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TROIS QUESTIONS À...
À l’occasion de la journée de sensibilisation à l’autisme, le 2 avril, Josef Schovanec, autiste Asperger, philosophe et écrivain(1), revient sur le retard français dans la prise en charge de cette maladie qui touche 600 000 personnes en France.
Espaceinfirmier.fr : La France est souvent épinglée pour son retard dans la connaissance et la reconnaissance de l’autisme. Qu’observez-vous sur le terrain ?
Josef Schovanec : À profil égal, le destin d’un enfant avec autisme peut varier du tout au tout en fonction de deux principaux paramètres. D’abord, le département où il vit. Certaines maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sont parfaitement au point sur l’autisme, d’autres non. Les inégalités sont alarmantes : le montant de l’allocation allouée dépend de la capacité à évaluer le handicap par la MDPH. En fait, cela dépend de ceux qui siègent dans les instances. À Strasbourg par exemple, sous l’impulsion d’une direction sensible à l’autisme, on a pu voir de grands progrès dans l’évaluation et les propositions de prise en charge de l’autisme.
L’autre variable, c’est la richesse personnelle de la famille. Plus elle a les moyens et un bon réseau, plus l’enfant a des chances d’obtenir une prise en charge adaptée. Ce qui implique : appuyer une demande d’allocation enfant handicapé à la MDPH sans dépasser le délai légal d’instruction du dossier (fixé à 4 mois, pas toujours respecté), faire entrer un enfant dans un dispositif d’enseignement adapté (2), s’installer à l’étranger pour qu'il ait accès à l’éducation, ou prendre en charge les transports et les professionnels non-remboursés (psychomotricien, psychologue...). Le monde de l’autisme est un monde d’inégalités, du diagnostic à la prise en charge.
Les autistes ont souvent des parcours médicaux chaotiques. Quelles en sont les conséquences ?
Actuellement, en France, une personne avec autisme a encore beaucoup de risques de se retrouver avec un diagnostic psychiatrique médiéval. On traite des psychoses par exemple, alors que le profil n’est pas du tout le même ! Et c’est encore pire pour les filles… Comme on a longtemps cru que c’était une maladie qui touchait uniquement les garçons, on les qualifiait d’hystériques.
Les parents d’enfants autistes dénoncent souvent le manque d’accès à l’éducation. Quel avenir leur réserve-t-on ?
On prépare des générations d’adultes dépourvus de compétences, tout simplement. La majorité des écoles refusent les enfants avec autisme qui sont vus comme difficiles. De plus, les enseignants ne sont pas formés.
Et les lois n’y changent rien : quand une école vous refuse l'admission, vous pouvez appeler le Rectorat ou les médias, elle n’accueillera pas votre enfant pour autant. D’ailleurs, dans les discussions sur l’autisme, le ministère de l’Éducation nationale brille par son absence…
Pour agir, il faut sortir de la représentation sociale de l’autiste comme un petit enfant dont la maman cherche un docteur pour le sauver. Les autistes sont aussi des adultes : ils grandissent, vieillissent, et devraient avoir droit à une vie la plus normale possible.
Propos recueillis par Cécilie Cordier
(1) Josef Schovanec est auteur de Je suis à l’est et Éloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez, publiés aux éditions Plon. Il a récemment préfacé l’ouvrage Autisme, la grande enquête, de Sophie Le Callennec et Florent Chapel (éd. Les Arènes).