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Emilie* est infirmière en chirurgie au CHU de Caen (Calvados). A 28 ans, passionnée par son métier, elle se dit inquiète de l’évolution de la situation de l’hôpital. C’est en partie la raison qui l’a conduite à rejoindre, dès le mois de novembre, le mouvement des Gilets jaunes.
Emilie : J’exerce au CHU depuis cinq ans, en chirurgie, et tout se passe plutôt bien, j’exerce mon métier par vocation. Mais l’évolution de la situation au sein de l’hôpital m’inquiète. Pendant mes études en soins infirmiers, j’ai travaillé au McDo et, aujourd’hui à l’hôpital, j’ai l’impression de vivre une gestion du personnel identique. Il n’y a plus d’humain, on est géré par des managers. On a l’impression que les cadres ont oublié les valeurs humaines pour lesquelles nous exerçons notre métier. La situation se dégrade d’année en année : suppression de personnels, heures supplémentaires non payées. Cela devient écœurant. Je suis très inquiète pour la prise en charge des patients et l’avenir de l’hôpital public.
Le jour où la mobilisation a commencé, le 17 novembre, je travaillais. Mais je me suis posée des questions et dès le lundi, comme j’étais en repos, j’ai décidé d’aller voir par moi-même ce qui se passait sur les ronds-points. La mobilisation était impressionnante. Je me suis rendue compte de la fraternité entre les personnes mobilisées et j’ai décidé de continuer à m’y rendre. On y voit toutes les classes sociales et politiques et on sort justement de cette notion de partis politiques. On parle juste de notre vécu, en tant que Gilet jaune. Au final, nous avons tous le même objectif : casser l’oligarchie.
Tout à fait ! Les gens en ont marre et moi aussi. A l’hôpital, le directeur, les cadres supérieurs, ne connaissent pas mon métier et n’ont pas à me dire comment l’exercer. Je tombe des nues quand on me dit que tout va pour le mieux à l’hôpital public. Le budget est décidé en fonction de la volonté du gouvernement, de son envie de faire des économies, et ne prend pas en compte les besoins de la population. Mais cela ne concerne pas que l’hôpital. Tous les services publics en prennent un coup. C’est pareil pour la police, pour l’Education nationale… On marche à l’envers. Le gouvernement est fautif, mais l’Union européenne (UE) aussi. Je ne vois pas comment on peut gérer les besoins de la population avec un regard aussi éloigné et objectif que celui de l’UE. D’ailleurs, je pense que l’engagement des Gilets jaunes aux Européennes est une bêtise, car nous n’obtiendrons jamais de réponse à cette échelle. Pour que les choses changent, le peuple doit récupérer sa souveraineté nationale. Je ne suis pas économiste, mais l’argent, on peut le trouver notamment en luttant contre la fraude fiscale ou en rétablissant l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). C’est une question de volonté du gouvernement.
Tout à fait et je suis d’ailleurs étonnée qu’il n’y ait pas plus d’engagement de la part des personnels hospitaliers. Les infirmiers, les aides-soignants, les médecins sont en burn out car ils n’ont plus les moyens d’exercer leur métier. Mais ils me disent être blasés, et pensent que malgré le mouvement, les choses ne vont pas changer. C’est leur choix, mais de mon côté j’estime que si on ne se bat pas, on ne peut pas se plaindre.
Propos recueillis par Laure Martin
*Le prénom a été modifié.
Street medics : en première ligneÀ lire dans « L'Infirmière Magazine », n° 405Réservé aux abonnés |