05/12/2016

INTERVIEW

« On ne peut pas s’épanouir quand on est rappelé sans cesse pendant ses congés »

Ce 5 décembre, Marisol Touraine présente la stratégie nationale pour l'amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé. En avant-première de son intervention devant les organisations professionnelles et syndicales, la ministre des Affaires sociales et de la Santé a répondu à nos questions. Une interview qui n'a pu être réalisée en présentiel et que nous vous livrons in extenso.

Qu'entendez-vous par « qualité de vie au travail » ? Quels sont les éléments et les risques que vous avez identifiés et sur lesquels il faut agir en urgence ?

La qualité de vie au travail, c’est l’attention portée à l’environnement et aux bonnes conditions d’exercice des professionnels de santé. Le secteur de la santé connaît des transformations majeures. Les besoins des patients changent et l’organisation des soins évolue à un rythme accéléré. Vous êtes directement confrontés à ces changements. Et les transformations peuvent être ressenties comme une dégradation de l’environnement et des conditions de travail. Vous portez aussi collectivement d’importants efforts pour améliorer la gestion des moyens que nous consacrons à un système de santé solidaire, auquel nous sommes tous profondément attachés.

Depuis plusieurs mois, un sentiment de malaise s’est exprimé. Des professionnels de santé, dont beaucoup d’infirmières et d’infirmiers, ont manifesté dans plusieurs villes. L’émotion causée au sein de la communauté soignante par des suicides, cet été, dit aussi quelque chose sur ce que vit la profession. Ces drames m’ont beaucoup touchée. Pour chaque situation, j’ai immédiatement pris toutes les mesures pour analyser les circonstances et apprécier si un lien avec l’environnement professionnel était avéré.

Les professionnels de santé aiment leur métier et y sont profondément attachés. Soigner, prendre en charge la détresse et la souffrance de nos concitoyens, ce sont des missions formidables. Je souhaite que chacun d’entre vous dispose de conditions de travail qui vous permettent de travailler sereinement et correctement.

« Prendre soin de ceux qui nous soignent » : c’est le sens de cette stratégie. Concrètement, c’est un ensemble de mesures pour renforcer la qualité des relations sociales et professionnelles, améliorer l’organisation du travail, les possibilités d’évolution offertes à chacune et à chacun, et permettre la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Elle engage aussi le développement de dispositifs d’écoute et de résolution des situations conflictuelles pour être en mesure de déceler systématiquement, le plus tôt possible, les fragilités, voire les situations de détresse dès qu’elles deviennent perceptibles.

Par quelles actions concrètes pensez-vous pouvoir améliorer la qualité de vie au travail dans ce contexte actuel d'économies et de baisse d'effectifs ?

De bonnes conditions d’exercice, ça implique bien sûr aussi des moyens budgétaires et humains adaptés à la charge de travail. Je ne veux pas esquiver ce débat, mais au moment où s’expriment des projets politiques qui annoncent la mise à bas de notre modèle de sécurité sociale et qui prévoient la disparition de centaines de milliers d’agents publics, je veux rappeler que depuis cinq ans, et malgré un contexte économique difficile, nous avons préservé les moyens dédiés à notre système de santé. Ainsi, contrairement à ce que j’entends parfois, j’ai augmenté les moyens de l’hôpital : ce sont ainsi 10 milliards d'euros supplémentaires qui y ont été investis et, depuis 2012, ce sont 31 000 postes de plus qui ont été créés, dont 26 000 postes d’infirmier.

La qualité de vie au travail passe par le management, notamment le rôle du cadre de santé. Or, comment retrouver la place de l’écoute vu les contraintes temps imposées ? Quelle place donner aux différents cadres (de proximité, de pôle, les directeurs de soins…) vis-à-vis de l'équipe paramédicale ? 

La question du management est essentielle. Et tous les cadres de santé sont concernés, y compris les médecins. Je propose que chaque prise de fonction à un niveau de management soit précédée d’une formation dédiée à la gestion et à l'animation d'équipes, à la résolution des conflits, à la conduite de projets, aux leviers d’une juste reconnaissance de chaque professionnel. Une équipe qui bénéficie d’un management performant et humain est moins exposée aux risques psychosociaux. Elle est mieux armée pour gérer les situations difficiles, en particulier lorsqu’elles se présentent dans le cadre des soins, c’est-à-dire à des moments où les implications sont plus graves et les responsabilités plus grandes.

Pour permettre aux cadres de santé de consacrer le temps nécessaire au management des équipes, il faut aussi alléger leurs tâches administratives : cela passe par exemple par des outils informatiques qui permettent de simplifier l’élaboration des plannings. Cette simplification n’est pas anodine. Elle permettra aussi de répondre plus finement aux besoins et aux contraintes des personnels, de garantir la nécessaire conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. On ne peut pas s’épanouir personnellement lorsque l’on est rappelé sans cesse pendant ses congés. Je pense notamment aux femmes seules avec des enfants qui peuvent avoir des difficultés à s’organiser.

En quoi la formation est-elle un levier pour la qualité de vie au travail ? Si elle passe par la formation continue, comment libérer les infirmières et les cadres alors qu'ils sont déjà à flux tendu ?

Nous devons être tous collectivement plus réactifs pour déceler et gérer les signes de fragilité lorsqu’ils se présentent. Concrètement, dès qu’une personne s’isole, ne dit plus bonjour, commence à avoir des réactions excessives, il faut que les équipes le perçoivent et sachent comment réagir. J’ai donc décidé de mettre la détection des risques psychosociaux au cœur de la formation des professionnels de santé : désormais, toutes les formations initiales médicales et paramédicales devront intégrer un module dédié aux risques psychosociaux et à la qualité de vie au travail.

