© C. B.
Coralie Boudersa, infirmière libérale à Lille, a reçu en une semaine trois amendes, dont deux pour stationnement décalé « très gênant ». Elle nous a adressé le courrier qu'elle compte adresser aux ministres des Solidarités et de la Santé et de l'Intérieur, au Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et au maire de sa ville. Nous vous le livrons tel quel.
« Madame, Monsieur, l’Officier du ministère public,
Je vous écris afin de vous faire part d’une doléance. En effet, cette semaine, en exerçant mon métier d’infirmière libérale faisant 99 % des soins à domicile, j’ai perçu trois amendes, dont deux pour stationnement décalé « très gênant » puisque j’étais, effectivement, sur un bout de trottoir afin de prodiguer des soins pendant moins de cinq minutes : il s’agit d’une patiente diabétique et parkinsonienne qui nécessite une glycémie capillaire ainsi qu’une à deux insulines. Concernant cette amende rue d’Arcole empiétant sur le trottoir, j’étais – comme tous les infirmiers de Lille – en warning, pour une durée inférieure à cinq minutes, non pas parce que je n’avais pas envie de me garer 500 mètres plus loin, mais tout simplement parce qu’il n’y avait AUCUNE place de disponible. Travailler sur Lille centre est terriblement difficile pour nous surtout lorsqu’il s’agit des rues encore non payantes. Il faut savoir que toutes les personnes travaillant au centre ville de Lille s’y garent et y restent pour la journée. Même les trottoirs sont saturés, alors comment trouver une place convenable ? Je paie, bien évidemment, le parcmètre mensuellement comme l’a demandé l’adjoint au maire, M. Richir, médecin de son état.
Lille est de plus en plus saturé. N’oublions pas les jours de marché, de spectacle, de grève, d’intempérie et de bouchons qui font de notre quotidien un combat afin de soigner chaque patient à domicile qui attend, impatiemment parfois, sa seule visite de la journée. Nous travaillons du lundi au dimanche, du matin très tôt et jusqu’au soir très tard, puisque la population vieillit et que la politique de santé tend de plus en plus vers les soins à domicile, l’hospitalisation coûtant trop chère. Savez-vous que j’ai déjà dû réaliser un soin infirmier auprès d’une jeune fille dans mon véhicule, ne trouvant même pas un bout de trottoir pour me garer afin de réaliser son pansement en plein centre de la gare Lille Flandres ?
Concernant cette amende, j’ai vu la voiture de police ralentir et prendre ma plaque d’immatriculation par l’arrière, au moment où je suis sortie de chez ma patiente, sans même se soucier de mes warnings, du manque de place ou encore, du caducée qui, bien sûr, ne me donne pas le droit de me garer n’importe où et n’importe comment. Je travaille avec des patients tétraplégiques en fauteuil roulant et je sais combien il leur est difficile de circuler face à ces problèmes de stationnement et je connais également le danger que je peux faire courir aux éventuels piétons et j’en suis honteuse. Lorsque je vois des policiers verbaliser les voitures sur les trottoirs (monnaie courante à Lille), je m’arrête et leur demande conseil pour me garer. La moitié d’entre eux, étant bien conscients du problème, me disent : « Mettez-vous sur le trottoir en warning, je serai tolérant le temps du soin ». L’autre moitié me répond : « Mettez-vous devant un garage, ça coûte moins cher et le temps que la fourrière arrive, vous serez déjà repartie... » Que faire lorsque je ne les croise pas au préalable ? Avec ces 360 € d’amendes à vous régler cette semaine, j’aurais, bien entendu, préféré partir en week-end afin de me reposer de mes longues et épuisantes journées plutôt que devoir les donner péniblement comme punition à l’État pour faute lors de l’exercice de ma profession.
Pour ce qui est de ma troisième et, je l’espère, dernière amende en cours cette semaine, je ne l’ai pas encore reçue puisque verbalisée il y a 10 jours environ. J’étais, à nouveau, sur un morceau de trottoir à une rue de la seconde amende, toujours concernant le même soin à la même patiente. Un trottoir assez large, je vous l’assure, pour qu’un voire deux fauteuils roulants puisse encore circuler côte à côte sans que mon véhicule ne les dérange ; c’était en plus un jour de marché, car oui je travaille également le dimanche, les jours fériés, Noël, le Nouvel an et tout autre jour sacré, où je suis absente auprès de ma famille afin d’exercer mon métier que j’aime tant.
Lorsque je sors de chez ma patiente, je croise les deux agents (un homme et une femme) qui venaient tout juste de me verbaliser en disant qu’ils n’avaient pas vu mon caducée. La femme a répondu que si j’avais une amende pour la troisième fois cette semaine, c’est que je n’avais pas compris la leçon. J’ai alors fondu en larmes en lui demandant où je pouvais me garer ! Où reste-t-il de la place ? L’homme, davantage à l’écoute, me répond qu’il ne peut rien faire car l’amende est déjà électroniquement enregistrée et que je peux toujours essayer de vous écrire car « vous êtes humain et avez un coeur ». Je suis bien plus choquée lorsque j'en discute avec des policiers dans la rue et que ceux-ci me répondent « Mais c’est pas si grave, vous gagnez bien votre vie les infirmières, non ? ». Quand je leur explique mon quotidien qui commence à 5h30 pour se terminer à 21 h avec une préparation de planning, de traitement, de bilan sanguin et de transmissions encore en rentrant à la maison… ils revoient en effet différemment leur jugement.
J’envoie cette lettre en copie à la maire de Lille, Mme Aubry, à notre ministre de la Santé, Mme Buzyn, à notre ministre de l’Intérieur, M. Collomb, qui lui est soucieux de trouver une solution pérenne pour les infirmières libérales, au Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), ainsi qu’à La Voix du nord. Un journaliste va me contacter d’ici peu car même si vous décidez de maintenir ces amendes, mon but est profondément de trouver une solution face à ce problème que chacun de mes collègues vit au quotidien. Veuillez recevoir mes salutations les plus distinguées. »
Coralie Boudersa
Infirmière libérale
SONDAGE : Depuis le 1er janvier 2018, ce sont les communes – et non plus l’État – qui fixent, chacune, le montant des amendes pour stationnement non payé. Avez-vous aujourd'hui plus de difficultés pour vous garer en tournée en centre-ville ? Participez au sondage !
À chaque ville, ses règles, paru dans L'Infirmière libérale magazine
Puis-je contester mes PV de stationnement ?, paru dans L'Infirmière libérale magazine