© Héloïse Chochois
JOUR-J : ÉPISODE 1 (mini-série été)
Quitter un poste pour tout recommencer oblige à faire face à l’inconnu. Sarah, jeune infirmière, s’apprête à découvrir, outre un nouvel hôpital, un nouveau service : la chirurgie digestive et gynécologique. Elle est à la fois chamboulée et déterminée. Mais plus que tout, elle est prête à faire ses preuves pour ce premier jour…
Pousser des portes battantes, c’est un geste d’une banalité sans nom, un acte auquel on ne réfléchit pas, un mouvement détaché de tout intellect… Mais lorsqu’on le fait, le premier jour d’une prise de fonction, pour pénétrer dans un nouveau service de soins, cet acte si anodin prend une envergure démesurée, comme un soufflé au fromage qui grossit plus qu’on ne l’avait souhaité, un ballon de baudruche à la place de l’estomac, gonflé par le souffle de l’angoisse. Symbole d’un renouveau à la fois angoissant et stimulant, ces deux portes m’ouvraient l’horizon d’un nouveau chemin, une voie inconnue mais désirée intensément. En réalité, nous étions deux à débuter, ce jour-là, dans cette unité de chirurgie viscérale : moi et ma boule au ventre. Appelons-la Gertrude, ou Trudy pour les intimes…
Nous avions donc rendez-vous toutes les deux à 8 h dans le bureau d’Huguette Leparc, la cadre du service. J’avais passé le week-end à défaire les cartons sans vraiment prendre le temps de penser à cette journée. C’était voulu et c’était mon mode de fonctionnement : l’action contre l’appréhension. Bouger pour éviter de trop cogiter sur les risques que j’étais en train de prendre. J’avais beau avoir tout quitté (ville natale, famille, travail) pour commencer une nouvelle vie dans un hôpital inconnu, je n’en étais pas moins saisie par l’incertitude du bon déroulement de ce changement d’horizon.
Je foulai donc, pour la première fois, le sol de ce qui, au bout de quelques semaines, mois, années, deviendrait mon fief, ma deuxième maison. Je l’espérais sincèrement mais à cet instant précis, tout était nouveau et étranger.
Le calme ambiant du service m’interpella. Le couloir long et désert semblait mener au bout du monde, au bout de mes appréhensions, au bout de mes limites. Un service de chirurgie digestive et gynécologique, appelé également « chir molle »… Comment un acte au cours duquel on vous ouvre le ventre pour en extraire plus ou moins des choses qui ont toujours fait partie de vous peut-il être qualifié de « mou » ? En chirurgie, les jours se transforment en « J », les patients sont sondés par tous les orifices possibles, les journées de travail semblent durer 87 heures et non 12…Et on appelle ça de la « chir molle »?
J’étais habituée à l’atmosphère tendue comme un string sur un éléphant qui régnait dans mon ancien service : une unité de réanimation chirurgicale cardio-vasculaire. Passionnant, mais stressant. La plupart des patients étaient sous stimulant cardiaque… Intubés, ventilés et scopés, ils remontaient directement du bloc opératoire sans passer par la case salle de réveil. Le son des respirateurs artificiels et les alarmes des différents dispositifs médicaux emplissaient tout l’espace dès l’entrée. Un son obsédant et entêtant, qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Une mélodie qui était loin de ressembler à un concert de musique classique à l’Opéra Garnier…
Ici, les murs étaient habillés de tons pastel, de l’orange et du beige. La lumière de ce début de journée apportait une sensation de calme et de confort. Des chariots de soins et de linge semblaient abandonnés au milieu de ce décor acidulé. J’avançai prudemment, scrutant les alentours afin de trouver quelqu’un à qui m’adresser mais je devais arriver en plein tour de soins car je ne croisai personne sur le trajet qui menait jusqu’au bureau de la cadre du service. Celle-là même avec qui j’avais passé l’entretien de recrutement deux mois plus tôt.
C’était une femme qui respirait la bienveillance et l’empathie. La porte de son bureau était ouverte et elle m’accueillit avec un sourire sincère et spontané.
- Bonjour Sarah ! Bienvenue !
- Bonjour, madame Leparc, répondis-je timidement.
- Appelez-moi Huguette. Ici, nous pratiquons le vouvoiement mais tout le monde s’appelle par son prénom, de l’ASH au chirurgien.
Je lui souris, à la fois pleine de gratitude pour la courtoisie de son accueil et terrorisée à l’idée qu’effectivement, je m’apprêtais à rencontrer une multitude d’individus avec qui je devrais collaborer au quotidien.
Si je m’enfuis maintenant, le remarquera-t-elle ? Je crois qu’il est trop tard, ma pauvre Gertrude.
Lisa Marconet
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