02/10/2018

Raphaëlle Jean-Louis : « En dénonçant la violence de l'hôpital, on commence par y remédier »

Une seule mauvaise expérience peut tout faire basculer. Les stages de Raphaëlle Jean-Louis se sont toujours bien déroulés. Jusqu'à ce fameux stage, au cœur de son récit Diplôme délivré(e), parole affranchie d'une étudiante infirmière, (Michalon, 2018) au cours duquel elle devient le souffre-douleur de l'équipe. Aujourd'hui diplômée, et réalisatrice sur son temps libre, elle témoigne de cette violence, à visage découvert.

L'Infirmière magazine : La première partie de votre livre est consacrée à tous vos stages qui se sont bien passés, tandis que la deuxième décrit une expérience abominable, où vous avez été victime de harcèlement, de maltraitance, de la part de vos collègues. Mais « même si les stages se passent bien, la violence est bien présente », dites-vous. Comment les aspirants infirmiers peuvent-ils s'armer face à ça ?

Raphaëlle Jean-Louis : Ce que j'ai voulu dire, c'est que le métier est déjà, en soi, difficile, car nous sommes chaque jour confrontées à la maladie, la mort, mais aussi à la vie et à la guérison heureusement. Quand on doit apprendre le décès d'un proche, c'est violent pour les familles, mais aussi pour nous. C'est assez dur mais cela fait partie de notre métier, on le sait. Mais si, en plus, nous ne sommes pas solidaires entre collègues, avec les étudiants ou les patients, imaginez un seul instant le degré de violence, de stress… Pour s'armer face à cela, il y a la solidarité, la bienveillance, le respect de chacun, l'écoute de son collègue quand il en a besoin, l'entraide entre nous. Toutes ces valeurs nous permettent de tenir. Tout comme la relation avec le patient, qui est le cœur de notre métier, de notre mission, de nos actions. C'est ce qui nous fait tenir bon. Même s'il est vrai qu'aujourd'hui, dans la plupart des services, cette relation peut être biaisée par le manque de temps et de personnel.

Établissez-vous un lien entre la violence dont vous avez été victime et le stress, la surcharge de travail et la fatigue de vos harceleuses ? A la fin de votre livre, vous écrivez d'ailleurs une lettre à Emmanuel Macron et Agnès Buzyn, pour leur demander « d'augmenter l'effectif des soignants dans les établissements qui en ont besoin »...

Tout dépend de la situation, c'est également fonction de la personnalité des soignants. Les conditions de travail n'expliquent pas tous les comportements, mais par moment, oui, j'établis un probable lien entre nos conditions de travail et la violence qui peut en découler.

Vous évoquez une anecdote avec une de vos infirmières harceleuses, durant un pansement, qui se montre aussi détestable avec vous qu'avec le patient, âgé, au prétexte qu'il « ne comprend rien ». Le harcèlement entre collègues finit par nuire au patient...

Je pense qu'en étant détestable, cela peut créer des conflits et des tensions dans une équipe. Ca peut donc être un facteur de risque de faire des erreurs et donc de nuire au patient. Tout comme les conditions de travail qui, très souvent, nous épuisent et il est bien connu que l'épuisement professionnel peut conduire directement aux erreurs.

Tour à tour, vous signalez votre harcèlement à d'autres soignants, aux cadres… La plupart sont conscients de la situation mais se révèlent plus ou moins impuissants. Comment y remédier ?

Très souvent, la plupart des soignants sont conscients de cette violence, mais tous n'agissent pas. Ça me rappelle les scènes qui ont pu se passer dans le train ou le métro, où une jeune femme se fait embêter, agresser par un homme et que personne ne bouge. Pourquoi ? C'est pour cela que nous sommes tous, pour la plupart, prêts à dénoncer ce silence, cette violence cachée, afin d'en finir et de protéger les futurs soignants (infirmière, aide-soignante, ASH....) En dénonçant, on commence déjà par y remédier !

En parallèle de votre activité d'infirmière, vous avez réalisé plusieurs courts-métrages. Comment conciliez-vous ces deux activités ? Quels sont vos projets pour la suite ? 