Des dispositifs d'accompagnement des professionnels en difficulté sont déjà en place. D'ailleurs, un numéro vert vient tout juste d'être lancé par l'association Soins aux professionnels en souffrance. Vous semble-t-il suffisants et que proposez-vous pour les renforcer ?

Toutes les initiatives d’entraide doivent être saluées. Les numéros verts lancés par certaines associations peuvent être d’un grand secours lorsqu’on ressent le besoin de se confier, de s’exprimer de manière anonyme. Mais ils ne permettent pas de répondre à toutes les situations. S’il faut renforcer les dispositifs d’écoute des professionnels, il faut aussi leur donner les moyens d’exprimer leurs difficultés. Je propose donc d’aller plus loin en généralisant les services de santé au travail pluridisciplinaires, qui existent dans quelques établissements, et permettre qu’il y en ait dans chaque groupement hospitalier de territoire. Ces services devront inclure des psychologues, des conseillers en prévention des risques professionnels et des assistants sociaux. 30 millions d’euros sur 3 ans seront consacrés à ce déploiement.

Et au-delà de l’écoute, il faut pouvoir apporter des solutions. Nous ne pouvons laisser aucun conflit s’aggraver entre les personnels. Pour cela, des conciliations vont être organisées localement entre professionnels. Il sera également possible de recourir à des médiations au niveau régional, voire au niveau national si nécessaire. Je nommerai prochainement un médiateur national pour coordonner ces actions.

Vous parlez d'une stratégie nationale. Sera-t-elle donc imposée ? Est-ce que chaque service ou établissement pourra adapter ces mesures ?

En présentant cette stratégie, je ne veux pas laisser entendre que rien n’a jamais été fait en matière de qualité de vie au travail. Certains établissements ont déjà mis en place des dispositifs efficaces. Nous avons d’ailleurs travaillé avec eux pour élaborer cette stratégie et nous reprenons ainsi des actions qui ont fait leurs preuves sur le terrain. Mais il faut aller plus loin aujourd’hui. Il faut donner une impulsion forte pour faire de la qualité de vie au travail une ambition politique portée au plus haut niveau et déclinée sur l’ensemble du territoire. C’est le sens de la stratégie nationale.

Certaines mesures s’appliqueront immédiatement partout. Parce qu’il faut des actions concrètes et visibles rapidement pour créer une prise de conscience et entraîner tous les acteurs. C’est le cas, par exemple, de la mise en place des médiations pour régler les conflits interpersonnels. C’est aussi le cas de la concertation que je veux engager dès maintenant avec les organisations syndicales pour mieux valoriser les indemnités versées aux personnels tenus à des sujétions spécifiques liées à la continuité des soins, comme par exemple ceux qui alternent le travail de jour et de nuit. Mais beaucoup de mesures seront mises en œuvre par les acteurs locaux. Parce qu’ils sont au plus près de la réalité du terrain, ils connaissent les moyens à mobiliser pour atteindre les objectifs que j’ai fixés dans la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail.

Quelle est, pour vous, la mesure phare de cette stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail ? Post-élection, un comité de suivi sera-t-il créé pour assurer la pérennité des mesures ?

Il n’y a pas de solution unique. C’est pourquoi j’ai présenté une stratégie globale, qu’il faut prendre dans son ensemble. Mais l’axe de la formation des cadres me paraît essentiel. Tout comme la mise en place d’un rendez-vous annuel dans chaque établissement dédié à la discussion sur les conditions de travail. Cette stratégie n’est pas un énième plan, c’est une dynamique de fond qui s’inscrit dans la durée et qui a vocation à s’enrichir par la concertation et par la diffusion des bonnes pratiques venant des établissements et des expériences de terrain.

La rédaction

Les dernières réactions

  • 05/12/2016 à 13:00
    Fanny
    alerter
    Elle nous prendrait pour des connes ?
  • 05/12/2016 à 13:44
    Motarde de Dijon
    alerter
    Marie Solaire: ''Je ne veux pas esquiver ce débat, mais au moment où s’expriment des projets politiques qui annoncent la mise à bas de notre modèle de sécurité sociale et qui prévoient la disparition de centaines de milliers d’agents publics, je veux rapp
  • 05/12/2016 à 13:52
    Caly
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    La langue de bois et la prudence politique ne pourront jamais toucher les professionnels de santé que nous sommes.

    Message subliminal : voyez comment on vous considère, venez faire grève...
  • 05/12/2016 à 18:48
    Vivi
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    Que ce discours sonne creux, et surtout très politisé .
    Un peu de sérieux :à savoir les outils informatiques pour les plannings existent déjà , la formation cadre prépare au management, gestion des conflits et aussi à la valorisation professionnelle.
    Mm
  • 05/12/2016 à 22:30
    Au secours!
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    s'il y a des arrêts, comment garantir la continuité du service public, au pied levé, Mme venez une semaine faire un stage avec nous , vous ne connaissez absolument pas le contenu de la formation des cadres de santé ou quoi? Tout cela est politique, bien
  • 05/12/2016 à 23:45
    Fadu
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    Démagogie
  • 06/12/2016 à 07:45
    blaise
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    Peut-on faire pire ?
  • 06/12/2016 à 14:09
    Marina
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    Effectivement c est un discours de politicien....
    Les idees dites ne sont pas nouvelles d autres a voir...le mediateur ...ya deja l ars qui a ete cree mais le probleme de fond est toujours la...
    Les infirmieres et cadres font comme elles PEUVENT... c
  • 12/12/2016 à 13:15
    Titi
    alerter
    Mais quels moyens concrets sont déployés lorsque des risques sont identifiés ? La réduction des effectifs soignants dans les services où la charge de travail est lourde permet-elle une meilleure qualité de travail pour les professionnels et une meilleure

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