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Une infirmière, travaillant à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP), a mis fin à ses jours à son domicile, le 9 juin. Le 5e suicide infirmier depuis septembre 2016 et la mise en place de la nouvelle organisation du temps de travail. Manque de personnel et de moyens, modulation approximative des plannings, temps de transmissions non rémunéré… Le mal-être des soignants est profond.
« Ce qu’il nous faut avant tout, c’est du personnel, lance Cathy Le Gac, co-secrétaire générale du syndicat Sud Santé. Il est clair qu’il y a un déficit dans tous les services de l’AP-HP, même si, sur les chiffres, la direction nous dit l’inverse. » Depuis la mise en place de la nouvelle organisation du temps de travail, « on nous a enlevé l’équivalent de trois à cinq jours de congé, ajoute-t-elle. C’est énorme. » Un avis partagé par Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI) : « Les effectifs doivent correspondre à la charge de travail. Ils ne sont normés qu’en réanimation et aux soins intensifs. » Il est donc nécessaire de travailler en amont sur les causes du mal-être des soignants, notamment sur l’inadéquation entre l’exercice du métier et les moyens mis à disposition.
D’autant qu’une modulation des plannings a été mise en place. Si auparavant, il y avait deux équipes – celle du matin et celle de l’après-midi –, « désormais, nous faisons tous partie d’une seule et même équipe et nous nous répartissons les phases de travail, précise Cathy Le Gac. Ce qui perturbe les agents dans l’organisation de leur vie privée. Comme il manque du personnel, du jour au lendemain, au lieu d’être du matin, on peut nous demander d’être de l’après-midi. Si les plannings étaient bien respectés et qu’on avait la suppléance pour gérer les arrêts, il n’y aurait pas de souci. » Conséquence de cette nouvelle organisation : de nombreux infirmiers demandent à travailler en 12 heures, « ce qui n’est pas vraiment l’idéal en termes de santé publique. D’autant que ce fonctionnement peut difficilement être envisagé de manière pérenne », poursuit-elle. Ce que propose Sud Santé ? Une organisation en 4 jours de 8 heures avec de vrais temps de transmission. « Aujourd’hui, comme les soignants travaillent sur des horaires de 7 h 36, « les temps de transmission se font sur des temps personnels non rémunérés », fait savoir Cathy Le Gac.
Autre mode d’action : former les professionnels de santé à la détection de l’épuisement professionnel. « Ce qui est prévu par la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, présentée par Marisol Touraine en décembre 2016, rappelle Nathalie Depoire. Mais rien n’a été mis en place. Les cadres ne sont pas forcément formés à cette détection et parfois, ce sont eux qui sont en épuisement professionnel. » Tout comme les crédits fléchés pour des postes de psychologues, « nous sommes loin d’être à la hauteur des besoins sur tous les établissements », ajoute-t-elle.
À l’hôpital Saint-Louis (AP-HP), le suicide de l’infirmière de 35 ans, faisant fonction d'infirmière de bloc opératoire (Ibode) a endeuillé, une fois de plus, la profession. Selon ses collègues, interrogés par Le Parisien, elle « vivait très mal une mobilité imposée, qui l’obligeait à travailler au bloc opératoire alors qu’elle se destinait à une autre spécialité ». « Les blocs sont déjà en suractivité car les tutelles prônent l’ambulatoire mais surtout, les agents sont contraints à être mobiles sur leur pôle et s’ils ne sont pas d’accord, ils ont des sanctions disciplinaires », indique Cathy Le Gac. Cette polyvalence demandée aux infirmières est mal vécue, tout comme le fait d’être rappelées sur leurs jours de congé. « Tout cela contribue à l’épuisement, signale Nathalie Depoire. D’autant que les infirmières peuvent être prévenues le matin même qu’elles changent de service. C’est très stressant. »
À chaque suicide, des enquêtes paritaires (syndicat et administration) sont organisées. Sud Santé réclame l’organisation d’enquêtes externes effectuées par des sociétés d’expertises. « La direction cherche toujours à se dédouaner de la gravité de la situation et fait en sorte de dire que la personne était déjà fragile et que le travail n’est pas à l’origine du problème. » La CNI nourrit, quant à elle, de forts espoirs et attentes avec la nouvelle équipe gouvernementale.
Laure Martin