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Lancé il y a deux mois sur les réseaux sociaux, l'initiative « Balance ton stage infirmier » épingle les abus et maltraitances auxquels les étudiants infirmiers sont parfois confrontés. Les témoignages évoquent un mal-être profond et très ancré. Les formations tentent de réagir mais c'est, encore une fois, l'épuisement du système qui est en cause.
Les récits révèlent des situations impensables, parfois d'une rare violence. Des étudiants que l'on envoie auprès de patients décédés, des situations de harcèlement, de pressions psychologiques, de maltraitance, de discriminations. Des étudiants infirmiers ont lancé et alimenté en septembre « Balance ton stage infirmier » sur les réseaux sociaux comme l'ont fait plus tôt des étudiants en école de commerce. Quand Émilie (prénom modifié), presque la trentaine, ESI en troisième année dans les Pyrénées-Atlantique, découvre l'initiative en ligne, elle se reconnaît dans certaines situations. Par exemple, elle n'oubliera jamais ce stage de première année : « Ça a duré pendant des semaines, je pleurais tous les soirs. On me rembarrait quand je posais des questions. On disait du mal de moi dans mon dos. J'étais humiliée, rabaissée... Je comptais les jours, je me suis même mise en arrêt maladie. »
54,9 % des étudiants arrêtent à cause d'un stageEn 2017, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) publiait une enquête sur le mal-être des ESI qu'elle représente : 54,9 % des étudiants ont interrompu leur formation suite à des problématiques de stage. « Ce n'est pas en mettant les étudiants en difficulté, en échec, que l'on en fera des professionnels compétents et aguerris », introduit Thomas Hostettler, représentant de la Fnesi. Balance ton stage fait alors office de structure d'écoute. « À l'époque, quand j'ai parlé de mes problèmes à mes formateurs, on m'a répondu que je prenais les choses trop au sérieux », s'insurge Émilie.
« On est dans le monde du travail, tout n'est pas parfait, merveilleux », minimise Martine Sommelette, présidente du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Directrice elle-même d'un Ifsi, elle pointe le « manque de maturité de certains qui n'osent pas parler de peur que ça se retourne contre eux ». Ce qui agace l'étudiante du Sud-Ouest : « Oui, les formateurs peuvent nous écouter mais comme les places en stage sont chères, ils ne veulent pas les mettre en cause craignant de perdre leurs accords. »
« Ce n'est pas une formation comme une autre, rappelle le représentant de la Fnesi. Et Balance ton stage permet de faire ressortir ça. Le manque de financement, de matériel, le manque de personnel engendrent un cadre qui n'est pas propice à la formation. Il faut une écoute et une prise de conscience. »
Le Centre national d'appui à la qualité de vie des étudiants en santé, créé en juillet 2019, entend pallier ce problème d'écoute, parmi d'autres, par des formations et la diffusion de bonnes pratiques. Sa présidente Donata Marra, psychiatre, insiste sur ce point : « Comment faciliter la parole pour un étudiant en difficulté, c'est ce à quoi nous tentons de répondre. La confidentialité, par exemple, est l'un des aspects essentiels. » Numéros verts, structures d'accompagnement, prévention, formation... Le centre est au cœur d'un réseau qui lie les universités, les écoles, les associations, les institutions, les enseignants, les formateurs, les étudiants, les stagiaires pour que l'information circule et que tous se sentent soutenus. « L'un des problèmes, c'est aussi l'augmentation du nombre d’étudiants en santé s’il n’y a pas d'augmentation en parallèle du nombre d’encadrants », signale Donata Marra.
Tous s'accordent sur une mesure concrète à prendre. « Des établissements accueillent des étudiants sans avoir bien mis en place une structure d'encadrement, souligne Martine Sommelette. Les tuteurs doivent être formés, il faut valoriser ce tutorat pour que les intéressés n'aient pas à se former en dehors des heures de travail. Avec la charge de travail qu'on leur connaît, c'est trop lourd. » « Et qu'ils reçoivent une indemnité pour cette mission supplémentaire », ajoute Thomas Hostettler.
Car le constat est le même pour tous. « Le système de santé est à bout de souffle, se désole Thomas Hostettler. On a tendance à voir les professionnels de santé comme des super-héros, parfois comme des bonnes sœurs. Oui, “Balance ton stage” peut choquer mais il faut que les responsables politiques et plus largement la société entendent nos souffrances ! »
Une position de stagiaire d'autant plus compliquée à l'heure de l'épidémie de Covid. Lors de la première vague, selon la Fnesi, 81 000 étudiants sur 96 000 ont été mobilisés. « On a colmaté, commente l'émissaire de la Fnesi. Pour la deuxième vague, rien n'a changé. Lorsque l'étudiant se retrouve mis en échec devant la maladie, devant la mort, sans avoir été encadré, c'est extrêmement éprouvant. » Selon l'organisation toujours, 31,3 % des étudiants prendraient des anxiolytiques, dont plus de la moitié disent avoir débuté un traitement durant la crise.
Thomas Laborde
« Balance ton stage infirmier » a mis en ligne une pétition pour demander un meilleure encadrement des ESI, notamment « l’application immédiate du cahier des charges national de formation au tutorat de stagiaires paramédicaux par toutes les directions d’instituts de formation et des structures d’accueil tel que le mentionne l’instruction DGOS/RH4/DGCS/4B/2016/250 du 29 juillet 2016 ».
« Mon objectif est de mettre fin à l’omerta et surtout responsabiliser les encadrants »À l'initiative de la pétition (près de 700 signataires aujourd'hui), Félicité, une infirmière diplômée il y a presque deux ans. Aujourd'hui en contrat dans un établissement de santé privé, elle nous explique le sens et les objectifs de la démarche. « J’ai personnellement été victime de brimades et de maltraitances, pendant mes stages. Personne dans mon cercle, à l’époque, n’y a échappé. Le problème vient du manque récurrent de personnel qui fait reposer parfois sur les stagiaires de nombreuses tâches avec le risque d’erreur médical. Puis, il y a les dénigrements, les railleries, les pressions morales et la maltraitance infligés par certains encadrants et des infirmières titulaires. On vous pousse à bout pour vous faire abandonner la formation. Mon objectif est de mettre fin à l’omerta et surtout responsabiliser les encadrants pour assurer de meilleures conditions de formation aux stagiaires.Je veux donc alerter les autorités compétentes sur le fait que la situation des ESI n’a pas changé, à rendre effectif les dispositifs de protection des stagiaires mis en place par l’État. Il faut ajouter au cahier des charges une annexe qui prévoit, dans un premier temps, des dispositions permettant de protéger les ESI contre les maltraitances et le harcèlement, puis des dispositions permettant de sanctionner les encadrants ou les tuteurs de stage en cas de maltraitance avérée. Qu'il y ait une structure externe avec un psychologue ou un médecin chargé de constater ces faits. » Propos recueillis par Thomas Laborde |