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LA MÉDECINE DANS GAME OF THRONES - Épisode 5
Lèpre, peste et dysenterie ont profondément marqué le Moyen Âge. S'inspirant de cette époque, George R. R. Martin n'a pas manqué d'introduire ces maladies contagieuses dans l'univers du Trône de fer. C'est le cinquième et dernier épisode de notre série estivale sur la médecine dans Game of Thrones et à l'époque médiévale.
La lèpre est la maladie du Moyen Âge par excellence, selon les historiens. Rien d'étonnant, donc, à ce que George R. R. Martin reproduise dans son récit sa forme la plus spectaculaire, la lèpre lépromateuse -infection bactérienne due à Mycobacterium leprae. Dans l'univers du Trône de fer, la « léprose » est une maladie infantile. La chair affectée se durcit, se calcifie et se craquelle, donnant à la maladie son surnom de « grisécaille », dont la princesse Shôren Baratheon (ci-contre) -fille du roi Stannis- porte les stigmates. Les mestres parviennent à endiguer sa progression avec du citron, des cataplasmes à la moutarde et des bains d'eau bouillante.
Face à sa forme mortelle, en revanche, enfants et adultes sont impuissants. Ses premiers symptômes sont connus : un fourmillement au bout des doigts, un ongle qui vire au noire, une perte de sensation (un trait commun avec la lèpre lépromateuse). La chair se raidit, devient froide et une prend une teinte grisâtre, semblable à la pierre. Inexorablement, la maladie -réputée indolore- poursuit sa lente progression jusqu'à transformer ceux qui en sont atteints en « hommes de pierre », aveugles et fous. Il n'existerait que trois remèdes efficaces à la grisécaille, selon la croyance populaire : la hache, l'épée et le couperet. « Trancher les parties affectées arrêtait parfois la propagation de la maladie, mais pas toujours. Plus d'un homme avait sacrifié un bras ou un pied, pour découvrir le lendemain que l'autre virait au gris », songe Tyrion Lannister, lors de sa traversée des Chagrins (1), une région où les « hommes de pierre » vivent en exil.
Car dans l'univers du Trône de fer comme dans au Moyen Âge, les lépreux sont déjà morts aux yeux du monde. «Aussi étrange que cela pût paraître, des hommes qui auraient affronté la bataille d'un cœur léger et risqué la mort pour sauver un compagnon abandonneraient ce même compagnon en un battement de cœur, s'il se révélait porteur de la grisécaille », déplore le mercenaire Jon Connington, qui prend soin de cacher sa maladie (2).
Dans l'Occident médiéval, à partir du XIeme et jusqu'au XVe siècle -période de forte endémie de la maladie-, les lépreux, dont les biens sont confisqués, sont tenus de vivre en léproserie. En 1226, le Royaume de France en comptait plus de 2000. L'exclusion est prononcée par les autorités (religieuses, puis communales) après un examen médical minutieux du cas suspect. Dans son Traité de chirurgie, Guy de Chauliac (1298-1368) décrit les « signes équivoques et univoques » de l'affection : narines resserrées, alopécie, dartres, ulcères, insensibilité... Le savant liste également les traitements susceptibles d'arrêter la propagation de la maladie, que l'on croit causée par un excès d'atrabile : diète, saignée, purge, bains infusés, cautères, mercure (3)... ou encore chair de serpent.
(Peinture murale de la chapelle St-Erige, Auron, XIIe siècle)
Dans la saga, les habitants de Westeros et d'Essos gardent en mémoire une épidémie de « Peste grise », passant pour être une forme très virulente de léprose mortelle. Si le terme « peste » (du latin pestis) a pu être employé, comme au Moyen âge, pour désigner de façon générale une épidémie, l'auteur fait un clin d'œil à la Peste noire, une pandémie de peste bubonique qui aurait provoqué 50 millions de morts en Asie, en Afrique et en Europe, où 30 à 50% de la population aurait péri entre 1348 et 1352. Partie de Chine, l'épidémie a été apportée en Europe par bateau. Dans la saga, la Peste grise se propage de la même façon à Villevieille et à Pentos. Due à la bactérie Yersina pestis, la Peste noire a été transmise par les piqûres de puces de rat. La forme bubonique est caractérisée par une tuméfaction douloureuse des ganglions lymphatiques (les fameux bubons), qui finissent par s'ulcérer et suppurer. Souffrant de fortes fièvres, les malades succombent à une septicémie au bout d'une dizaine de jours (4).
(Allégorie de la peste, peinture anonyme du 15e siècle.)
Face à ce fléau, la médecine médiévale est démunie. Un seul remède : partir vite, aller loin, revenir tard (« cito, longe, tarde »). Dans l'univers de Game of Thrones, le lord de Villevieille parvient à enrayer la propagation de l'épidémie dans les Sept royaumes en ordonnant la fermeture des portes de sa cité et en incendiant les navires infectés.
Confrontée à une épidémie de « caquesangue » (1) - appellation archaïque de la dysenterie-, propagée par des réfugiés, Daenerys tente elle aussi de fermer les portes de Meereen. La reine fait creuser des fossés et incinérer les morts. En vain. Favorisée par le manque d'hygiène, l'infection gagne la cité et ravage les camps des ennemis qui l'assiègent. La dysenterie est en effet connue pour être un redoutable adversaire des armées. C'est probablement une épidémie de diarrhée sanguinolente, provoquée par le manque d'eau potable, qui a emporté le roi de France Louis IX (futur Saint-Louis) et nombre de ses chevaliers en 1270 alors qu'ils faisaient le siège de Tunis, mettant fin à la Huitième croisade.
Aveline Marques
1- A Dance with dragons, Tome 5 de la saga.
2- Dans la série télévisée, c'est Jorah Mormont qui est contaminé en arrachant Tyrion des mains des hommes de pierres.
3- En 2008, une étude menée sur des sépultures médiévales danoises a démontré une forte concentration de mercure dans 79% des squelettes présentant des lésions de lèpre.
4- L'infection peut se propager de façon plus précoce dans le sang (on parle alors de peste septicémique) ou dans les poumons (peste pulmonaire).