© H. Chochois
JOUR-J : ÉPISODE 4
Les heures défilent et Sarah se sent plutôt bien dans ce service de chirurgie… mais une rencontre suffit à la déstabiliser. Un épineux et unilatéral échange avec le chef de service lui fera-t-il regretter le changement de vie qui l’a poussée à intégrer cette unité ?
La tension retomba dès lors que ce duo improbable formé par maître Yoda et son jeune et beau Padawan quittèrent l’office.
- Ne te tracasse pas, m’interpella une de mes collègues. Il est comme ça avec tout le monde.
Il n’empêche que sa froideur et son dédain m’avaient mise mal à l’aise.
Après un déjeuner express, nous reprîmes vite les soins à enchaîner et l’après-midi s’écoula au rythme des pansements, poses de perfusions, administration de traitements contre la douleur, etc.
Je trouvai la cadence délirante et repoussai du mieux que je le pouvais les idées de fuite qui me traversaient l’esprit.
En fin de journée, le maître Jedi se présenta à nouveau dans le service, l’air guère plus plaisant que quelques heures auparavant. Nous étions en train de faire nos transmissions écrites. Charlène m’expliquait les points importants en chirurgie digestive. L’équipe de nuit ne tarderait pas à arriver et après douze heures d’une épreuve sportive du type parcours du combattant, personne n’avait envie de finir en retard.
Le Dr Perrot s’adressa directement à la brune qui était assise près de moi au déjeuner et dont je cherchais encore le prénom :
- Marion, vous avez les résultats du bilan de M. D. ? Je vous avais demandé de me les sortir tout à l’heure.
Merci ! Marion ! Elle s’appelle Marion !
À défaut d’être avenant, le maître Jedi Perrot m’avait fourni une information essentielle !
- Je l’ai fait. Ils sont dans son dossier, répondit-elle froidement.
- Vous pouvez me le donner ? J’ai opéré tout l’après-midi et j’ai encore des compte-rendus opératoires à signer.
Et c’est quoi le mot magique ?
Elle marqua une pause. Tout le monde s’arrêta d’écrire. Les pingouins et les ours polaires débarquèrent, attirés par la froideur de leurs échanges dignes des températures de la banquise.
- Parce que vous pensez que j’ai passé mon après-midi à enfiler des perles, moi ?
Le chirurgien resta coi.
Et nous toutes avec.
C’est ainsi que l’empire contre-attaque !
D’un air renfrogné, il se dirigea vers la pile de dossiers posés à côté de Marion et ronchonna sans que personne comprenne le moindre mot. Il quitta la pièce avec le classeur de la chambre 15 sous le bras.
Bizarrement, ma sensation d’inconfort disparut au moment où le chef de service quitta la salle de soins. Je remerciai intérieurement le Dieu des colliers de perles d’avoir inspiré à Marion une répartie qui nous avait fait du bien à toutes. Les membres de l’équipe présents à cet instant se mirent à glousser dès lors que le Dr Perrot ne fut plus en mesure de nous entendre.
Une heure plus tard, je franchissais les portes de l’hôpital. L’air frais de novembre me saisit et loin de vider ma tête de toutes les informations que j’avais dû accumuler aujourd’hui, il eut le mérite d’atténuer leurs rebondissements contre chaque arrondi de ma boîte crânienne.
Je fermai les yeux pour mieux apprécier l’inspiration profonde que je venais de prendre. J’en ressentis les bienfaits apaisants, presque thérapeutiques.
- Dure journée ?, m’interrompit une voix inconnue.
Je me retournai pour découvrir le jeune Padawan derrière moi, en train de fumer une cigarette. Il avait l’air plus détendu et plus ouvert que quelques heures auparavant. Je finis par répondre :
- Normal pour un premier jour, non ?
- Tu as l’air de t’en être bien sortie…
- J’ai l’impression d’être un épouvantail : la tête comme une citrouille et des jambes si douloureuses que je ne suis pas sûre de pouvoir marcher jusqu’à mon appart.
- Tu es loin d’être aussi effrayante qu’un épouvantail…
T’as mal regardé mes cheveux, apprenti Jedi…
- Bonne soirée, reprit-il avant de s’engouffrer dans le hall de l’hôpital sans me laisser le temps de répondre.
Bonne soirée à toi aussi, jeune et beau Padawan.
En arrivant dans mon appartement encore encombré de cartons, je réalisai que cette journée, aussi chargée qu’elle fut, m’avait permis d’oublier l’avant. Pas une seule fois, je n’avais pensé à Lui, la raison de mon expatriation… Mais ce soir-là, son souvenir s’imposa à moi avec amertume. Son ombre continuait de planer sur ma vie.
Si la solution pour l’oublier était de me plonger corps et âme dans mon métier, alors, sans hésitation, je décidai que je trouverais là mon salut. Ce service de « chirurgie molle » et ses intervenants seraient ma thérapie. Une grisante et enivrante thérapie…
Lisa Marconet
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