© Thomas Laborde
Les organisations syndicales et les collectifs appelaient à une journée de mobilisation et de grève le jeudi 21 janvier 2021 dans les établissements du sanitaire, du médico-social et du social public et privé. Des rassemblements peu suivis ont eu lieu un peu partout en France.
Sisyphe poussait son rocher en haut d'une colline qui en retombait sans cesse, les professionnels de la santé, eux, scandent leurs revendications qui semblent tomber dans l'oreille de sourds. Cela fait deux ans qu'ils le crient : « On manque de lits, on manque de moyens, on manque de personnels. » Ce jour de mobilisation, jeudi 21 janvier, prend des airs de déjà-vu covidé : « Il a fallu une pandémie mondiale pour avoir un Ségur de la santé qui ne répond tellement pas à nos attentes que ça en devient déprimant. »
Au pied du ministère de la Santé, à Paris, ils sont quelques centaines à avoir répondu à l'appel des syndicats et des différents collectifs de personnels hospitaliers, soignants et médecins. Ceux qui restent, du moins. Au micro, le constat s'assombrit d'une manifestation à l'autre : « Les personnels continuent de fuir l'hôpital à vitesse grand V. »
Marie-Pierre Martin, infirmière à Necker, hôpital parisien pour enfants, s'active au sein du collectif Inter-Urgences depuis le début. La structure a mobilisé jusqu'à 365 services d'urgences dans tout le pays sur 600 au total au plus fort de la crise. « En mars, ça fera deux ans qu'on est mobilisés. Et c'est pire qu'avant. La pandémie a secoué un hôpital fragile. Tout s'est effondré. On dit qu'on a besoin de mettre de l'argent dans l'hôpital public et on nous répond que c'est un problème d'organisation, déplore-t-elle. Ça fait deux ans qu'on dit qu'on a besoin de plus de lits, on nous répond qu'on va révolutionner la médecine de ville. »
Les lits, c'est bien ce qui révolte Sylvie Lefelle (photo ci-contre), soignante dans un hôpital de gériatrie de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise). Elle et ses collègues se battent contre la fermeture imminente de leur établissement depuis cinq ans. « On était 760 agents, on avait 400 lits. Notre hôpital aurait pu permettre de désengorger les services de réanimation. Cette fermeture est un scandale. »
Eux sont une petite dizaine à être venus de Savoie. Des travailleurs du médico-social, ces « exclus du Ségur » : « On est là pour revendiquer nos droits en tant que fonction publique hospitalière pour avoir droit aux 183 euros qui ont été octroyés à la quasi-totalité des personnels et agents hospitaliers mais pas à ceux des maisons spécialisées et le médico-social, comme nous, s'insurge Christophe Nogues, aide-soignant dans une maison d'accueil spécialisée à Chambéry qui s'occupe de personnes polyhandicapées et de personnes atteintes de troubles autistiques, dont cinq d'entre elles sont mortes de la Covid. Pourtant, nous avons fait les mêmes études, nous avons les mêmes diplômes, nous faisons le même travail, nous avons les mêmes charges... »
Beaucoup estiment que les 183 euros ne sont pas une revalorisation salariale mais un dû pour rattraper le gel du point d'indice. Comme pour cet Ibode de Toulouse, déçu par la mobilisation du jour dans sa ville. « Le trajet a été changé pour pas que l'on perturbe les soldes, s'insurge Grégory Chakir. Puis, on a été bloqués par des CRS. Nos mobilisations sont pourtant toujours pacifistes. » Il y a quelques semaines, une courte grève dans son centre hospitalier universitaire (CHU) a été très médiatisée. « Il y en a ailleurs. Les Ibode ne sont pas du tout reconnus. Les établissements ne donnent pas les moyens financiers et matériels aux infirmiers non spécialisés d'accéder à la formation et donc d'avoir le salaire d'un Ibode. Notre spécialisation meure. Depuis septembre, c'est la fuite massive dans les blocs. » Une grève illimitée débutera le 25 janvier dans son CHU.
À Arles, Jérémy Chanchou, aide-soignant au centre hospitalier de la ville, savait que la mobilisation ne serait pas beaucoup suivie. Mais il se félicite que des revendications locales aient été entendues : « Un agent de sécurité a obtenu 18 h/24, un brancardier de nuit, du matériel (brancards, respirateurs, pieds à perfusion...). Enfin, il a fallu faire grève pendant un an et demi pour avoir ça, c'est malheureux. On reste mobilisés au niveau national. Lits, personnel, salaire, ça ne suit pas ! »
Dans son service au CHU de Rennes, Kévin Houget et ses collaborateurs, malgré les revendications, n'ont pas vu d'agent de sécurité débarquer. Après que des coups de feu ont été tirés aux urgences, ils ont publié une vidéo sur YouTube, en novembre. Près de 90 000 vues plus tard, pas de changements. « Ce n'était pas revendicatif au début, c'était plus un hommage à tout le personnel qui travaille aux urgences. On ne pensait pas que ça serait autant vu. Ça nous a permis de nous exprimer sur ce qui n'allait pas dans l'hôpital public, commente Kévin Houget. Ça fait deux ans maintenant qu'on est en grève pour demander du personnel de sécurité et des collègues. On est noyés dans le boulot... » Malgré le contexte, le collectif Inter-Hôpitaux, dont le jeune homme fait partie, ne manque pas d'humour. Le dimanche 14 février, jour de la Saint-Valentin, un concert sera organisé à Rennes par les soignants et médecins de la branche locale pour que tous déclarent leur flamme à l'hôpital public.
Car, ce qui ressort de ces cris de détresse, faut-il le rappeler, c'est un amour profond pour des métiers compliqués qui manquent cruellement de valorisation, de reconnaissance. Prochain rendez-vous ? « Dans pas longtemps, malheureusement », répondent ces voix applaudies il y a peu.
Thomas Laborde