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Loïc Wendling, faisant fonction de cadre aux urgences de l'hôpital Emile-Muller de Mulhouse, revient sur la situation hors-norme à laquelle lui et ses équipes, déjà fragilisées par une crise interne à l'établissement, ont dû faire face au plus fort de l’épidémie de Covid.
Loïc Wendling : Les urgences de Mulhouse ont essuyé une crise à l'automne 2019, avec le départ de plusieurs médecins. Au début de l'année 2020, sous l'impulsion du nouveau chef de service, plusieurs projets de restructuration ont été lancés. Cette démarche de reconstruction a été plombée par l'arrivée massive de malades du Covid-19, mais c'est aussi grâce à cette dynamique que nous avons pu faire face à ce tsunami.
Aux urgences, on ne peut pas fermer les portes quand il n'y a plus de lit disponible. Tous les jours, il a fallu inventer des solutions pour que tous les malades qui se présentaient soient pris en charge. Assez rapidement, la majorité des arrivées aux urgences a concerné des cas de Covid, avec de nombreux cas graves. Nous avons alors décidé de ne plus prendre en charge que ces malades, en déléguant les urgences classiques à un service de consultation d'urgence. Nous devions aussi procéder à l'intubation de patients déjà hospitalisés qui décompensaient. Le travail était intense et répétitif. Mais malgré des conditions difficiles, tous les patients ont bénéficié d'une prise en charge appropriée.
Dès le week-end du 7 mars, des cadres du service ont été présents les samedis et dimanches. Au début, nous avons tous travaillé six jours sur sept. Puis, nous nous sommes aperçus qu'il était plus utile de décaler nos horaires, pour assurer une plus grande présence de l'encadrement sur place. Pour que cela fonctionne, nous avons dû trouver des outils de communication efficaces entre nous, afin que chacun puisse reprendre un sujet entamé par un autre. Nous avons établi deux cellules principales : l'une dédiée aux ressources humaines et l'autre au matériel. Pour les RH, nous avons bénéficié de renforts bienvenus d'infirmières venant d'horizons divers : des retraitées, des libérales, des transferts d'autres services, etc. Mais toutes n'étaient pas formées à l'urgence vitale. Nous avons alors mis en place des salles de surveillance post-intubation où elles pouvaient exercer en toute sécurité, différentes géographiquement des salles d'urgences vitales où les patients étaient intubés. Pour le matériel, nous nous sommes transformés en véritable magasin : jamais aux urgences nous n'avions eu un tel besoin en ventilateurs, en pousse-seringues, etc. ! Une gestion assez stricte des équipements de protection des soignants, validée par le service d'hygiène, a été adoptée dès le début. Cela nous a permis de ne jamais être en rupture.
Nous avons traversé ensemble une période inédite et difficile. Tout le monde était dans le même bateau, et a pagayé dans le même sens. C'était la seule solution pour ne pas se laisser submerger. Ces semaines ont aussi été éprouvantes : les soignants ont dû accepter de ne pas accompagner leurs patients aussi bien qu'ils voulaient. L'omniprésence de la mort a été dure à vivre. Une vraie solidarité s'est instaurée entre nous, en plus de dispositifs de soutien proposés par l'établissement. Je retiens bien évidemment cette richesse humaine. Plus encore qu'avant, je suis convaincu qu'il faut orienter l'organisation des soins autour du patient et de sa prise en charge par les soignants.
Propos recueillis par Lisette Gries