#8novembre
Des milliers d’infirmières ont défilé à Paris, et des rassemblements ont eu lieu dans les grandes villes de province. Étudiants, salariés et libéraux sont unanimes : la dégradation des conditions de travail est telle qu'elle remet en cause la qualité des soins.
« Les sous-effectifs, c’est pas automatique ! » ont hurlé les 10 000 manifestants – selon les syndicats – dans les rues de Paris, mardi 8 novembre. En tête de cortège, juchés sur une camionnette, les étudiants de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers) ont harangué une foule composée de nombreux jeunes. Leurs aînés libéraux et hospitaliers étaient présents, eux aussi, derrière le slogan « #soigneettaistoi », qui résume le sentiment partagé de manque de reconnaissance. Signe d’une certaine mésentente, le cortège était divisé : devant, les maigres troupes des centrales syndicales CGT, Sud et FO ; loin derrière, les 16 organisations professionnelles infirmières unies qui ont réussi leur pari.
Une profession à bout de souffle
De l’hôpital d’Orsay (Essonne) sont venues, sans bannière syndicale, une dizaine d’infirmières. Leur établissement a été endeuillé par le suicide d’un infirmier aux urgences, la semaine dernière. Difficile d'établir un lien évident avec les conditions de travail, mais les IDE constatent « la dégradation des conditions de travail, les arrêts de travail et les burn-out qui augmentent, raconte Nadège, infirmière anesthésiste. Notre hôpital est en déficit depuis des années, on nous demande toujours plus d’efficience, au détriment de la qualité des soins. Et quand on admet un patient, il faut se demander combien d’argent il va rapporter. » « En gériatrie, nous ne sommes plus qu’une IDE et deux aides-soignantes le week-end pour 30 lits, renchérit Valérie, sa collègue. Et nous sommes censés accompagner des fins de vie... Les Français doivent savoir : mieux vaut ne pas mourir à l’hôpital ! Moi je n’y mettrais pas ma famille ».
« Étudiants malmenés, profession en danger », ont scandé les élèves de l’Institut de formation de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Ils observent dans les services leurs aînés « surmenés, qui n’ont pas le temps de nous former. Dans certains établissements, nous sommes considérés comme de la main-d’œuvre gratuite pour pallier les sous-effectifs. Et malgré nos efforts, nous serons, au mieux, embauchés en CDD. Nous craignons même de ne pas trouver de travail à cause des réductions d’effectifs », expliquent Leïla, Sakina et Mathilde, toutes trois en troisième année. Leurs plus mauvaises expériences ? « En Ehpad, répondent-elles sans hésiter. C’est l’usine, on a 10 minutes pour faire la toilette d’un patient. Cela touche à la maltraitance. »
Les revendications des libéraux étaient, elles, sensiblement différentes. Sous la bannière de l’Unidel, un collectif qui s’est constitué sur Internet, défilait Christelle, infirmière cannoise. Elle dénonce « les transferts de tâches vers les AS, par mesure d’économies, les services d’hospitalisations à domicile qui captent les patients à la sortie de l’hôpital ». Mais attend surtout « une reconnaissance de rôle pivot de l'Idel dans la prise en charge des maladies chroniques. Nous pouvons faire beaucoup sur la prévention. Mais pour cela, nous avons besoin d’une vraie consultation infirmière ».
Vous êtes conviés…
Parti de la gare de Montparnasse, le cortège a convergé vers le ministère de la Santé, où ils ont été reçus par la DGOS et le directeur adjoint de cabinet de Marisol Touraine. Une rencontre qu'ont refusé les libéraux : « Que la ministre ne nous reçoive pas, c’est une nouvelle preuve de manque de respect. Si les médecins auraient été moitié moins nombreux, ils auraient été reçus », s’agace Annick Touba du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Les organisations d’infirmières salariées ont, elles, accepté l’invitation. On leur a fait « des annonces d’annonces, regrette Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Fin novembre, la ministre dévoilera un plan d’amélioration de la qualité de vie au travail. Les travaux seront lancés sur les référentiels de formation et les pratiques avancées. Mais quand ? Il n’y a rien de concret. Pourtant, à Paris comme dans les grandes villes de province, notre mobilisation a été forte, la plus forte depuis les mobilisations de 88 et 91. »
Texte : Caroline Coq-Chodorge