03/03/2020

Hugo Huon : « Les soignants ont compris qu’ils ne sont pas responsables de leur burn out »

Tout a commencé en mars 2019, à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP). Un personnel soignant est blessé à la suite d’une rixe dans le service des urgences. Le groupe des cinq (l’hôpital Tenon, Saint-Louis, La Pitié, Lariboisière et Saint-Antoine) s’organise. Le collectif Inter-urgences voit le jour. À sa tête, un infirmier. Hugo Huon fait le point un an plus tard.

Espace infirmier : Le premier service des urgences faisait grève il y a bientôt un an. Depuis, quel bilan en tirez-vous ?

Hugo Huon : Pour les urgences, il y a eu des avancées, avec par exemple la prime de 100 euros, des effectifs supplémentaires par endroit, des budgets débloqués par les agences régionales de santé (ARS) pour effectuer des travaux dans les locaux des urgences... Car c’est l’un des principaux problèmes de l’hôpital. L’Etat s’est déchargé de l’immobilier, obligeant les structures à emprunter et générant une dette de 30 milliards d’euros.
Néanmoins, dans la majorité des services, face au mouvement, les directions nous répondent que les solutions sont à chercher au national. Dans de nombreuses structures, la grève n’a rien changé, la situation est parfois pire qu’avant. D’autant que le mouvement a pu diviser le collectif de travail entre ceux qui ne souhaitent pas poursuivre parce qu’ils voient que cela n’avance pas, qu’ils ne sont pas écoutés, et les autres qui restent motivés.

Qu’en est-il de l’hôpital au sens large ?

En août, on nous a demandé de devenir le collectif Inter-hôpitaux. Mais ce n’est pas aux urgences de porter tout le mouvement. Cela n’aurait pas été honnête et nous n’avons pas les épaules pour le faire. Nous avons donc travaillé ensemble à l’élaboration du collectif Inter-hôpitaux. Le mouvement hospitalier est plutôt un succès, majoritairement représenté par des médecins, parfois parce qu’ils n’ont pas le choix… Mais les médecins ont plus de moyens d’action…

Le mouvement a-t-il entraîné un certain effacement de la hiérarchie entre les professionnels de santé ?

Je pense que oui, en effet. De nombreux soignants me disent que la grève et le militantisme leur a permis de revivre dans les services, de travailler de nouveau avec cœur. Le mouvement a recréé des échanges, de la discussion, des collectifs de travail autour de la notion d’équipe, de la prise en charge des soins. Les oppositions existent toujours, c’est évident, mais globalement, le mouvement a permis un retour de la solidarité.

Que retirez-vous comme victoire ?

Pour moi, quelle que soit la façon dont le gouvernement répond à la grève, je m’en moque, car si l’hôpital doit aller dans le mur, cela va se produire. Mais ce mouvement a le mérite d’avoir conscientisé les équipes. Désormais, au lieu de se sentir coupables, les soignants qui réalisent des soins dans des conditions indignes ont conscience que ce sont les conséquences des politiques publiques. Pour moi, c’est la vraie victoire. Ils ont compris qu’ils ne sont pas responsables de leur burn out.

Les urgences de Saint-Antoine sont parvenues à un accord avec leur direction mi-février. Qu’en pensez-vous ?

C’est un bel exemple. A l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’espérance de vie professionnelle des infirmiers et des aides-soignants aux urgences est de trois ans. Mais Saint-Antoine était le moins affecté par les problématiques des urgences. Donc si même ce service s’est mis en grève, c’est la preuve que le problème est réel, c’est même symbolique. Les soignants voulaient sortir de la grève depuis juillet dernier. Ils ont tenu jusqu’à l’accord. Mais il y a eu des non-conformités des deux côtés. La direction a donné la prime et a payé les heures supplémentaires aux agents de jour mais rien pour ceux de nuit. Les inégalités de traitement ont fatigué les équipes et je pense que c’est pour cette raison que les soignants sont sortis de la grève et non parce qu’ils ont trouvé une solution pour mieux prendre en charge les patients.

Qu’en est-il de la poursuite du mouvement ?

En février, le collectif a envoyé un questionnaire. Nous avons reçu 53 % de réponses. Il y aurait donc encore 120 services en grève. Mais selon nous, ils seraient plutôt entre 200 et 250. Nous nous posons la question de la légitimité à poursuivre la grève, de la mise en danger des équipes car les professionnels sont fatigués. Est-ce que cela a encore du sens ? Pour nous, lorsqu’une bonne partie des professionnels d’un service souhaite arrêter le mouvement, qu’ils se disputent à ce sujet-là, cela fragilise encore plus le collectif de travail et il vaut mieux arrêter.
Concernant le collectif Inter-urgences, nous organisons une assemblée générale ordinaire le 3 avril pour dresser le bilan de cette année, penser une stratégie de transformation et organiser des élections. Je ne souhaite plus être président, notamment parce que je n’exerce plus aux urgences depuis janvier. De plus, le collectif Inter-urgences a pleinement joué son rôle de lanceur d’alerte mais d’après moi, c’est au collectif Inter-hôpitaux de prendre le relais car le mouvement s’est généralisé. Ce n’est pas pour autant que le collectif Inter-urgences doit disparaître. Il s’agit d’une mine d’or car des réflexions ont été menées par les soignants qui possèdent leur propre vision des soins, différente des autres professionnels de santé. Le collectif pourrait travailler à des protocoles de recherche au niveau national. Il faut préserver ce travail que nous avons mené en accentuant notre veille et en maintenant notre réseau.

En dernier lieu, un petit point d'actualité : que pensez-vous de la gestion de l'épidémie du coronavirus ?

C'est assez surprenant car avec l'épidémie, des recrutements ont été effectués, et dans certains services en grève, il y a plus d'effectifs que d'habitude. Néanmoins, au sein du collectif, nous avons des remontées d'informations du terrain, et nous savons que dans certains services, les masques mis à disposition des soignants sont inadaptés. Les hôpitaux ne sont pas prêts, l'organisation des soins cafouille. C'est un problème politique majeur.  
Avec le coronavirus, le taux de mortalité est de 1 à 2 %. Mais si un jour nous sommes face à un virus du type Ebola, ça sera l’hécatombe. L'analyse a posteriori qui va être faite de la gestion organisationnelle de cette épidémie va être très intéressante...

Propos recueillis par Laure Martin

Les dernières réactions

  • 05/03/2020 à 07:06
    lemo
    alerter
    une gréve très virtuelle !!!!!!!!!!!!!!!!! et surtout toujours autant de médecins "mercenaitres" à 1500 euros la journée qui saignent les finances de l'hôpitall!!!!!!!!!!!!!!

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