Jaime Lannister a survécu à l'infection qui a suivi l'amputation de sa main.

22/08/2016

LA MÉDECINE DANS GAME OF THRONES - Épisode 4

Au chevet des blessés

Raoul Perrot, professeur honoraire à l’Université de Lyon 1, est docteur en biologie humaine. En 1982, sa thèse portait sur les blessures et leur traitement au Moyen Âge. Un sujet qui n’a pas cessé de le captiver. Ancien directeur du laboratoire d’anthropologie anatomique et de paléopathologie, il est un lecteur tout aussi passionné de la sage du Trône de Fer, dans laquelle il décèle de nombreuses convergences avec ses connaissances scientifiques.

À lire la saga du Trône de Fer, on est surpris par les connaissances en analgésie ou le type de soins apportés aux nombreuses victimes de traumatisme causés par les affrontements. Or, le Moyen Âge est souvent considéré comme une période d’interruption de la transmission des connaissances scientifiques… S’agit-il d’une licence artistique de l’auteur ?

Le Moyen Âge, au contraire, a permis la transmission du savoir depuis les Arabes. De tous temps, les médecins se sont basés sur ce qui existait avant. Hippocrate a ainsi repris des techniques élaborées dans l’Égypte ancienne (pansement des plaies cutanées, par exemple). Cette époque mérite d’être considérée autrement que comme une longue nuit des savoirs. Il y a bien eu transmission et les chirurgiens ont toujours eu une certaine érudition leur permettant de lire les textes anciens. Ils ont inventé en puisant dans les connaissances des anciens. Et ont, à leur tour, publié. Ils connaissaient les vertus de la pédagogie et ils voulaient transmettre. Par exemple, Henri de Mondeville (1260-1320), chirurgien des rois de France Philippe le Bel et Louis le Hutin, a rédigé tout un traité sur les blessures par flèche et comment retirer le trait sans aggraver le traumatisme.


Une idée largement répandue voudrait que l’essor de la chirurgie soit lié aux ravages de la Première Guerre mondiale en Europe. Là encore, le roman suggère plutôt une continuité…

Les chirurgiens ont toujours beaucoup appris en temps de guerre sur les champs de bataille. D’une manière générale, le traitement des blessés existe depuis longtemps. Au Moyen Âge, on retrouve beaucoup de blessures de guerre. Des sections de membres par hache ou épée, des perforations, des traumatismes par objets contondants qui font pas mal de dégâts au niveau du crâne. La trépanation est d’ailleurs un élément classique du soin du trauma crânien. Tous les auteurs l’ont décrite - alors qu’ils ont chacun traité très peu de cas - et l’on en trouve des traces remontant à la Préhistoire. Bien sûr, ce type de soin ne s’adressait pas au commun des mortels, mais aux nobles. Le peuple, lui, se contentait des gestes plus empiriques de quelque rebouteux. On retrouve ainsi dans les cimetières de l’époque beaucoup de fractures en baïonnette (photo ci-dessous) qu’on a laissées se consolider sans réduction, alors que déjà Hippocrate avait imaginé un banc de réduction des fractures. En effet, lorsque l’os se brise, les muscles se contractent et amènent les deux fragments du corps de l’os à se chevaucher. Après la consolidation, le résultat était sans conteste une forte claudication. Dans les cas de fractures d’articulation, telle que le coude, on connait même des cas de création d’une néo-articulation fonctionnelle (une pseudarthrose).

Fémur présentant une fracture en baïonnette, retrouvé dans la nécropole mérovingienne de Goudelancourt-lès-Pierrepont, dans l'Aisne. (DR)


Trouvez-vous également que la survie de Jaime Lannister après une amputation brutale de la main et plusieurs jours de marche en l’absence de tout médecin, soit crédible ?

Une forte hémorragie peut avoir été comprimée et cicatriser. Nous avons retrouvé des cas au niveau historique. Bien sûr, la gangrène et le tétanos étaient très répandus sur les champs de bataille. Mais il faut aussi tenir compte de l’aspect romancé de l’œuvre. L’auteur a parfois des raisons de maintenir vivants des personnages au-delà du simple réalisme. On ne sait pas exactement combien de temps le personnage marche avec cette blessure. Sa survie dépend de l’état des linges avec lesquels il est pansé, de l’état de la section. On peut également penser que les gens étaient plus résistants à l’époque. Ils présentaient probablement un seuil de douleur plus élevé qu’aujourd’hui. Et puis dans la mesure où la blessure est franche, l’hémorragie peut avoir permis d’expulser les germes de contact…


Du côté des traitements utilisés, l’usage du "lait de pavot" comme narcotique et sédatif, du vin bouilli pour nettoyer les plaies ou du plâtre sont-ils des anachronismes ?

L’usage du pavot (ci-contre, 3) pour anesthésier à l’époque est un classique - c’est l’un des médicaments les plus anciens de notre pharmacopée. En particulier, on imbibait des éponges que l’on laissait sécher avant de les faire respirer au patient. On utilisait aussi de cette façon, et pour le même usage, le suc de laitue. Le plâtre utilisé sur une fracture (par exemple, après que Ned Stark est attaqué par Jaime Lannister, 2) me semble plus difficile à imaginer à cette époque. Mais un cataplasme d’argile, séchant autour du membre, pouvait jouer le même rôle. D’autant que l’argile est connue pour pomper les excès d’humeurs en cas d’apostème (enflure, œdème…). En revanche, l’emploi d’attelles de bois pour maintenir en place les fragments de l’os serait des plus logiques. Enfin, le vin, c’est de l’alcool. Pourquoi ne pas l’utiliser comme désinfectant ? Le faire chauffer permet de faire disparaître éventuellement les microbes. D’ailleurs, il était utilisé ainsi de longue date dans le monde musulman, pour le régime alimentaire des blessés. La civilisation arabe a beaucoup apporté aux sciences et à la médecine. Abulcasis de Cordoue, célèbre auteur du Moyen Âge d’Al-Andalus, est, par exemple, le premier à proposer un ouvrage où sont représentés des instruments chirurgicaux.

Propos recueillis par Sandra Mignot


1- Tome 3, A Storm of swords.
2- Tome 1, A Game of thrones.
3- L'opium est fabriqué à partir du latex du pavot somnifère.


Dernier épisode lundi 29 août, consacré aux maladies infectieuses.

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