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Une seule mauvaise expérience peut tout faire basculer. Les stages de Raphaëlle Jean-Louis se sont toujours bien déroulés. Jusqu'à ce fameux stage, au cœur de son récit Diplôme délivré(e), parole affranchie d'une étudiante infirmière, (Michalon, 2018) au cours duquel elle devient le souffre-douleur de l'équipe. Aujourd'hui diplômée, et réalisatrice sur son temps libre, elle témoigne de cette violence, à visage découvert.
L'Infirmière magazine : La première partie de votre livre est consacrée à tous vos stages qui se sont bien passés, tandis que la deuxième décrit une expérience abominable, où vous avez été victime de harcèlement, de maltraitance, de la part de vos collègues. Mais « même si les stages se passent bien, la violence est bien présente », dites-vous. Comment les aspirants infirmiers peuvent-ils s'armer face à ça ?
Raphaëlle Jean-Louis : Ce que j'ai voulu dire, c'est que le métier est déjà, en soi, difficile, car nous sommes chaque jour confrontées à la maladie, la mort, mais aussi à la vie et à la guérison heureusement. Quand on doit apprendre le décès d'un proche, c'est violent pour les familles, mais aussi pour nous. C'est assez dur mais cela fait partie de notre métier, on le sait. Mais si, en plus, nous ne sommes pas solidaires entre collègues, avec les étudiants ou les patients, imaginez un seul instant le degré de violence, de stress… Pour s'armer face à cela, il y a la solidarité, la bienveillance, le respect de chacun, l'écoute de son collègue quand il en a besoin, l'entraide entre nous. Toutes ces valeurs nous permettent de tenir. Tout comme la relation avec le patient, qui est le cœur de notre métier, de notre mission, de nos actions. C'est ce qui nous fait tenir bon. Même s'il est vrai qu'aujourd'hui, dans la plupart des services, cette relation peut être biaisée par le manque de temps et de personnel.
Établissez-vous un lien entre la violence dont vous avez été victime et le stress, la surcharge de travail et la fatigue de vos harceleuses ? A la fin de votre livre, vous écrivez d'ailleurs une lettre à Emmanuel Macron et Agnès Buzyn, pour leur demander « d'augmenter l'effectif des soignants dans les établissements qui en ont besoin »...
Tout dépend de la situation, c'est également fonction de la personnalité des soignants. Les conditions de travail n'expliquent pas tous les comportements, mais par moment, oui, j'établis un probable lien entre nos conditions de travail et la violence qui peut en découler.
Vous évoquez une anecdote avec une de vos infirmières harceleuses, durant un pansement, qui se montre aussi détestable avec vous qu'avec le patient, âgé, au prétexte qu'il « ne comprend rien ». Le harcèlement entre collègues finit par nuire au patient...
Je pense qu'en étant détestable, cela peut créer des conflits et des tensions dans une équipe. Ca peut donc être un facteur de risque de faire des erreurs et donc de nuire au patient. Tout comme les conditions de travail qui, très souvent, nous épuisent et il est bien connu que l'épuisement professionnel peut conduire directement aux erreurs.
Tour à tour, vous signalez votre harcèlement à d'autres soignants, aux cadres… La plupart sont conscients de la situation mais se révèlent plus ou moins impuissants. Comment y remédier ?
Très souvent, la plupart des soignants sont conscients de cette violence, mais tous n'agissent pas. Ça me rappelle les scènes qui ont pu se passer dans le train ou le métro, où une jeune femme se fait embêter, agresser par un homme et que personne ne bouge. Pourquoi ? C'est pour cela que nous sommes tous, pour la plupart, prêts à dénoncer ce silence, cette violence cachée, afin d'en finir et de protéger les futurs soignants (infirmière, aide-soignante, ASH....) En dénonçant, on commence déjà par y remédier !
En parallèle de votre activité d'infirmière, vous avez réalisé plusieurs courts-métrages. Comment conciliez-vous ces deux activités ? Quels sont vos projets pour la suite ?
Actuellement, je concilie toujours mes deux activités. Cela me demande de plus en plus de travail (mais j'ai l'habitude.) J'enfile ma blouse d'infirmière mes jours de travail et mes jours de repos, j'enfile ma veste de cinéaste. Mon projet, qui est en cours et entre de bonnes mains, c'est la réalisation de mon premier long-métrage sur nos professions (aides-soignantes, infirmières, ASH, étudiants...) dont je suis la scénariste et la réalisatrice. Je travaille dessus depuis mes études d'infirmière et il va enfin pouvoir être réalisé. Je n'ai jamais baissé les bras car je suis soignante et j'ai vraiment à cœur de faire un film sur nous, sur notre détermination, notre passion pour notre métier, sur notre solidarité malgré les difficultés, mais aussi sur nos conditions de travail et les conséquences que ça a sur notre quotidien et sur notre vie personnelle. J'aimerais rendre hommage à nos professions.
Raphaëlle Jean-Louis, Diplôme délivré(e), parole affranchie d'une étudiante infirmière, Michalon, 2018.