© Kenny Karpov / SOS MEDITERRANEE
Ancien infirmier, Ludovic Duguépéroux est aujourd’hui marin sauveteur sur l’Aquarius, bateau de l’association SOS Méditerranée, qui patrouille au large de la Libye pour venir en aide aux migrants. En juin dernier, l’Italie ayant décliné son autorisation d’accoster, le navire a dû faire route vers l’Espagne avec plus de 600 personnes à bord. Rencontre.
Vous avez exercé comme infirmier dans divers services hospitaliers. Comment vous êtes-vous retrouvé à bord de l’Aquarius ?
Je suis infirmier depuis 2008 et j’ai travaillé en psychiatrie, aux urgences, au service mobile d’urgence et de réanimation (Smur)… Mais j’ai toujours navigué en parallèle, en convoyant des bateaux ou en enseignant la voile. En 2015, j’ai réalisé que j’avais besoin d’être tout le temps en mer, et je suis entré à l’École nationale supérieure maritime, qui forme des officiers de marine marchande. C’est là que j’ai vu ces images terrifiantes de personnes qui se noyaient en Méditerranée. J’ai envoyé ma candidature à l'association SOS Méditerranée, et j’ai été pris.
Quel est votre rôle sur l’Aquarius ?
Je fais partie de l’équipe sauvetage. Nous sommes de quart en permanence, et dès que nous arrivons sur une zone de sauvetage, nous mettons nos embarcations à l’eau. La première chose est de stabiliser la situation en distribuant des gilets, sortir éventuellement les personnes de l’eau, et commencer la réanimation cardiorespiratoire si besoin. Nous transférons ensuite ces personnes à bord de l’Aquarius : les urgences d’abord, puis les femmes et les enfants.
Vous n’exercez donc pas un travail de marin sauveteur pur. Le soin ne vous manque-t-il pas ?
Ce que je vis en sauvetage est assez comparable à ce que je pouvais vivre en tant qu’infirmier aux urgences : il y a beaucoup de stress et d’adrénaline, il faut savoir être professionnel et agir sans se laisser déborder. Mais de manière générale, ce qui me manque le plus est le rapport aux patients, pas l’acte technique pur en lui-même. J’ai, par ailleurs, pu constater récemment que les conditions de travail des soignants en France s’étaient beaucoup détériorées…
En matière de conditions de travail, ce que vous avez vécu récemment entre les côtes libyennes et Valence est d’un tout autre ordre…
Le plus difficile a été le sauvetage lui-même : 50 personnes dans l’eau la nuit, de mauvaises conditions météorologiques… Nous avons appris, trois jours plus tard, que deux personnes y étaient restées, alors que nous pensions avoir sauvé tout le monde. Cela a été très dur. La traversée avec plus de 600 personnes à bord et des creux de quatre mètres a également été très éprouvante.
Que vous inspirent les discussions politiques actuelles sur l’accueil des migrants ?
Je suis marin : il y a des gens en détresse, on les sort de l’eau. Je trouve affligeant qu’on puisse mettre des chiffres sur des humains de cette manière. Cela me met en colère.
Quelle est la prochaine étape pour l’Aquarius ?
Nous sommes actuellement en escale à Marseille. Nous avons du travail sur l’équipement et nous rencontrons les autorités pour pouvoir continuer nos activités. Nous voulons repartir au plus vite car pendant que nous sommes là, des gens continuent à se noyer.
Comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?
J’ai envie de travailler dans la grande pêche (pêche en haute mer avec des campagnes pouvant durer plusieurs mois, NDLR). Mais pour l’instant, je ne me vois pas quitter l’Aquarius. Tant qu’on continue à mourir pour fuir l’esclavage, le racket, le viol, tant que j’ai l’impression d’apporter quelque chose à l’équipe, je continue…
Propos recueillis par Adrien Renaud