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Alors que la lutte contre l'épidémie de Covid-19 requiert toutes les forces vives des structures de soin, les services de psychiatrie craignent d'être oubliés, davantage encore. Les soignants s'inquiètent que leurs patients, fragiles, ne soient discriminés. Les conséquences pourraient être désastreuses.
Une hécatombe. Matthieu Bellahsen, psychiatre en île-de-France, représentant du Printemps de la psychiatrie, ne mâche pas ses mots quand on le questionne : « On a peur d'une hécatombe de malades mentaux. » Le médecin, auteur de l'ouvrage La révolte de la psychiatrie, sorti début mars, pointe la discrimination pérenne dont souffrent ceux qui fréquentent les services psychiatriques : « La vie des malades mentaux vaut moins la peine que celle des autres. »
Clément, dont le prénom a été changé, 30 ans, exerce dans un hôpital public de la banlieue parisienne. Et il en est convaincu : ses patients, en cas de contagion, « ne seront pas les premiers à être soignés ». Lui s'estime, finalement, assez chanceux : « On n'est pas en pénurie médicale, mais en pénurie de soignants, si. On a deux arrêts maladie pour fièvre en leur sein. »
Mais son service a dû tout de même faire face à quelques complications pour la réception de matériel. « Ça fait deux semaines qu'on fait des pieds et des mains pour avoir des masques, déplore le jeune médecin. Finalement, ça vient d'arriver. Mais certains ont dû demander à leur famille de leur en envoyer, d'en coudre même. » Surtout, ce qui était anodin hier est devenu complexe aujourd'hui : « Nous devons organiser nous-mêmes la distribution des cigarettes désormais. »
Mais les deux médecins s'inquiètent avant tout des conséquences de la crise sur les patients. « Certains sont là depuis très longtemps, ont des repères chamboulés. C'est un peu anxiogène. Ils ne comprennent pas vraiment. Des patients souffrent de troubles de l'attachement et ont besoin de proximité, souligne Clément. Or, désormais on porte des masques et des blouses, qu'on ne mettait jamais ! C'est bizarre pour eux. »
Patrick Estrade est infirmier en psychiatrie dans le Tarn. Diplômé depuis 1984, il assure n'avoir jamais été confronté à une telle situation. Il pointe dans la crise un élément déclencheur de troubles surprenant : le discours d'Emmanuel Macron. « Quand le Président dit “'Nous sommes en guerre”, ça réactive certains discours délirants, par exemple, explique le soignant. Le confinement pèse. Des patients développent des préoccupations phobiques, des rituels obsessionnels. Je ressens un grand repli sur nous-mêmes. »
Lui croit profondément aux activités créatives et collectives, qui ont dû être limitées. « On a gardé des petits groupes de deux, trois... Mais il y a toujours beaucoup d'incertitudes. » Si l'homme accepte la situation et les mesures nécessaires, il critique l'implication du gouvernement : « Le guide méthodologique sur la gestion de l'épidémie est paru le 16 mars. 60 pages et pas une sur la psychiatrie. Les directives spécifiques nous concernant ne sont sorties que le 23 mars ! »
« Après la vague d'arrivée du virus dans le secteur, il y aura celle du tri des patients au détriment des nôtres. Puis, la troisième vague sera celle des hospitalisations massives cet été. Le personnel sera déjà épuisé et devra s'occuper de tous ces patients que l'on a pu un peu suivre par téléphone mais qui auront dû rester confinés », souffle Mathieu Bellahsen. Mais ce ne sera pas fini. Le médecin parle d'une quatrième vague, « un tsunami politique. Beaucoup d'institutions ont fermé pendant l'épidémie. Le gouvernement va utiliser ça pour couper encore en disant qu'elles n'étaient pas si nécessaire que l'on voudrait le croire. »
Combatif, voilà ce qu'il lance en conclusion : « Ce n'est pas une opération résilience que j'attends. Mais une opération résiliation. Résiliation de toutes les politiques criminelles, intensifiés avec Macron. » Patrick Estrade, lui, ne perd pas espoir : « J'espère que nous saurons revenir à cette psychiatrie humaniste à laquelle nous tenons tant... »
Tous inquiets saluent dans ce moment critique la solidarité entre soignants, notamment soutenu par des permanences psychologiques, et la créativité dont, ensemble, ils font preuve.
Thomas Laborde
Une discrimination envers la psychiatrieDans un courrier adressé au ministre des Solidarités et de la Santé rendu public le 27 mars, Adeline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), dénonce la « discrimination » à laquelle est, selon elle, confrontée la psychiatrie dans la gestion de l'épidémie de Covid-19. Elle relève « le retard observé dans la transmission de consignes nationales » qui « a conduit les ARS [agences régionales de santé] à donner des consignes différentes selon les régions ». Elle note que « l’allocation par les autorités sanitaires des ressources devenues rares ne respecte pas un égal accès de tous les secteurs au regard de leurs besoins. Les agences régionales de santé ont indiqué que la psychiatrie n’était pas prioritaire dans la distribution du matériel de protection. Selon les informations remontées des établissements, « il apparaît que dans plusieurs régions, la répartition des masques, solutions hydroalcooliques et kits de dépistage entre les établissements de santé ne prévoit délibérément aucune attribution à la psychiatrie », précise-t-elle. Côté patient, la contrôleure estime que « le maintien des mesures de confinement dans la durée posera des difficultés particulières pour la population des personnes suivies en psychiatrie » et qu’« il convient de les anticiper pour assurer la poursuite des soins dans le respect des droits des patients ». Son courrier énonce des propositions dans ce sens. |
En savoir plus :
Consignes et recommandations destinées au secteur de la psychiatrie, sur le site du ministère de la Santé.