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Un collectif de soignants estime qu’à l’hôpital Robert-Debré, à Paris, les personnes d’origine arabe, africaine ou antillaise sont discriminées à l’embauche. L’établissement attaque en diffamation, mais le collectif maintient ses accusations.
Tout est parti d’une discussion entre soignantes à l’hôpital Robert-Debré, dans le 19e arrondissement de Paris. Celles-ci remarquent que sur les presque 100 personnes travaillant dans leur service, elles ne sont qu’une poignée à être « issues de la diversité », raconte une infirmière, qui préfère rester anonyme et que nous appellerons X. « Cela nous est venu comme une évidence, raconte-t-elle, alors on s’est mises à analyser aussi ce qui se passait dans les autres services. » Et là, même constat : en hématologie, en néonatologie… « que des gens d’origine européenne », explique X. Les rares collègues d’origine arabe, africaine ou antillaise ont été embauchés « il y a plus de dix ans ». Choquées, X et ses collègues décident d’écrire à la direction. Le début d’une aventure qui devait les emmener bien plus loin qu’elles ne l’imaginaient alors, et qui a été relatée le 21 septembre dernier par « Mediapart ».
« Notre premier courrier était vraiment très gentil, nous nous questionnions simplement sur le mode de recrutement », raconte l’infirmière. Devant l’absence de réponse, X et ses collègues menacent de prévenir la presse. « La direction nous a alors simplement répondu qu’elle réfutait tout, se souvient-elle. Nous avons donc décidé de faire un deuxième courrier, que nous avons placardé dans l’établissement. » S’en est suivi une réunion houleuse entre la direction et les syndicats, sans que les positions des uns et des autres n’évoluent. « Nous avons donc réalisé une enquête, raconte l’infirmière. Nous avons décortiqué les plannings, pour identifier les soignants et savoir qui était issu de la diversité, et depuis quand ils étaient en poste. »
Bien sûr, la méthode pose question : même si elles s’en défendent, X et ses collègues ont constitué un fichier qui est à la limite de la légalité. Mais si la régularité du procédé est discutable, les résultats, eux, sont sans appel. Ils ont de nouveau été placardés dans les couloirs de Robert-Debré en septembre : « sur 1 100 soignants, seulement 135 sont issus de la diversité, raconte X. Et sur les huit dernières années, seulement 1 % des personnes embauchées étaient issues de la diversité ! ». Cette fois, la réaction de l’administration a été radicale. Dans une « mise au point » publiée sur Internet le 21 septembre, celle-ci qualifie les accusations de « très graves et calomnieuses » et parle de « données statistiques dont l’existence ne peut être qu’artificielle ou fabriquée ». Enfin, la direction annonce qu’elle a déposé une plainte pour diffamation.
Voilà qui n’est pas de nature à faire reculer X. Avec ses collègues, elle a fondé le collectif « Soignants égaux ». Elle a par ailleurs saisi le Défenseur des droits. Deux procédures sont donc en cours, ce qui désole Lyasid Mahalaine, co-secrétaire de la section de Robert-Debré du syndicat Sud-Solidaire et secrétaire du CHSCT de l’établissement. « Je ne peux pas me prononcer sur les données avancées par le collectif, je ne connais pas leur méthodologie, explique cet auxiliaire de puériculture. Ce que je sais en revanche, c’est que quand des soignants expriment un tel ressenti, le devoir de la direction est d’apporter la démonstration qu’il n’y a pas de discrimination, ou s’il y en a, de prendre des mesures pour rectifier le tir. Pas de déposer une plainte pour diffamation. » En attendant, la balle est dans le camp des juges et du Défenseur des droits.
Adrien Renaud