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Crainte d’une formation bradée, manque de considération... La Fnesi appelle les ESI à manifester jeudi 10 décembre. En cause, les disparités régionales auxquelles font face les étudiants. Certains ont vu leur formation suspendue quand d'autres ont été mobilisés, sans possibilité, non plus, d’avancer dans leur parcours.
Coralie* minimise ses propos : « Ça ne faisait pas vraiment partie du plan ». En troisième année dans un Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Bourgogne-Franche-Comté, elle s’est retrouvée à passer trois semaines dans un Ehpad en novembre. Comme d’autres étudiants, ailleurs en France, elle a été mobilisée à l’appel de l’Agence régionale de santé (ARS) de sa région. « On compense peut-être le manque de soignants mais je n’ai pas avancé pas dans ma formation », déplore la jeune femme, la petite vingtaine, censée être diplômée et opérationnelle dans quelques mois.
Xavier Vautrin, lui, est formateur dans la région. « L’ARS a paniqué à l’approche de la seconde vague, et a utilisé les étudiants comme parapluie. La directrice de notre institut a refusé, elle, d’envoyer les étudiants de troisième année. On va avoir besoin d’eux diplômés et compétents en juillet ! » Si certains ont été utiles, d’autres, selon le cadre de santé, se sont retrouvés en surplus, constituant alors une charge de travail supplémentaire. Pourtant, l’ARS assure avoir répondu aux alertes multiples des établissements régionaux. « Mais ils ont semblé déconnectés des besoins sur le terrain », souligne Xavier Vautrin.
Emma, elle, aurait bien voulu travailler. En région Paca, où elle est étudiante en deuxième année à l’IFSI d’Avignon, elle a été confrontée à une suspension de formation. « Pendant cette période, je me suis inscrite sur la plateforme de l’ARS pour pouvoir renforcer là où il y avait besoin, raconte la jeune femme. Je n’ai été appelée qu’une seule fois, au bout d’une semaine, par un hôpital à quarante-cinq minutes de chez moi. Impossible, trop cher d’avancer les frais. Dans ma promo, très peu de gens ont été appelés. » Quatre semaines ont déjà sauté lors de sa première année. Deux, cette fois. « Alors, je me suis investie à fond pour qu’on puisse reprendre les cours. On s’est mobilisés pour se faire entendre par l’ARS. » L’institution est alors revenue sur sa décision de suspension. Mais six semaines sont perdues pour la future infirmière et ses camarades.
« On veut un arrêté ! Les ARS font à leur sauce, s’insurge Bleuenn Laot, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). La formation est en danger. On a des cas de mobilisation au-delà de quinze semaines sur les deux vagues. C’est quasiment un semestre entier ! » Face à ces disparités régionales, la Fédération appelle alors à manifester jeudi 10 décembre. Les revendications, entre autres : qu’aucun étudiant en soins infirmiers (ESI) ne soit mobilisé plus de deux semaines par semestre et que cela soit cadré par arrêté. Si la crise sanitaire le requiert, que les ESI soient mobilisés en CDD pour être protégés et rémunérés à la hauteur de leur travail. « On ne nous laisse pas la possibilité d’apprendre à soigner en tant qu’infirmier », termine, en colère, la représentante.
« Le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) soutient la mobilisation, on comprend leur combat, commente Michèle Appleshaeuser, présidente de la structure. On demande la publication d’un arrêté sécurisant les formations et encadrant les injonctions des ARS. » Directrice d’Ifsi en Alsace, elle n’a pas donné suite à l’appel de l’ARS. « Pour vous parler du Grand-Est, ou du moins de la position des Ifsi dans le bassin de Strasbourg, on n’a eu aucune demande d’établissements ! »
Toujours est-il que bon nombre estiment avoir pris du retard dans leur formation. « Ils ont certainement développé beaucoup d’adaptabilité, des compétences de crise. Mais certaines compétences techniques vont faire défaut, souligne Xavier Vautrin, lui aussi au Cefiec. Il va vraiment falloir travailler avec eux là-dessus. Être très flexible, arriver à identifier là où il y a des manques et ajuster, au cas par cas. » L’ARS, elle, compte sur le travail des formateurs et une décision gouvernementale. « Comment valoriser la période de stage, on attend un arrêté national. On attend aussi les préconisations des directeurs d’instituts, avance Ivanka Victoire, du département Ressources humaines du système de santé, de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté. Il faudra réorganiser les stages. » Elle ignorait qu’une mobilisation des étudiants avait lieu.
Les étudiants aussi attendent. Mais se sentent durablement lésés. Malgré sa bonne humeur et son énergie, Emma, en deuxième année à Avignon, conclut, amère : « On nous répète sans cesse que notre formation n’est pas digne des autres... La promo 2019-2022 est sacrifiée. »
La mobilisation aura lieu jeudi 10 décembre, à partir de 13 h, près du ministère des Solidarités et de la Santé, à Paris. Sacrifiée, mais pas inerte.
Thomas Laborde
*Le prénom a été modifié.