Actuellement, je concilie toujours mes deux activités. Cela me demande de plus en plus de travail (mais j'ai l'habitude.) J'enfile ma blouse d'infirmière mes jours de travail et mes jours de repos, j'enfile ma veste de cinéaste. Mon projet, qui est en cours et entre de bonnes mains, c'est la réalisation de mon premier long-métrage sur nos professions (aides-soignantes, infirmières, ASH, étudiants...) dont je suis la scénariste et la réalisatrice. Je travaille dessus depuis mes études d'infirmière et il va enfin pouvoir être réalisé. Je n'ai jamais baissé les bras car je suis soignante et j'ai vraiment à cœur de faire un film sur nous, sur notre détermination, notre passion pour notre métier, sur notre solidarité malgré les difficultés, mais aussi sur nos conditions de travail et les conséquences que ça a sur notre quotidien et sur notre vie personnelle. J'aimerais rendre hommage à nos professions.

Raphaëlle Jean-Louis, Diplôme délivré(e), parole affranchie d'une étudiante infirmière, Michalon, 2018.

Les dernières réactions

  • 03/10/2018 à 19:30
    ines
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    je suis etudiante infirmiere et je te comprend et te soutiens jusqu au bout j ai aussi enormement souffert du harcelement psychologique et de la mechancete des infirmiers. cest incroyable de se comporter de cette maniere avec leurs futurs pairs.
    les patients tres choques de cette mechancete gratuite ont meme voulu intervenir en ma faveur.
    nous sommes de nombreux etudiants a se faire martyriser et bizuter par les infirmiers qui sont à mon gout pas du tout professionnels et sans empathie. et malheureusement c'est toujours nous les etudiants infirmiers qui ne sont pas pris au serieux que ca soit par la cadre de santé ou des formateurs et c'est encore et toujours nous qui nous retrouvont a subir les consequences en fin de stage
  • 03/10/2018 à 21:23
    Sabrina
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    Merci ! Merci de mettre en avant l’enfer que l’on peut subir en tant que stagiaire...
    Je me rappelle lorsque j’ai demandé le soutien de ma coordinatrice de stage suite à une malveillance certaine d’une IDE tutrice, et qu’elle m’a repondu que je prenais trop les choses à coeur et que c’etait « ideal » pour faire un travail sur soi, j’aurais aimé trouver un soutien comme, probablement, ce livre.
  • 17/10/2018 à 23:51
    Atropine
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    Nous avons tou ete stagiaires, n oublions pas meme si manque de TPS ou autre , de soutenir eT d encadrer tous ces futurs professionnels , Qui nous soignerons plus tard . De leur donner le goût du métier tellement difficile mais tellement riche . Actuellement cadre en Ehpad , j accueille au mieux mes stagiaires et reSte disponible si besoin . Je travaille avec 4 Ifsi de Paris eT tjrs de bons retour .
  • 18/10/2018 à 19:36
    seagull
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    Édifiant et tellement vrai.....pour ma part ça l'a été également.
    Il est temps .....grand temps de remédier à ces comportements inadmissibles de despotisme et de toute puissance place à l'humilité devant tant de disciplines de savoirs être et savoirs faire qui évoluent rapidement .....ne sommes nous pas inscrits dans une dynamique de formation continue ? qui normalement doit inciter chaque infirmier à cette réflexion permanente concernant ses savoirs et tous ceux qui lui restent à intégrer c'est vertigineux.....alors de l'humilité, de la bienveillance, de l'empathie et de l'envie forte de transmettre au mieux aux étudiants en soins infirmiers cette profession qui d’elle même nous dicte et surtout en tant que témoins de nombreuses souffrances si difficiles à soulager, apprenez à aimer et surtout n'en ayez pas peur....c'est plus valorisant et enrichissant que la toute puissance absolue qui vise à penser que nous savons tout et que l'autre n'est en conséquence rien du tout ....." tout ce que je sais c'est que je ne sais rien" cette citation d'un illustre bonhomme ne vous inspire t'elle rien ?.....
    Le manque d'effectif et les rythmes infernaux que nous subissons tous ne sont en aucun cas un motif ou une excuse ...ces événements graves d

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