© D. R.
Nolwenn Collignon est infirmière en Ehpad. Elle nous a écrit sur Facebook pour partager son quotidien professionnel, en pleine épidémie de Covid-19. L'angoisse, le stress, la fatigue sont tous de mise, et pourtant, il faut y aller, il faut continuer. Coûte que coûte.
Finie. Cette dure semaine est finie. Mais en fait, à vrai dire il n'y a plus de semaine ni même de week-end. Donc cette “sem-end” a commencé par la journée de lundi. Journée de repos pour ma part. Mais journée où mon mari était de garde à l'hôpital. Journée où son service s'est transformé en accueil des patients Covid-19. Journée où j'ai pensé à lui chaque seconde. Fait-il attention ? A-t-il le matériel nécessaire à sa protection ? Comment vit-il la situation ?
« C'est pas facile tout ça », voilà ses paroles, encore une fois même dans les pires moments, son humilité et sa force de caractère sont toujours présentes. Je l'admire. 20 heures sonnent.
Je suis sur notre balcon. Les applaudissements commencent. Les casseroles retentissent.
Les merci se font entendre. Les larmes coulent sur mes joues. « C'est pas facile tout ça ».
J'irais me coucher. Il n'a pas répondu à mon dernier message, je lui en ferais part le lendemain, il bégaye : « Je, enfin j'étais… », il ne finira pas sa phrase. Mais je sais, Doudou : « C'est pas facile tout ça ».
Il rentrera alors ce mardi matin. Cerné. C'est une des premières fois en dix ans et demi que je vois ce regard. Il n'est pas avec moi. Non. Je sais. Son corps est près de moi mais son esprit est encore là-bas. Avec Corona. « C'est pas facile tout ça ». J'aimerais me blottir dans ses bras. Poser mes lèvres sur les siennes. Mais on respecte les distances réglementaires. Pas pour moi à vrai dire, mais surtout pour ne rien ramener auprès de mes personnes âgées. « C'est pas facile tout ça ».
La journée passera, un petit moment d'égarement et il osera poser sa tête sur mes jambes. Je recevrais un message le soir de ma collègue. On y est. Le confinement dans les chambres de nos résidents. On le savait. Ça arriverait. J'étais pas vraiment prête. En fait, on est jamais prêt à vivre une pandémie. Normal. « C'est pas facile tout ça ».
Nous voilà mercredi. Mon réveil sonne. Petite boule au ventre. Mais il faut se lever. J'arrive toujours en avance pour prendre mon poste et je découvre qu'une résidente est suspectée Covid-19. Non, ce n'est pas possible pas chez nous. Un prélèvement a été réalisé la veille par mes collègues infirmières. Punaise, ce que je n'aimerais pas réaliser ce prélèvement. L'heure des transmissions orales arrive. Un résident présente une toux grasse. Ça arrive souvent quand même que tel ou tel résident tousse. En temps normal, on appelle le médecin, il ausculte, éventuellement il prescrit des antibiotiques et tout rentre dans l'ordre. Oui mais là, nous ne sommes pas en temps normal. Là tes antibiotiques, tu peux te les garder. C'est une saloperie de virus. Et rien que d'entendre ce mot « toux » j'ai peur.
Je commence mon tour des médicaments et annonce à l'ensemble des résidents qu'ils sont confinés dans leurs chambres. Des incompréhensions, des soupirs, des “pourquoi ?”, des “vaut mieux comme ça”, une hyperthermie. Quoi ? Non mais non. Et si. Ce résident qui tousse. 38,5 de température. J'ai les jambes coupées. Et pourtant j'en ai vu d'autres. « C'est pas facile tout ça ». J'en informe le médecin. Consigne de réaliser un prélèvement. Tu sais, ce fameux prélèvement que je redoutais de faire. C'est parti. Surblouse. Tablier. Charlotte. Surchaussures. Gants. Lunettes. Masque FFP2. Je suis équipée pour y aller, enfin nous sommes équipées car je suis accompagnée de ma collègue. On rentre, on explique au résident ce que nous allons faire. Son regard. Mon Dieu, je lis dans ses yeux une inquiétude, il a peur. Très peur. C'est moi qui vais réaliseré le prélèvement. Et ma collègue lui maintiendra la tête en arrière. Je prends alors ce long coton-tige et l'insère dans sa narine droite, il se débat. Raté. Allez, vous pouvez le faire, s'il vous plaît, ne rendez pas les choses plus compliquées qu'elles ne le sont déjà. C'est reparti. Il se débat plus fort. C'est bien la seule chose qui me dérange dans mon métier, être invasive et engendrer de la douleur.
C'est vachement paradoxal : on est là pour soulager leur douleur et on en inflige. Mais je sais pourquoi je le fais. Vous remarquez que dans la phrase précédente le « je » s'est transformé en « on ». Pas vraiment fière de faire du mal. « C'est pas facile tout ça ». La troisième fois sera la bonne. Le coton tige s'enfonce dans sa cavité nasale, puis je sens une butée c'est là que le prélèvement s'effectue. Le coton tige est mis dans l'écouvillon et sera acheminé au laboratoire. Il faut alors se défaire de toute notre panoplie. Mais le masque FFP2, je le garde. Bah ouais, ça coûte cher. Si j'avais su...
La journée se passe tant bien que mal. Chaque personnel prend ses marques à cette nouvelle organisation. Chacun met de la bonne volonté. Une belle solidarité. C'est dommage d'en arriver là pour la découvrir. Mes oreilles. Mon nez. Surtout mes oreilles. Elles me font souffrir. En fait, ce sont les élastiques de ce masque qui me font souffrir. Escarre. Punaise, j'ai un début d'escarre aux oreilles. Qui l'eût cru, à 25 ans ? Je l'enlève ce foutu masque. Mon nez aussi est bien arrangé. « C'est pas facile tout ça ».
15 h 30. L'animatrice a donné rendez-vous au personnel à 15 h 30 dans la cour tous les jours. Avec nos distances bien évidemment. Pour une danse collective. La chanson : « Laisse entrer le bonheur ». Les résidents nous regardent par leurs fenêtres ils tapent des mains avec nous. On a réussi à faire rentrer du bonheur. Ça fait du bien. La journée se termine. Je suis exténuée. Il reste deux journées. Le jeudi se déroulera tant bien que mal. Les résultats tomberont. Négatifs. On aurait dit qu'on annonçait une rémission d'un cancer. Tout le monde a sauté de joie. Le soir, mon mari rentrera, et on ne pourra toujours pas se sauter dans les bras. « C'est pas facile tout ça ». Vendredi matin. Troisième jour en douze heures, ressenti : dixième jour. Je m'arrêterais là. « C'est pas facile tout ça ». Restez chez vous.
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