Une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) « de ville » fête sa première année à Marseille, dans le quartier de la Belle-de-Mai. La particularité : les professionnels de santé libéraux (généralistes, dentistes, radiologues, pharmaciens…) acceptent de suspendre la facturation de leurs actes jusqu’à l’ouverture des droits.
En un an, près de mille patients sans droits ouverts à la Sécurité sociale ont été pris en charge par la PASS de ville de Médecins du Monde, co-gérée avec l’URPS Paca Médecins libéraux, malgré une situation administrative compliquée. Par un recueil de témoignages, sous forme de portraits (1), Médecins du monde met en lumière le parcours du combattant de femmes et d’hommes malades en situation de grande précarité pour se faire soigner en France.
Ibrahima a fui les conflits familiaux au Sénégal. Sur la route de l’exil, il est kidnappé et réduit en esclavage en Libye. Il parvient à s’enfuir et à rejoindre par la mer l’Italie puis la France. A Marseille, il passe de foyer en foyer : « A mon arrivée en France il y a trois ans et demi, j’ai obtenu la CMU (Couverture maladie universelle), car j’étais demandeur d’asile. Mais quand cette couverture s’est interrompue, j’ai arrêté de me faire soigner », raconte le jeune homme. Lorsque survient une douleur au niveau du rachis cervical, il se présente aux urgences de l’hôpital de la Timone. « Ils n’ont pas voulu me soigner car je n’avais aucun papier et je ne pouvais pas payer. Alors, ils m’ont orienté vers Médecins du monde. »
Avec l’aide des professionnels de santé bénévoles de la PASS de ville et de l’assistant social, il se fera soigner et obtiendra l’AME après diverses relances. Il ignorait qu’il pouvait y prétendre. D’après Delphine Payen-Fourment, chargée du projet PASS de ville chez Médecins du monde, « 70 % des personnes que nous rencontrons obtiendront l’AME mais ils font d’abord face à des barrières administratives, linguistiques ou à une incapacité à se diriger dans la ville pour faire valoir leurs droits. » Elle signale également des demandes « abusives » de certaines CPAM pour ouvrir des droits : « des demandes de justificatif de domicile alors que l’adresse est normalement déclarative » freine l’obtention de l’aide.
Sarah, mère célibataire en Algérie venue en France, fuit une situation extrêmement stigmatisante pour elle et ses enfants. « Mon père m’a dit : tu me fais honte, si tu restes ici, je te tue ! » Après une fausse-couche causée par une chute dans un escalier et sans droit en France, elle attend plusieurs semaines « par honte » avant de se rendre à la PASS. « La PASS de ville m’a aidée à constituer un dossier d’AME, et m'a orientée immédiatement vers un médecin traitant » partenaire du dispositif en ville. Elle bénéficie d'abord d’une échographie abdominale de contrôle, puis d’un suivi au long cours. Les soignants ont suspendu les factures jusqu’à l’obtention des droits.
Dans 30 % des cas seulement, l’AME ne peut être obtenue. Alors, comme dans les autres PASS, les soins sont réglés par une enveloppe réservée. En 2017, l’Académie nationale de médecine confirmait que « la santé des personnes précaires et pauvres est de plus en plus compromise. [...] Or, l’accès à la santé conditionne en grande partie la sortie de la précarité. » Les conditions de l’obtention de l’AME devraient changer dans les prochains mois. La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2020) introduit un délai de trois mois de présence irrégulière sur le territoire avant l’obtention de l’AME. A Marseille, les professionnels sont inquiets pour les milliers de personnes concernées.
Sandrine Lana
1- Les témoignages et les photos ont été réalisés par Médecins du monde Marseille.