© Saphia Guereschi
Le 26 novembre dernier, une semaine avant son congrès triennal, le Syndicat national des infirmier.es conseiller.es de santé (SNICS) a tenu un congrès extraordinaire pour évoquer les nombreuses missions demandées aux infirmières de l’Éducation nationale en cette période de crise, au mépris des besoins des élèves. Le point avec Saphia Guereschi, la présidente.
Saphia Guereschi : Notre objectif a été de nous mobiliser pour obliger le ministre de l’Éducation nationale, le Premier ministre et le ministre de la Santé, à savoir trois des interlocuteurs politiques qui gèrent la crise, à nous donner plus de moyens. Aujourd’hui, ils prennent des décisions qui vont à l’encontre de notre expertise et des besoins des élèves. La crise aurait dû les amener à créer des postes d’infirmières scolaires. Déjà avant la crise, nous dénoncions le manque de moyens. Mais depuis, avec le nombre de missions qu’on nous demande de remplir, c’est intenable.
Dès février, nous avons alerté notre tutelle sur une augmentation des consultations effectuées par les infirmières scolaires, car de plus en plus d’élèves ainsi que leur famille, inquiets, les sollicitent. Au départ, notre ministre n’était pas opposé à la création de postes, mais nous n’avons rien vu venir. Et finalement, on nous a demandé d’en faire plus, notamment d’effectuer du contact tracing, et ce, à effectif constant. Dès lors qu’il y a un soupçon de contamination chez un élève ou un membre du corps enseignant, les infirmières de l’Éducation nationale doivent les isoler puis les interroger pour identifier les personnes contacts. Pour les élèves, il faut ensuite prévenir les parents et attendre qu’ils viennent les chercher. C’est chronophage ! D’autant plus qu’au même moment, d’autres élèves peuvent être présents, pour de multiples raisons, au sein de l’infirmerie. Pour mener notre enquête, nous devons alors soit leur demander de partir, soit les laisser seuls, ce qui va à l’encontre de nos missions. Conclusion : le contact tracing n’est pas effectué correctement. C’est le résultat d’une dérive car à l’origine, il était prévu l’isolement de l’élève par l’infirmière, avant sa prise en charge par son médecin traitant, qui devait l’interroger pour déterminer les contacts potentiels. Mais les infirmières ont reçu une note de leur Agence régionale de santé (ARS) leur demandant de remplir ce rôle. L’ARS nous dit que l’Éducation nationale s’est portée volontaire, et l’Éducation nationale soutient que la demande de renfort vient des ARS…
Exactement ! Au lieu d’avoir un renfort d’effectif, on nous demande désormais d’effectuer des dépistages pour répondre aux inquiétudes des enseignants. Nous sommes étonnés que notre ministère ne sollicite pas la sécurité civile ou les professionnels de santé libéraux. Nous nous sommes d’ailleurs entretenus avec les syndicats d’infirmiers libéraux, et, certes, dans certains territoires ils sont à flux tendu mais ce n’est pas le cas partout. Ils seraient prêts à effectuer des tests dans les établissements. L’idée a été retenue par notre ministère, mais uniquement si les infirmières de l’Éducation nationale volontaires sont insuffisantes pour répondre à la demande de tests. Il faut aussi savoir qu’une prime de 400 euros va être attribuée aux volontaires. Lorsqu’on gagne 1800 euros par mois, cela peut séduire, et nous le comprenons. Mais en attendant, dans les établissements où les infirmières sont volontaires, les infirmeries sont fermées. À court terme, il faudrait recruter les soignantes ayant réussi le concours et aujourd’hui sur la liste complémentaire. À plus long terme, il faudrait tripler le nombre d’infirmières scolaires. Aujourd’hui, la crise sanitaire impacte les jeunes, ils sont inquiets par cette crise, mais également par celles environnementale et économique à venir. Ils sont également en lien émotionnel avec les difficultés de leurs parents, ce qui influe sur leur réussite scolaire. Certes, il faut contribuer à la gestion de la crise, mais sans sacrifier les jeunes.
Propos recueillis par Laure Martin