17/04/2018

Après 50 jours de grève, difficile sortie de crise à Mayotte

Mayotte est demeurée paralysée par un mouvement social durant sept semaines. Les blocages des voies de circulation ont sérieusement entravé l’accès aux soins. Sortie du plus dur du conflit - les routes ont été dégagées par la force publique le 9 avril -, l’île appréhende les conséquences.

Durant quarante-neuf jours, les soignants ont été empêchés de rejoindre leur lieu de travail, et les patients d’accéder à l’hôpital. Mayotte était en effet confrontée à un mouvement social dur, depuis que la grève générale a été décrétée le 27 février, à la suite de faits de violence récurrents opposant des bandes rivales en milieu scolaire, dans un contexte de forte pauvreté, de chômage, de délinquance et de pression migratoire et démographique. Les manifestations, arrêts de travail et blocages des voies de circulation ont considérablement entravé l'accès aux soins.

« Il y a eu des ruptures de soins, puisque certains jours, nous avions une impossibilité totale de circuler », explique Éric Roussel, infirmier libéral à Mayotte et représentant de la profession à l’URPS. Autre problématique : des professionnels de santé indiquent que, sur les barrages, des manifestants contrôlaient les papiers des automobilistes et de leurs passagers, empêchant surtout les étrangers de passer. « Il y a une importante population comorienne, sans papiers, sur ce territoire », explique Claire Galibert, infirmière en réanimation au centre hospitalier de Mayotte. Les Comoriens sont l’objet de menaces régulièrement, car considérés comme responsables de l’insécurité qui règne à Mayotte.


Les barrages sur le port de Longoni. ( © Eric Roussel)


Les Comoriens en ligne de mire

« Lors des manifestations en 2016, 500 personnes s’étaient réfugiées à Mamoudzou, place de la République, poursuit Claire Galibert. Médecins sans frontières avait même installé une citerne sur la place pour garantir l’alimentation en eau potable. » Une cadre hospitalière affirme même qu’un ressortissant étranger aurait été roué de coups et tué… « Les habitants ici disent qu’ils sont abandonnés de l’Etat, ajoute l'infirmière. Leurs revendications sont justifiées, mais les moyens d’actions beaucoup moins. »

Éric Roussel se veut un peu plus rassurant. « Les barragistes ont laissé passer les véhicules de secours, les professionnels libéraux, même s’il a parfois fallu ouvrir et refermer nous-mêmes les barrages. » Il ne confirme pas un filtrage des patients étrangers. « Et Il y a eu une vraie volonté de l’intersyndicale et du collectif citoyen, responsables du mouvement, de nous laisser aller au contact du patient. Les libéraux ont connu uniquement quatre journées de blocage total. »


Une infirmière qui se présente au bateau pour accéder à son secteur de soins ou pour rentrer chez elle. ( © E. R.)


Quelles conséquences sur la santé des habitants ?

Il demeure difficile d’évaluer les conséquences sur les patients du blocage de la circulation car l’activité des laboratoires de biologie et la radiologie reprend à peine. « Les barrages ont également empêché l’acheminement de la nourriture, ce qui peut avoir un impact sur la santé de malades chroniques. Une des spécificités de Mayotte, c’est qu’on trouve encore ici du béri-béri, explique Claire Galibert. Donc un déficit alimentaire peut avoir rapidement des conséquences. »

Le 16 mars, le CHM avait signalé deux décès d’enfants ayant rapport « de près ou de loin avec la situation ». Les pompiers ont aussi rapporté le décès d’un nourrisson de deux mois. Philippe Durasnel, médecin en réanimation au CHM, imputait également la mort d’un patient victime d’un AVC à un retard de prise en charge lié aux barrages. L’ARS et le CHM se sont refusés à tout commentaire.

Et les grèves récurrentes laissent des traces… « Nous avons eu une grève dans l’Education nationale (en 2016), une en milieu hospitalier (en 2017), cela ajouté aux dysfonctionnements récurrents de la PMI… Cela laisse de nombreux enfants sans couverture vaccinale, observe Éric Roussel. La réserve sanitaire devait venir réaliser une campagne. Cela a encore été suspendu. La situation sanitaire se dégrade d’année en année. »

Sur la plage de Dzoumogné, lieu de rassemblement pour les agents du CHM et les  infirmiers libéraux, qui permet une liaisonentre le nord de Mayotte, Koungou et Mamoudzou. ( © E. R.)


Sandra Mignot


Sur le même sujet : lire l'article « La tension monte à Mayotte », L'Infirmière magazine du mois de mai.

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