Astrid860
Après plusieurs mois d’application, le Bilan de soins infirmiers (BSI) interroge. Face au décalage annoncé par l’Assurance maladie entre les projections et la répartition réelle des forfaits dits « lourds », un avenant correctif pourrait voir le jour pour permettre la poursuite du déploiement du BSI.
Dans un email adressé par l’Assurance maladie courant août aux membres des commissions paritaires régionales des infirmiers et des médecins, la part des forfaits BSC (prise en charge lourde) s’élèverait à 40 % en juin 2020 alors que la prévision n’était que de 25 %. Un résultat annonceur, pour l’Assurance maladie, de la nécessité de prendre des mesures correctrices pour permettre la poursuite de la mise en place du BSI.
« Il faut relativiser la situation, lance Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Ce qui nous embête dans la communication de la Cnam, c’est cette notion brandie de mesures correctrices… Pour le moment, nous ne sommes que sur du quantitatif, il faut attendre le qualitatif. Et il ne faut pas non plus oublier le contexte, le fait que le lancement du BSI a porté sur la tranche de la population la plus “consommatrice″ en soins. » « Nous sommes un peu surpris que l’Assurance maladie s’étonne que les patients de plus de 90 ans soient dépendants, ironise de son côté Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Elle soulève qu’« il y a eu trop de BSC alors que des critères objectifs ont été définis. Mais il est vrai que ces critères ont peut-être été faussés dans leur application au sein des régions d’expérimentation, qui affichaient un nombre de GIR 1 inférieur à la moyenne nationale, ce que nous avions signalé à l’époque. » De son côté, Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière s’agace : « La Cnam voulait considérer que les prises en charge des infirmières n’étaient pas lourdes... Elle croit sûrement que nous enfilons des perles et que nous n’avons pas de pathologies à surveiller ! Nous avons un regard holistique sur le patient et, lorsqu’on doit travailler sur une charge en soins plutôt que sur un temps horaire, bien évidemment, que cela prend plus de temps. »
Face à la situation, l’Assurance maladie lance une enquête de terrain auprès de 350 à 400 infirmiers libéraux, via les Caisses primaires d’assurance maladie (Cpam), afin de s’assurer que l’outil soit bien utilisé. « Nous souhaitons un accompagnement et non un contrôle de la part des Cpam et nous allons nous en assurer, prévient Catherine Kirnidis. Nous voulons mettre en évidence que les infirmiers dispensent de vrais soins aux personnes dépendantes et que nous apportons une prise en charge de qualité. » Pour le moment, les syndicats n’ont pas encore de recul sur cet « accompagnement » prévu par l’Assurance maladie, les premiers rendez-vous commençant tout juste à être fixés. Mais, pour les syndicats, hors de question que les Cpam remettent en cause de façon arbitraire les évaluations basées sur le diagnostic et l’expertise infirmiers voire pire, qu’elles usent d’intimidation. « On peut imaginer que des infirmières aient eu des difficultés à l’usage de l’outil, mais cela implique surtout une meilleure formation », alerte la présidente du Sniil. « Comment un administratif peut-il se permettre de juger de l’état de santé d’un patient et d’accompagner une infirmière, c’est même scandaleux, souligne Ghislaine Sicre. La clause de revoyure va être houleuse. »
Car, à l’issue de l’enquête, les partenaires conventionnels devraient se réunir en Commission paritaire nationale (CPN) pour discuter de la suite… Ce qui n’est finalement que l’application des termes de l’avenant 6 à la convention nationale des infirmières qui prévoit dans l’article 5-7 une clause de revoyure. Le texte précise en effet que si un écart positif ou négatif de 10 % ou plus est constaté entre les montants financiers estimés des forfaits du BSI et les dépenses observées, les partenaires conventionnels ouvriront la négociation d’un avenant afin de s’accorder sur les mesures correctrices à mettre en œuvre pour corriger le déséquilibre. Mais la situation est claire pour Daniel Guillerm : hors de question de remettre en cause le BSI voire de le négocier à la baisse. Donc « soit l’Assurance maladie arrête l’expérimentation du BSI, soit nous trouvons une voie de passage car, pour nous, l’outil a vocation à valoriser l’activité infirmière dans toute sa dimension éducative et préventive », déclare-t-il. Le dépassement serait même une opportunité, d’après les syndicats, pour démontrer la nature de la dépendance des personnes âgées en France et, de fait, tout l’intérêt du BSI ainsi que l’importance du rôle infirmier. Les négociations à venir détermineront si l’Assurance maladie leur donne raison.
Laure Martin