paoli-Calmettes (Marseille) organisait un débat sur le sujet le 28 janvier.

Apparue dans les années 1970, et progressivement améliorée depuis, la chimiothérapie adjuvante a permis de réduire de près de 50% la mortalité associée au cancer du sein. Depuis une vingtaine d’années, l’espoir réside dans le développement de thérapies ciblées, moins agressives, qui agissent sur les altérations moléculaires responsables du développement des cellules cancéreuses. Ainsi, le Glivec (imatinib, Novartis) a considérablement amélioré le pronostic de la leucémie myéloïde chronique.

Représentant 60% des molécules anticancéreuses qui ont obtenu une première autorisation de mise sur le marché entre 2004 et 2014, les thérapies ciblées ouvrent la voie à une médecine de précision. « On s’est rendu compte que les cancers, en général, sont hétérogènes. Ils présentent un grand nombre d’altérations moléculaires ; certaines se retrouvent dans d’autres types de cancers », a exposé le Pr Anthony Gonçalves, oncologue médical à l’Institut Paoli-Calmettes (Marseille). L’enjeu est de parvenir à identifier les petits groupes de patients qui pourraient bénéficier des mêmes traitements.

100 000 dollars par an

Mais si les outils de médecine génomique sont désormais accessibles, le prix des nouvelles thérapies est problématique. Aux États-Unis, où le débat est vif, le coût moyen des traitements anticancéreux a doublé en dix ans, pour atteindre en moyenne 10 000 dollars par mois. Sur les 12 traitements approuvés en 2012 par l’agence américaine du médicament, 11 coûtent plus de 100 000 dollars l’année. La France n’est pas épargnée : les dépenses d’Assurance maladie en matière d’anticancéreux (environ 10% du budget médicaments) sont en augmentation de 8 à 9% par an.

« La manière dont on traite le cancer aujourd’hui a obligé l’industrie pharmaceutique à changer son modèle de développement des médicaments. On est passé d’une stratégie « blockbuster » -c’est-à-dire un médicament à large spectre donné à des centaines de milliers de personnes à un prix unitaire abordable- à un modèle «médicaments de niche », ultra-ciblés, qui vont concerner quelques centaines, milliers de personnes, analyse Patricia Marino, économiste à l’Inserm. De fait, il y a une réduction de la taille du marché pour l’industriel, qui va répercuter ça sur le prix de vente du médicament. »

La tendance n’est pas près de s’inverser : le passage au séquençage du génome haut débit va accélérer le développement des thérapies ciblées. Les nouvelles molécules d’immunothérapie, visant à restaurer la fonction antitumorale du système immunitaire, sont annoncées à des prix faramineux (157 dollars le mg d’ipilimumab, Yervoy). Des traitements de 2e, 3e, voire 4e ligne, qui s’ajoutent donc aux molécules habituelles, et qui seront prescrits sur une longue période. « Ça va coûter de plus en plus cher de gagner une année de vie », résume l’économiste.

Comment le système de santé pourra-t-il assimiler le coût de ces nouvelles molécules ? « Un médicament peut être efficient mais un système de santé peut juger qu’il ne peut pas se le payer et qu’on ne peut pas l’offrir à tout le monde », pointe Patricia Marino. C’est le cas du Royaume-Uni, qui a mis en place une évaluation médico-économique des médicaments fondée sur le coût par année de vie supplémentaire apportée par l’utilisation d’un médicament donné; un système qui restreint l’accès à certains anticancéreux onéreux.

Le coût réel

En France, la question s’est récemment posée avec le Sovaldi (sofosbuvir, Gilead), un traitement de 12 semaines qui guérit 90% des hépatites C chroniques… pour la modique somme de 41 000 euros. Un prix de vente déconnecté du coût de production, estimé à quelques centaines d’euros tout au plus. La priorité a été donnée aux patients de grades 3 et 4. « Pour la première fois, on a priorisé la prescription de ce médicament sur un critère d’impact budgétaire pour l’Assurance maladie », souligne Patricia Marino.

Craignant que l’accès aux nouvelles molécules anticancéreuses soit également restreint, La Ligue contre le cancer a lancé l'alerte en décembre dernier. Elle réclame la création d’un observatoire indépendant et demande la transparence sur la fixation des prix et des remboursements, et plaide pour un « prix juste », « fondé sur le coût réel de la recherche, du développement et de la production-distribution ».

Comment définir la valeur d’un médicament ? Comment garantir un accès équitable ? Est-ce raisonnable de payer de telles sommes, au détriment d’autres traitements, de la prévention, du dépistage ou d’autres pathologies ? Des questions qui se poseront dans les années à venir.

Aveline Marques


Visionnez le débat de l'Institut Paoli-Calmettes

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