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Quelques milliers de personnes se sont réunies ce mardi 16 juin devant le ministère de la Santé, à Paris, où se tient un « Ségur » qui déçoit les professionnels épuisés et en colère. Manque d'échanges constructifs, pas de réponses aux revendications, absence d'engagement... Des rassemblements ont eu lieu dans toute la France.
Préserver son outil de travail, au service des patients. Le mot d'ordre est simple. « L'objectif, c'est le patient ! », crie un représentant du Collectif inter-hôpitaux. « Vous croyez qu'ils sont morts du Covid ? Non, du cancer, parce qu'on a dû choisir ! » Puis le silence. Pendant une minute, pour rendre hommage aux délaissés.
À quelques mètres de là, le ministère des Solidarités et de la Santé, où a lieu le Ségur de la santé piloté par Nicole Notat, ancienne patronne de la CFDT. « Ce ne sont que des causeries autour du feu, lance d'emblée Christophe Prudhomme, médecin au Samu de Seine-Saint-Denis, département particulièrement touché par l'épidémie. Il n'y a aucune proposition de la part du ministère. On veut une enveloppe financière. On veut 15 milliards tout de suite ! Pour remettre les compteurs à zéro et qu'on puisse ouvrir des vraies négociations sur les carrières sur les financements. » Les syndicats majoritaires, FO, CGT et Unsa – Sud a déjà claqué la porte du Ségur – ont d'ailleurs imposé un ultimatum : « Si le ministre ne vient pas à la réunion de vendredi, avec une proposition financière, pas sûr qu'on reste », menace le médecin.
La crise Covid-19 a montré un hôpital à bout de souffle, des soignants déconsidérés, que le gouvernement a pourtant élevés au rang de héros : « On veut des augmentations de salaire, pas des médailles », s'insurge un infirmier dans la foule.
« Les revendications sont les mêmes depuis de nombreux mois avant la crise, déplore Patricia, infirmière en psychiatrie à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis. Du personnel, des lits, des salaires, des moyens. On ne peut pas succomber à la panique intégrale chaque fois que l'on sort de l'ordinaire comme récemment. J'ai été réquisitionnée dans un autre service, sans blouse, sans masque pendant un mois : j'ai été mise en danger, ainsi que les patients. »
Olivier, son collègue, pointe un problème grave de « sortie de crise » : « Les lits n'ont pas rouvert. On envoie des patients dans d'autres départements de la région, hors de leur secteur de soins. Ces transferts sont anxiogènes. » D'un service à l'autre, même constat : les fermetures de lit pendant le confinement perdurent.
Pourtant, la rue gronde depuis près de deux ans et rien n'a changé. « C'est un retour à “l'anormal” », pointe une autre infirmière, le doigt levé vers une banderole. Ce manque de considération, le Dr Peyret, médecin addictologue de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, le constate depuis vingt ans : « Les budgets ont toujours été limités. »
Marianne, elle, a quitté l'hôpital public pour le privé à but non lucratif : « J'en connais les conditions, on doit soutenir le public et continuer de faire pression. Cette crise devrait avoir montré combien le public est nécessaire. Il faut garder la pression. »
Alors que le cortège parisien s'est arrêté près de Matignon, qui a refusé de recevoir une délégation, un homme scande en fin de monologue : « On compte sur toi, Macron ! » Désapprobation de la foule : « On compte sur nous et c'est tout ! Ils étaient mauvais avant, ils le sont après ! Démission ! »
Les soignants ne s'arrêteront pas au pont Alexandre III : « Des bonnes négociations, ça se mène avec une mobilisation et un rapport de force, prévient Christophe Prudhomme, sans détours. On appelle déjà à une nouvelle mobilisation en plus des mardis et des jeudis de la colère : le 30, la fin du mois, jour d’annonce du ministère a priori. » Le Collectif inter-urgences, révolté de ne jamais être consulté pour prendre part aux échanges, appelle aussi à la mobilisation et prévoit des actions en local. « Et surtout, autre rendez-vous, le 14 juillet. L'invitation par Macron de 2000 soignants pour sa sauterie du jour, c'est d'un mépris inqualifiable. Le roi dans son château qui invite les manants pour leur donner la piécette. »
Le climat est lourd et l'énergie du désespoir qui guide les manifestants s'entache de pessimisme, de désillusion, à l'image des mots d'au revoir de Patricia, l'infirmière en psychiatrie : « On n'y croit pas aux promesses. Il n'y aura pas de monde d'après. »
Thomas Laborde