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Dans son livre « Omerta à l'hôpital » dénonçant les humiliations que connaissent les étudiants en santé, Valérie Auslender, médecin généraliste attachée au pôle santé de Sciences Po, révèle le climat délétère dans lequel évoluent les aspirants infirmiers, médecins ou sages-femmes. Témoignages à l’appui, cet ouvrage dépeint une souffrance devenue ordinaire.
Espace Infirmier : Comment est née l'idée de ce livre (1) ?
Dr Valérie Auslender : Tout au long de mes études médicales, j'ai été témoin de maltraitances en tous genres : humiliations, violences physiques, harcèlement sexuel... Une violence gratuite et dénuée de toute valeur pédagogique. Dans le cadre de mon doctorat, j’ai interrogé 1 472 étudiants en médecine, dont 40 % avaient été personnellement confrontés durant leurs études à des pressions psychologiques, 50 % à des propos sexistes, 9 % à des violences physiques et 4 % à du harcèlement sexuel. J'ai donc lancé un appel à témoins. Et en moins d'une semaine, j’ai recueilli une centaine de témoignages d’étudiants en santé, que j’ai d'ailleurs publiés dans cet ouvrage. Un panel d'experts (2) a également réagi à ces textes pour comprendre l’origine des maltraitances.
Justement, quelles en sont les causes ?
Il ne faut pas nier la responsabilité individuelle des professionnels de santé impliqués. Les experts qui interviennent dans le livre sont par ailleurs unanimes pour souligner les effets néfastes des nouvelles techniques de management à l'hôpital privilégiant la rentabilité et la productivité au détriment de la qualité des soins. Quand on est en sous-effectif, on n'a plus le temps de s'occuper des patients, et encore moins de former les étudiants. Et parfois, cela va au-delà... L’un des experts explique notamment qu’avec leur naïveté, les étudiants peuvent pointer du doigt la trahison de l’éthique professionnelle que les soignants ont refoulée. L’étudiant devient alors « l’ennemi » du soignant.
Comment cette situation peut-elle changer ?
Il faut revaloriser le soin, apporter aux soignants des moyens humains et économiques suffisants pour soigner leurs patients et former leurs étudiants. Les étudiants doivent également oser en parler, et l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) doit créer un groupe spécifique sur la question. Il faut par ailleurs que les victimes soient prises en charge par des professionnels formés au psycho-traumatisme. Il s’agit là d’un véritable problème de santé publique. Ce livre n’a pas de valeur généralisatrice car nous n’avons pas encore d’enquête de victimation pour quantifier ces violences. Pourtant, même si celles-ci concernent une minorité d’étudiants, elles existent, sont intolérables et ne peuvent plus être banalisées.
Propos recueillis par Adrien Renaud
1.
Omerta à l’hôpital, le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, Dr Valérie Auslender,
éd. Michalon, 2017, 21 €.
2. Christophe Dejours, psychiatre, Cynthia Fleury-Perkins, philosophe et psychiatre, Didier Sicard, ancien chef de service de médecine interne de l'hôpital Cochin, Céline Lefève, maître de conférences, Emmanuelle Godeau, médecin de santé publique et anthropologue, Gilles Lazimi, médecin généraliste, Bénédicte Lombart, infirmière cadre de santé, et docteur en philosophie, Isabelle Ménard, infirmière puéricultrice cadre de santé et formatrice en Ifsi, et Olivier Tarragano, médecin directeur du Pôle Santé de Sciences Po.